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13/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18349

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2004, 18349


Tribunal administratif N° 18349 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juillet 2004 Audience publique du 13 décembre 2004

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Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18349 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2004 par Maître M arie-Christine GAUTIER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de Madame …, née le … à Kryezi (Albanie), et de son fils Monsieur …, né le … à Fush-Arrez (A...

Tribunal administratif N° 18349 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juillet 2004 Audience publique du 13 décembre 2004

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Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18349 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2004 par Maître M arie-Christine GAUTIER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Kryezi (Albanie), et de son fils Monsieur …, né le … à Fush-Arrez (Albanie), tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juin 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

Le 2 avril 2002, respectivement le 25 février 2004, Madame … et son fils Monsieur … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … et Monsieur … furent entendus le 2 avril 2002, respectivement le 25 février 2004, par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément en date du 17 avril 2002, respectivement 8 juin 2004, par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 juin 2004, leur notifiée par courrier recommandé expédié le 18 juin 2004, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains les rapports du Service de Police Judiciaire des 2 avril 2002 et 25 février 2004 et les rapports d’audition des agents du Ministère de la Justice des 17 avril 2002 et 8 juin 2004.

Madame, vous auriez quitté votre domicile de Fush-Arrez le 31 mars 2002 avec votre famille pour aller d’abord à Vlore. Vous auriez pris le bateau pour l’Italie, mais vous auriez été séparée de votre mari et de vos enfants. De Bari, vous auriez poursuivi seule votre voyage dans la voiture d’un passeur jusqu’à Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 2 avril 2002.

Vous, Monsieur, vous auriez fait une première tentative pour quitter l’Albanie en 2002 avec votre mère mais vous auriez été refoulé avec votre frère et votre beau-père.

Vous auriez à nouveau quitté l’Albanie le 22 février 2004 pour aller d’abord en bateau en Italie. De là, une camionnette vous aurait conduit au Luxembourg.

Madame, vous dites avoir adhéré au Parti Démocratique en 1990. Vous auriez présidé le Forum des Femmes de ce parti à Fush-Arrez.

Votre frère ayant eu des problèmes en Albanie, vous seriez partie avec lui en Grèce du 28 novembre au 11 décembre 1995. En décembre 1995, on aurait mis le feu à son appartement et il serait décédé avec ses proches dans l’incendie. Vous auriez soupçonné deux personnes, VRAPI et PLAKU, que vous dites payées par le Parti Socialiste. Vous seriez alors retournée en Albanie.

Le 20 septembre 1998, on aurait jeté de la dynamite devant votre maison et votre fils aurait été blessé. Vous ajoutez que la police n’aurait rien pu faire. Vous seriez partie vivre chez votre grand-père à Kryezi. Là, vous auriez reçu des coups de téléphone anonymes.

Vous, Monsieur, vous confirmez les dires de votre mère. Vous dites n’avoir pu continuer vos études à cause de l’engagement politique de votre mère. Vous dites que, depuis le départ de votre mère, votre beau-père aurait reçu des lettres et des coups de téléphone anonymes demandant où se trouvait votre mère. L’an dernier, en 2003, vous auriez été kidnappé dans une discothèque par des gens qui recherchaient votre mère. La police serait directement intervenue et vous auriez été relâché non loin de là.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame, je constate que les problèmes que vous prétendez avoir eus après votre installation à Kryezi se sont limités à des coups de téléphone. Vous avez cependant vécu plus de trois ans dans cette ville sans être inquiétée. Quant à vous, Monsieur, en supposant votre enlèvement en discothèque établi, je remarque l’intervention rapide de la police dont je conclus que les autorités de votre pays sont à même de vous protéger efficacement.

Pour le surplus, la situation politique s’est considérablement stabilisée en Albanie depuis 2002, et a fortiori depuis 1998. Les dernières élections en octobre 2003 se sont déroulées dans le calme et les règles du nouveau code électoral ont été respectées.

