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08/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18576

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 décembre 2004, 18576


Tribunal administratif N° 18576 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2004 Audience publique du 8 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18576 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

M. …, né le … à Saroukhan (Arménie), de nationalité arménienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l...

Tribunal administratif N° 18576 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2004 Audience publique du 8 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18576 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Saroukhan (Arménie), de nationalité arménienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 5 avril 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 16 juillet 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 9 mai 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 12 septembre 2003, M. … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 5 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Vous exposez que vous n’auriez pas fait votre service militaire car vous étiez étudiant, mais vous seriez réserviste dans l’armée russe.

Vous exposez que vous seriez de nationalité arménienne mais que vous auriez quitté l’Arménie avec vos parents au début des années 1990. Vous auriez alors vécu en Fédération de Russie, dans la région de Rostov-sur-le-Don, à Salsk et à Novasioli.

Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique.

Vous auriez travaillé comme chauffeur et vous auriez aussi été propriétaire d’un café.

Vous dites avoir été menacé par les membres d’une organisation appelée LES TETES RASEES. Ceux-ci vous auraient mis en demeure de quitter la Russie. Vous auriez porté plainte, au moins trois fois, d’abord au niveau local et ensuite à la milice de Rostov. Vous dites n’avoir pas eu de nouvelles de ces plaintes.

En ce qui concerne votre pays d’origine, l’Arménie, vous dites y être recherché pour insoumission, puisque vous n’y auriez pas fait votre service militaire.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu‘elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’Arménie, vous vous prétendez insoumis, mais je constate que vous êtes citoyen russe et réserviste en Russie. Il est donc peu probable que vous soyez encore cherché par les autorités militaires arméniennes.

En ce qui concerne la Fédération de Russie, je vous rends attentif que les « Skinheads » que vous craignez ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. De plus, vos plaintes ont toutes été enregistrées et, même si vous n’avez pas eu connaissance des résultats, rien ne vous permet d’affirmer qu’elles ont été classées sans suite. Je note d’ailleurs que vous connaissiez les noms de certains de ces skinheads, mais que vous ne les auriez pas communiqués à la police ce qui aurait pourtant facilité leur enquête.

Pour le surplus, vos dires reflètent davantage un sentiment d’insécurité qu’une véritable crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre région de la Fédération de Russie pour échapper aux personnes dont vous aviez peur.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions, à les supposer établies, ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 21 mai 2004, une audition supplémentaire de l’intéressé en date du 6 juillet 2004 et à une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 16 juillet 2004, M. …, par requête déposée le 19 août 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées du ministre de la Justice des 5 avril et 16 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait été contraint de quitter la Russie, parce que depuis 1999, il y aurait subi à plusieurs reprises des insultes, menaces et maltraitances physiques de la part de « skinheads » qui lui auraient reproché ses origines arméniennes et celles tchétchènes de son épouse et que les autorités policières et judiciaires n’auraient pas pu ou pas voulu le secourir. Dans ce contexte, il critique encore la motivation de la décision du 16 juillet 2004 pour ne pas avoir pris position concrètement par rapport aux éléments complémentaires et aux précisions qu’il aurait fournis au cours de son audition supplémentaire du 6 juillet 2004.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, indépendamment du bien fondé ou mal fondé des motifs de persécution allégués par le demandeur pour ce qui concerne sa situation en Russie, pays où il a immigré avec ses parents au début des années 1990, motifs auxquels le recours contentieux fait uniquement référence, force est de constater que le demandeur est originaire d’Arménie, pays dont il a toujours la nationalité, et qu’il n’a pas justifié à suffisance l’existence d’un risque d’y subir des persécutions au sens de la Convention de Genève ayant légitiment pu l’empêcher de s’y réfugier.

Ainsi, s’il est vrai que le demandeur soutient qu’il risquerait d’être poursuivi en Arménie pour ne pas y avoir accompli son service militaire (page 5 du rapport d’audition du 12 septembre 2003) respectivement par peur d’y être enrôlé de force (page 7 dudit rapport d’audition), il n’en reste pas moins que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et, d’autre part, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments d’appréciation soumis au tribunal qu’un enrôlement l’aurait exposé ou risquerait de l’exposer à la participation à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore qu’il risquerait d’encourir une condamnation disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou qu’une condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 8 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18576
Date de la décision : 08/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-08;18576 ?

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