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06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18912

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18912


Tribunal administratif N° 18912 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18912 du rôle, déposée le 26 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Makeni (Sierra L...

Tribunal administratif N° 18912 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre un arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18912 du rôle, déposée le 26 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Makeni (Sierra Leone), prétendant être de nationalité sierra-léonaise, actuellement retenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d'une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 novembre 2004, prorogeant une mesure de placement pour la durée maximale d’un mois audit Centre de séjour provisoire, initialement instituée par décision du 12 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté entrepris ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Daniel BAULISCH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 décembre 2004.

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Le 7 novembre 2002, Monsieur … introduisit une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 auprès des autorités luxembourgeoises, laquelle demande fut rejetée comme non fondée par décision du ministre de la Justice du 30 septembre 2003. Cette décision fut confirmée sur recours par jugement du tribunal administratif du 28 avril 2004 (n° 17220 du rôle) et par arrêt de la Cour administrative du 13 juillet 2004 (n° 18028C du rôle).

Il ressort d’un procès-verbal du 8 mai 2003, référencé sous le numéro 65284, de la police grand-ducale, circonscription régionale de Luxembourg, Unité S.R.E.C., Service Section Stupéfiants, que Monsieur … fut arrêté le même jour du chef d’infraction à la loi sur les stupéfiants.

Le 29 septembre 2004, les autorités françaises adressèrent, sur base de l’article 16 du règlement n° 343/2003 du Conseil de l’Union européenne du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, une demande de réadmission de Monsieur … par les autorités luxembourgeoises, celui-ci étant entré irrégulièrement en France, où le 26 septembre 2003, il fut interpellé par les services des douanes français à bord du train Luxembourg-Paris.

Le 7 octobre 2004, les autorités luxembourgeoises notifièrent aux autorités françaises qu’elles acceptèrent la demande de reprise en charge de Monsieur ….

Par arrêté du 12 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration refusa l’entrée et le séjour à Monsieur ….

Suivant arrêté du même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d'un mois à partir de la notification de ladite décision dans l'attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

Ladite décision repose sur les considérations suivantes:

« Vu l'article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu les rapports de police n° 60356 du 8 mai 2003, n° 023/03 du 26 mai 2003 et n° 3-

495 du 26 juin 2003 ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 12 octobre 2004 ;

Considérant que l'intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

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qu'il ne dispose pas de moyens d'existence personnels légalement acquis ;

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qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités sierra léonaises ;

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qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ».

Le 13 octobre 2004, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande en obtention d’un laissez-passer en faveur de Monsieur … à la Chancellerie diplomatique de la République de Sierra Leone à Bruxelles.

Par arrêté du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 12 novembre 2004, la susdite décision de placement fut prorogée sur base des mêmes motifs, tout en précisant qu’un laissez-passer avait été demandé aux autorités sierra-léonaises.

Par requête déposée le 26 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l'encontre de l’arrêté ministériel de prorogation de la mesure de placement du 12 novembre 2004.

Etant donné que l'article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.

l'emploi de la main-d'œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur sollicite la réformation de la décision déférée et sa remise en liberté immédiate, sinon que le tribunal ordonne son placement dans un établissement plus approprié à sa situation personnelle.

A l’appui de son recours, il fait valoir que les autorités administratives compétentes n’auraient pas fait toutes les diligences nécessaires en vue d’assurer que la mesure d’éloignement puisse être exécutée sans retard. Il estime que la condition posée par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 relative à l’exigence d’une nécessité absolue en cas de prorogation d’une décision de placement ne serait pas remplie en l’espèce, l’autorité administrative étant restée en défaut de démontrer qu’elle n’aurait pas été en mesure de procéder à l’exécution matérielle de son éloignement dans un délai plus bref, rendant la prorogation de la décision de placement inévitable.

Le demandeur estime ensuite que le motif du défaut d’existence de moyens personnels légalement acquis dans son chef ne saurait justifier une mesure de placement vu sa qualité de demandeur d’asile.

En ordre subsidiaire, il soutient que la décision de placement constituerait une mesure disproportionnée, tant au regard des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qu’au regard de sa situation personnelle.

Le délégué du gouvernement rétorque que la condition de « nécessité absolue » aurait été remplie en l’espèce, en raison du comportement du demandeur qui aurait menti sur ses origines. Il soutient au vu du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises auraient entrepris des diligences suffisantes en vue d’un éloignement rapide du demandeur.

