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13/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18440

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2004, 18440


Tribunal administratif N° 18440 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2004 Audience publique du 13 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18440 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat

s à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Dalace (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant...

Tribunal administratif N° 18440 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2004 Audience publique du 13 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18440 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Dalace (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 26 avril 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 15 juin 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 19 septembre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu en date des 15 décembre 2003 et 4 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 avril 2004, notifiée par remise en mains propres le 4 mai 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez eu des problèmes avec le propriétaire de la maison dans laquelle vous auriez vécu ensemble avec votre père. En effet, en mai 2003 ce dernier, membre du FPI et Bété n’aurait plus voulu que vous continuiez à habiter dans sa maison, selon vos dires parce que votre père serait membre du parti adversaire RDR et parce que vous seriez Dioula. Votre père aurait arrangé un préavis de 3 mois pour quitter la maison, mais en juin 2003 le propriétaire serait venu avec des amis pour vous mettre dehors.

Un ami serait venu vous prévenir au travail. Le même jour encore, ensemble avec des amis, vous vous seriez bagarré avec le propriétaire et ses amis à lui. Tout le quartier aurait été présent. Par vengeance vous auriez mis le feu à la maison en question. La police serait venue après que le mal aurait été fait. Par la suite un ami vous aurait dit que la police vous rechercherait pour avoir mis le feu à la maison et vous auriez maintenant peur d’une condamnation. Vous indiquez encore ne plus avoir revu votre père après le jour fatidique, vous ne l’auriez également pas recherché. Vous indiquez qu’il y aurait des problèmes entre Dioula et Bété.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état d’autres problèmes.

Après les événements cités vous seriez allé dans un autre quartier et vous auriez travaillé au port de San Pedro pendant plusieurs semaines. En août 2003, vous auriez quitté la Côte d’Ivoire en suivant votre patron au Ghana où vous auriez travaillé pendant une semaine. Par la suite votre patron vous aurait proposé d’aller en Italie, ce que vous auriez fait. Arrivé en Italie vous auriez suivi le conseil de votre patron de prendre un train pour le Luxembourg, où vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le 10 septembre 2003. Vous n’auriez rien payé pour tout votre voyage en Europe.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que vous ne faites pas état de persécution dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, §2 de la Convention de Genève. En effet, il ressort clairement de vos déclarations que vous seriez recherché par la police parce que vous auriez mis le feu à la maison du propriétaire, vous admettez même l’avoir fait par vengeance. Vous vous êtes donc rendu coupable d’une infraction de droit commun et le fait que vous seriez recherché par la police pour ce fait ne saurait être considéré comme acte de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il n’existe aucune certitude que vous seriez effectivement recherché par la police, un ami vous ayant dit que vous seriez recherché par la police. Votre peur d’une condamnation éventuelle ne se base donc que sur une simple rumeur. Vous n’évoquez également pas d’autres problèmes après les événements en juin 2003 et votre départ en août 2003, vous dites vous même ne pas avoir eu des problèmes à San Pedro.

Vos problèmes avec le propriétaire, dont vous ne vous rappelez plus le nom, relève[nt] également de l’ordre du droit commun. Il ressort de vos déclarations que vous n’avez pas porté plainte ou introduit un recours auprès de tribunaux compétents afin de vous défendre contre le fait que le propriétaire vous aurait mis dehors en ne respectant pas le préavis.

Même si le propriétaire appartenait à un autre parti politique que celui de votre père et qu’il serait d’une autre ethnie, ce dernier ne saurait être considéré comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que vous ne faites pas état de persécution de la part du gouvernement ivoirien en place.

En ce qui concerne la situation en Côte d’Ivoire, soulignons qu’un accord de paix a été conclu sous les auspices de la France le 24 janvier 2003 entre tous les protagonistes de la guerre civile. Cet accord prévoit entre autre la création d’un gouvernement de transition sous la présidence de Seydou Elimane Diarra ainsi que le désarmement et la démobilisation des groupes armés. Le recrutement militaire a ainsi été stoppé aussi bien du côté gouvernemental que rebelle en juin 2003. Des élections présidentielles ont été prévues pour octobre 2005. Un cessez-le-feu a été signé entre les forces armées et groupes rebelles en mai 2003 et une loi d’amnistie a été adoptée en juillet 2003 permettant la libération de plusieurs détenus arrêtés pendant la guerre civile. Enfin, notons la création par le Conseil de Sécurité des Nations Unies de l’ONUCI, « l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire », soutenue par les forces françaises et dont la composante militaire contient plus de 6000 soldats, 200 observateurs militaires, 120 officiers d’état-major, 350 membres de la police civile ainsi qu’un effectif civil, judiciaire et pénitentiaire approprié. Dotée d’un mandat de douze mois avec effet le 4 avril 2004, cette mission de maintien de la paix a été créée pour assurer la protection des civils en Côte d’Ivoire et pour appuyer le processus de paix ivoirien.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire en date du 3 juin 2004 et une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 15 juin 2004, lui notifiée en mains propres le 5 juillet 2004, M. …, par requête déposée le 21 juillet 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées du ministre de la Justice des 26 avril et 15 juin 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il expose être originaire du village de Dalace en Côte d’Ivoire, que son père et le propriétaire de la maison où il aurait habité avec sa famille appartiendraient à des ethnies et formations politiques différentes et qu’en raison de ces divergences, le propriétaire de la maison occupée par la famille … se serait présenté avec des amis pour vider la maison, ce qui aurait déclenché une bagarre à laquelle il aurait participé et suite à laquelle il aurait mis le feu à la maison par vengeance, de sorte qu’il serait recherché à l’heure actuelle par la police et qu’il risquerait une condamnation. Le demandeur expose encore qu’au vu de la situation politique actuelle en Côte d’Ivoire un retour dans son pays d’origine ne serait pas envisageable.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de retenir en premier lieu que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible.

Force est encore de constater que les craintes mises en avant par M. … trouvent leur origine dans un différend d’ordre privé l’opposant à la base au propriétaire de la maison qu’il occupait ensemble avec sa famille dans le village de Dalace. Or, de simples considérations d’ordre privé qui ne se rapportent à un quelconque acte de persécution au sens de la Convention de Genève sont insuffisantes pour justifier un état de persécution.

A cela s’ajoute que le demandeur est formel pour dire qu’il n’a pas eu d’activités politiques et il avoue avoir mis le feu à un immeuble, de sorte que, loin d’avoir été persécuté pour des raisons inscrites à la Convention de Genève, il cherche en fait à se soustraire à des poursuites judiciaires pour des faits relevant de la criminalité de droit commun.

Il suit de ce qui précède que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 13 décembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18440
Date de la décision : 13/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-13;18440 ?

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