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13/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18406

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2004, 18406


Tribunal administratif N° 18406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2004 Audience publique du 13 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18406 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Gambie), de nationalité gambienne, demeurant

actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 2...

Tribunal administratif N° 18406 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2004 Audience publique du 13 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18406 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Gambie), de nationalité gambienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 avril 2004, par laquelle il a déclaré manifestement infondée sa demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 juin 2004 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 novembre 2004.

Monsieur … introduisit en date du 20 novembre 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 26 avril 2004, le ministre de la Justice refusa de faire droit à cette demande au motif que Monsieur … aurait omis de manière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

Le ministre s’est référé à cet égard au fait que Monsieur … n’a pas donné suite à l’invitation lui adressée pour se présenter le 13 avril 2004 au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile pour une audition concernant les motifs de sa demande d’asile. Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur … à l’encontre de la décision ministérielle prévisée à travers un courrier datant du 27 mai 2004 ayant été rencontré par une décision ministérielle confirmative du 11 juin 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 26 avril et 11 juin 2004 par requête déposée le 15 juillet 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité de ce recours en annulation en faisant valoir que la loi modifiée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en la matière.

Aux termes de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile » lorsque le demandeur a « f) omis de matière flagrante de s’acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile ».

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également et a fortiori être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicable par le biais de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée, mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Il s’ensuit qu’en dépit du fait que le motif de refus retenu en l’espèce par le ministre s’inscrit clairement dans le contexte de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, le ministre a valablement pu renoncer à la faculté lui accordée de rejeter cette demande dans un délai plus bref comme étant manifestement infondée au sens dudit article 9, de sorte que compte tenu du libellé clair et précis de la décision litigieuse ayant refusé la demande en obtention du statut de réfugié comme non fondé au sens de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, la voie de recours ouverte contre cette décision est celle de droit commun en cette matière, en l’occurrence un recours en réformation.

Si le tribunal peut dès lors certes suivre l’argumentation du représentant étatique consistant à dire qu’un recours au fond était ouvert au demandeur en la présente matière, il n’en demeure cependant pas moins que si dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité et à condition d’observer les règles de procédures spéciales pouvant être prévues et les délais dans lesquels le recours doit être introduit (cf. trib. adm. 3. mars 1997, n° 9693 du rôle, V° Pas. adm. 2004, Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées, p. 661).

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait appartenu au ministre, avant de recourir aux dispositions de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, de procéder à son audition et de l’entendre sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Il estime pour le surplus que sa demande ne répondrait pas aux critères fixés par la loi pour être qualifiée de manifestement infondée, étant donné que les faits qu’il entendait relater seraient manifestement crédibles et que sa crainte d’un éventuel retour dans son pays d’origine ne serait pas manifestement dénuée de tout fondement.

Dans la mesure où sa demande ne reposerait pas non plus sur une fraude délibérée ou constituerait un recours abusif aux procédures en matière d’asile, il reproche au ministre de ne pas avoir abordé sa demande sous l’angle légalement prescrit par la Convention de Genève et la législation nationale en la matière.

Il relève enfin que toute décision administrative devrait être guidée par un esprit de proportionnalité et que si son comportement, ayant consisté à se tromper de date d’audition, serait certes regrettable, il n’en resterait pas moins qu’il se serait rendu volontairement le 14 avril 2004 au bureau d’accueil en présentant ses sincères excuses pour son inadvertance et en se déclarant disponible à tout moment pour son audition.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’inadvertance invoquée par le demandeur ne serait pas constitutive d’une excuse suffisante, ceci d’autant plus que Monsieur … aurait signé à trois reprises et à des dates différentes des convocations pour l’audition du 13 avril 2004. Il en déduit que la légèreté de l’intéressé face à ses obligations impératives ne pourrait être légitimée en l’espèce et estime pour le surplus qu’il aurait appartenu au mandataire du demandeur de compléter sa motivation au sein du recours gracieux afin de permettre au ministre de considérer l’opportunité de faire procéder à une audition, étant entendu qu’un rapport d’une date d’audition allonge la procédure d’asile. Il fait finalement valoir, concernant les motifs à la base de la demande d’asile de Monsieur …, qu’il ressortirait de la fiche de données personnelles remplie à son arrivée que les raisons de son départ de son pays d’origine ont été d’ordre économique, de sorte qu’il serait en tout état de cause manifeste que sa demande ne répondrait à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il se dégage des pièces versées au dossier qu’en date du 28 janvier 2004, Monsieur … a réceptionné personnellement une convocation pour se présenter le 13 avril 2004 à 14.00 heures au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile, cette convocation étant pourvue de l’information suivante :

« En votre absence non excusée à la date fixée ci-dessous, nous estimons que votre demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée au sens de l’article 6, 2) f), du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».