Depuis 2002, le dialogue est ouvert entre le Parti Socialiste et le Parti Démocratique.

Force est de constater que vos dires font davantage état d’un sentiment d’insécurité que d’une réelle crainte de persécution telle que prévue à la Convention de Genève, c’est à dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 7 juillet 2004, Madame … et Monsieur … ont introduit un recours en réformation contre la décision précitée du 11 juin 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires d’Albanie et qu’ils auraient quitté leur pays en raison des activités politiques de Madame …, membre depuis 1990 du Parti Démocratique et présidente du forum des femmes de ce parti à Fush-Arrez. Ils font valoir que Madame … serait partie vivre avec son frère en Grèce qui aurait quitté l’Albanie en raison de graves problèmes qu’il y aurait connus, qu’en décembre 1995, il serait mort à Athènes avec des membres de sa famille dans un incendie criminel, et que la demanderesse soupçonnerait deux personnes, payées par le parti socialiste albanais, d’être à l’origine de cet incendie. Ils ajoutent que de retour en Albanie, ils seraient allés vivre chez le grand-père de Madame …, que le 20 septembre 1998, Monsieur … aurait perdu des doigts de sa main dans un attentat à la dynamite devant leur maison et qu’ils auraient reçu des coups de téléphone anonymes. Ils précisent que Monsieur … n’aurait pas pu continuer ses études en raison de l’engagement politique de sa mère et qu’en 2003, il aurait été enlevé dans une discothèque par des gens se disant à la recherche de sa mère.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la mort du frère de Madame … dans un incendie criminel, au-delà de la considération qu’il s’agit d’un fait qui ne leur est pas personnel mais qui a été vécu par d’autres membres de leur famille, force est de constater que l’affirmation des demandeurs que leur frère respectivement oncle est mort dans un attentat orchestré par le parti socialiste albanais reste à l’état de simple allégation, les extraits de journaux produits en cause parlant plutôt d’un incendie criminel de droit commun. Or, de tels éléments ne sont pas susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef des demandeurs.

Quant aux déclarations des demandeurs relatives à l’engagement politique de Madame … et à l’attentat à l’explosif dont Monsieur … aurait été victime, si elles peuvent être considérées comme crédibles au vu des pièces versées en cause, le tribunal est néanmoins amené à constater que non seulement ledit attentat remonte à 1998 et ne peut donc plus être considéré comme d’actualité, mais en plus ces actes concrets de persécution invoqués par les demandeurs émanent essentiellement de personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de certains milieux politiques, de même qu’ils s’analysent dans cette mesure en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf.

Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas établi un défaut de volonté ou une incapacité des autorités en place dans leur pays d’origine pour leur assurer un niveau de protection suffisant, ni encore le défaut de poursuite des actes de persécution commis à leur encontre. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que Monsieur … a admis lui-même au cours de son audition que la police serait immédiatement intervenue à l’occasion de son enlèvement dans une discothèque et que le fait que l’enquête suite à l’attentat à l’explosif n’était pas couronnée de succès est insuffisante pour établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités.

En ce qui concerne le motif de persécution invoqué par Monsieur … et tiré de ce qu’il n’aurait pas pu continuer ses études en raison de l’engagement politique de sa mère, il reste à l’état de simple allégation, étant donné que le certificat émanant de l’école secondaire F-Arrez d’Albanie produit en cause atteste uniquement que le demandeur aurait arrêté ses études à cause d’un accident, et que les demandeurs ne produisent pas d’autres pièces à l’appui de leurs affirmations.

Enfin, s’il est vrai que les coups de téléphone anonymes, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, ils ne dénotent toutefois pas, en l’espèce, une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef des demandeurs au point que leur vie leur serait intolérable dans leur pays d’origine.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 13 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill Reproduction certifiée conforme à l’original.

Luxembourg, le 21 novembre 2016 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18349
Date de la décision : 13/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-13;18349 ?

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