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06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18548

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18548


Tribunal administratif N° 18548 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2004 Audience publique du 6 décembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18548 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 août 2004 par Maître Claudie PISANA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …...

Tribunal administratif N° 18548 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 août 2004 Audience publique du 6 décembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18548 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 août 2004 par Maître Claudie PISANA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … , tous les deux étant de nationalité serbo-monténégrine et demeurant ensemble actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juillet 2004 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 29 novembre 2004, en présence de Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître Claudie PISANA, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK, qui se sont rapportées aux écrits respectifs de leurs parties.

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Le 28 novembre 2003, les époux … et … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus séparément le 13 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 28 juillet 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 2 août 2004, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le 13 août 2004, les époux …-… ont fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle prévisée du 28 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer à l’appui de leur recours que Monsieur … aurait été soumis aux pressions constantes de la milice de l’AKSH afin qu’il rejoigne ses rangs. Ils exposent que l’existence de cette milice serait bien connue, mais que les autorités ne feraient rien afin de l’éradiquer.

Ils précisent encore que Madame … aurait été violée « dans le cadre du conflit actuellement officiellement terminé » et qu’elle en conserverait des séquelles d’ordre psychiatrique, qui feraient obstacle à son éventuel retour au Kosovo.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement pour sa part estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne Monsieur …, force est de constater que celui-ci relate avoir reçu en septembre 2003 une lettre émanant de la milice AKSH l’invitant à rejoindre ses rangs, et avoir été arrêté quelques jours plus tard par des membres masqués de cette milice qui l’auraient menacé d’être liquidé au cas où il ne les rejoindrait pas. Monsieur … précise encore n’avoir jamais eu d’autres problèmes en-dehors de cet incident. Il résulte par ailleurs de la déclaration de son épouse que Monsieur … ne semble pas, de prime abord, avoir pris la menace de l’AKSH au sérieux, étant donné qu’il aurait affirmé à son épouse qu’elle ne devrait pas avoir peur, puisqu’ « ils seraient du AKSH et ils ne nous feraient pas de mal ».

Il ressort encore des déclarations du demandeur telles qu’actées au procès-verbal d’audition qu’il avait pris la décision de fuir le Kosovo dès réception de la lettre, c’est-à-

dire à un moment où il n’avait encore fait l’objet d’aucune menace.

Or, une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions. En plus comme il s’agit en l’espèce de persécutions émanant de tiers, et non pas de l’Etat, il appartient au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Toutefois les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Le demandeur n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition de Monsieur … qu’il n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection à l’encontre de la milice.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne son épouse, Madame …, celle-ci affirme avoir fui le Kosovo pour deux raisons, l’une étant son viol par les Serbes pendant la guerre du Kosovo -

guerre qui a pris fin en 1999 - et l’autre tendant à des « problèmes d’incompréhension » de sa famille, la demanderesse prenant soin de déclarer n’avoir plus jamais subi de persécutions après la guerre. Quant aux problèmes auxquels est confronté son mari, elle affirme tout en ignorer (« Je n’ai pas lu cette lettre, il ne me l’a pas montrée. Je ne sais pas de qui elle venait. (…) Je ne sais pas à quel groupe [les personnes masquées] adhéraient (…) ».

Si la demanderesse a certes vécu un drame au cours de la guerre du Kosovo, force est cependant de constater que depuis 1999, elle n’a plus subi la moindre persécution ni n’a été exposée à une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, des problèmes familiaux, d’ailleurs non autrement spécifiés, ne constituant pas un motif d’obtention du statut de réfugié. En effet, le viol de la demanderesse, tout condamnable soit-il, ne saurait actuellement justifier l’obtention du statut de réfugié, étant donné qu’il s’agit d’un incident unique, remontant à plusieurs années, et perpétré de surcroît par des Serbes, qui, contrairement à la situation ayant existé avant la guerre du Kosovo, doivent actuellement être considérés comme l’une des ethnies minoritaires au Kosovo Enfin, en ce qui concerne les troubles psychiatriques dont la demanderesse souffrirait suite à son viol, il y a lieu de rappeler que des problèmes de santé ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié ( trib. adm. 6 décembre 2000, n° 12222, confirmé par arrêt du 8 mars 2001, n° 12721C, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 83, p.211, et les autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 décembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6.12.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18548
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18548 ?

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