Concernant la justification de la décision de prorogation sous examen, le paragraphe (2) de l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972 dispose que « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Ainsi le tribunal est amené à analyser si le ministre a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’en l’espèce une nécessité absolue rendait la prorogation de la décision de placement inévitable (cf. trib. adm. 20 décembre 2002, n° 15747 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 337 et autres références y citées).

Dans ce contexte, l’autorité compétente doit veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée, étant donné que la prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (cf. trib.

adm. 20 décembre 2002, n° 15735 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 337 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater sur base des éléments d’informations fournis au tribunal que les autorités luxembourgeoises, après avoir procédé à des mesures de vérification quant à l’identité de l’intéressé et après établissement de la fiche signalétique, ont contacté les autorités sierra-léonaises par un courrier du 13 octobre 2004, en vue de l’obtention d’un titre d’identité ou d’un laissez-passer permettant le rapatriement du demandeur vers la Sierra Leone et que le Service de Police Judiciaire a été chargé d’enquêter sur les origines du demandeur. Il résulte ainsi d’un rapport n° 15/2654/2004/KL du Service de Police Judiciaire, Section Police des Etrangers et des Jeux, du 13 octobre 2004, entré au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration le 19 octobre 2004, que le demandeur a été mis en contact téléphonique avec l’ambassade de la Sierra Leone à Bruxelles, laquelle a conclu que le demandeur n’était pas un ressortissant de la Sierra Leone, mais plutôt du Nigeria ou de la Guinée. Suite à une demande du 12 novembre 2004 du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration demandant au service de police judiciaire d’enquêter de nouveau sur le demandeur, ce dernier a été entendu le 19 novembre 2004. Interrogé à nouveau sur son identité et sa nationalité, le demandeur a réaffirmé être originaire de la Sierra Leone, ainsi que cela résulte du rapport n° 15/2926/2004/KL du Service de Police Judiciaire, Section Police des Etrangers et des Jeux, du 22 novembre 2004. Il ressort encore du dossier administratif qu’une enquête a été menée dans le cadre de laquelle Interpol avait pu informer les autorités luxembourgeoises que le demandeur est connu par les autorités suisses sous le nom de « T. M. » venant du Mali. Par courriers des 29 et 30 novembre 2004, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités du Niger, Nigéria, Mali et Guinée en vue de l’obtention d’un laissez-passer permettant le rapatriement du demandeur.

Au vu de ce qui précède, force est de conclure que, compte tenu des spécificités de l’affaire, notamment du défaut de document d’identité valable dans le chef de Monsieur … et des doutes quant à son identité et ses origines, celui-ci persistant à affirmer qu’il serait originaire de la Sierra Leone, et de la nécessité et des délais nécessaires en vue de l’obtention d’un laissez-passer des autorités du pays d’origine de Monsieur …, que le temps pris par le service de police judiciaire pour enquêter sur l’identité et la nationalité réelles du demandeur et faire parvenir le résultat de son enquête au ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, ne saurait être qualifié d’excessif, étant relevé que le ministre a, faute de connaître la véritable identité du demandeur, adressé une demande en obtention d’un laissez-

passer en faveur du demandeur à quatre pays différents et qu’il reste dans l’attente d’une réponse positive de l’un d’eux. Il s’ensuit que l’ensemble des diligences entreprises par les autorités luxembourgeoises afin d’assurer un transfert rapide du demandeur ne saurait être qualifié d’insuffisant et que partant le moyen afférent du demandeur est à écarter comme non fondé.

Quant au moyen tiré de ce que le défaut de moyens d’existence légalement acquis dans le chef du demandeur invoqué à l’appui de la décision litigieuse ne saurait justifier une mesure de rétention, vu sa qualité de demandeur d’asile, force est de constater que ledit moyen manque en fait, étant donné que le demandeur a été définitivement débouté de sa demande d’asile, ainsi que le tribunal a retenu supra, et qu’il n’a pas établi avoir déposé une nouvelle demande d’asile.

En ce qui concerne la critique soulevée en ordre subsidiaire relativement au caractère proportionné du placement de l’intéressé, il est constant en cause que le demandeur n’a pas été placé dans la partie réservée au régime pénitentiaire au sein du Centre pénitentiaire de Schrassig, mais dans une structure spécifique y aménagée, à savoir le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, lequel Centre de séjour est à considérer comme un établissement approprié au sens de la loi précitée de 1972, étant donné qu’il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier au pays, qu’il n’existe aucun élément qui permette de garantir au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration sa présence au moment où il pourra être procédé à son éloignement et qu’il n’a fait état à suffisance de droit d’aucun autre élément ou circonstance particuliers justifiant à son égard un caractère inapproprié de cet établissement.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE S. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18912
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18912 ?

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