Il est encore constant à partir des affirmations non contestées en cause du délégué du Gouvernement que Monsieur … ne s’est pas présenté à la date prévue au bureau d’accueil, le demandeur étant de son côté en aveu de s’être trompé de jour.

L’audition d’un demandeur d’asile constitue un élément clé de la procédure d’asile, de sorte que l’obligation de se présenter devant le service compétent à la date fixée à cette fin s’analyse en une obligation importante imposée par les dispositions régissant les procédures d’asile au sens de l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité.

Il s’ensuit qu’en cas d’omission flagrante de s’acquitter de cette obligation, le ministre peut valablement se baser sur les dispositions dudit article pour rejeter une demande d’asile, le texte réglementaire sous examen ayant précisément pour objet de couper court à une attitude dans le chef d’un demandeur d’asile consistant à prolonger de manière non justifiée la procédure d’asile, voire d’empêcher, par son attitude, le déroulement efficace de celle-ci.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner si en l’espèce le ministre a valablement pu conclure à l’existence d’une omission flagrante dans le chef du demandeur de s’acquitter de son obligation de se présenter au bureau d’accueil afin d’être auditionné sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre disposant à cet égard d’un pouvoir d’appréciation étendu, en l’occurrence l’appréciation du caractère flagrant ou non de l’omission, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation et dans l’hypothèse vérifiée d’une non présentation effective à la date prévue, est appelé à apprécier le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits ainsi établis, étant entendu que seul un usage excessif du pouvoir par l’autorité compétente peut empreinter d’illégalité la décision litigieuse.

Vu la gravité des conséquences se dégageant d’une décision de refus basée sur l’article 6, paragraphe 2, f), - un point final étant posé à la démarche de la personne concernée qui dans cette hypothèse et par l’effet des textes légaux et réglementaires applicables se trouve dépourvue de son droit de voir examiner plus en avant le caractère fondé ou non de ses prétentions -, force est au tribunal de constater que le seul fait d’avoir oublié une première fois un rendez-vous, s’il témoigne d’un esprit distrait, ne revêt néanmoins pas une gravité suffisante, en l’absence d’autres éléments ou d’attitudes permettant de dégager une volonté délibérée de faire obstacle au bon déroulement de la procédure d’asile, pour caractériser à lui seul le caractère flagrant de l’omission de s’acquitter d’une obligation importante imposée par les dispositions régissant les procédures d’asile. Cette conclusion se trouve encore renforcée du fait que l’intéressé s’est rendu le lendemain, 14 avril 2004, au bureau d’accueil pour présenter ses excuses.

Il s’ensuit qu’en l’espèce le motif de refus basé sur l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité n’est pas suffisamment établi en fait.

La motivation de la décision de refus litigieuse fut complétée en cours d’instance contentieuse par le délégué du Gouvernement en ce sens que le caractère manifestement infondé de la demande d’asile à la base de ce litige serait encore établi à partir de la fiche des données personnelles remplies par Monsieur … à son arrivée au pays en date du 20 novembre 2003.

Force est cependant de constater que s’agissant d’une appréciation quant au fond de motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, ces indications fournies par le demandeur en dehors du cadre tracé par la loi pour l’audition d’un demandeur d’asile et partant au mépris des garanties procédurales afférentes, ne sauraient être utilement retenues à ce stade pour conclure au caractère manifestement infondé de la demande d’asile de Monsieur ….

Il se dégage des considérations qui précèdent que les décisions litigieuses encourent l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule les décisions litigieuses du 26 avril et 11 juin 2004 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 décembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18406
Date de la décision : 13/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-13;18406 ?

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