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06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18424

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18424


Tribunal administratif N° 18424 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18424 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Urhonigbe-Edo State (Nigeria), de nationalité nigéria...

Tribunal administratif N° 18424 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18424 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Urhonigbe-Edo State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 avril 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

Le 11 juin 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 13 novembre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 avril 2004, lui notifiée par envoi recommandé le 26 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que grâce à l’aide d’un blanc, vous auriez quitté le Nigeria le 4 juin 2003 par avion à destination de Paris. Ensuite, un autre vol vous aurait emmené au Luxembourg où vous seriez arrivé le 5 juin 2003.

Il résulte de vos déclarations qu’un festival du nom d’« Izeki » se tiendrait dans votre ville natale tous les deux ans. Lors de la préparation de ce festival, le chef prêtre consulterait les esprits pour voir désigner la personne chargée de porter une sorte de statue. En avril 2003, le prêtre aurait informé votre père de ce que vous auriez été choisi pour participer au festival qui se tiendrait trois mois plus tard. La personne désignée serait censée passer deux semaines en forêt pour se fortifier et pour recueillir des esprits protecteurs pour affronter le festival même qui ne durerait qu’une journée et au cours duquel des villageois, à l’aide de fusils et de machettes, tenteraient de tirer sur la statue. Vous affirmez que ce festival ne serait pas sans conséquences pour la personne désignée comme elle risquerait d’être tuée par des tirs mal ciblés. Bien que la personne désignée aux fins de porter la statue est censée être protégée par des esprits, vous affirmez ne pas croire en des esprits. Vous indiquez qu’en cas de refus de la personne désignée pour participer au festival, sa famille serait bannie et attaquée spirituellement. En apprenant votre désignation, vous auriez aussitôt fui à Lagos auprès d’un ami de votre père qui vous aurait mis en contact avec un blanc. Après un séjour de trois jours à Lagos, vous auriez quitté le Nigeria le 3 juin 2003 en embarquant sur un vol de la compagnie aérienne Air France à destination de Paris, ensuite sur un autre vol à destination de Luxembourg.

Vous auriez effectué le voyage en avion en compagnie de ce blanc qui vous aurait emmené au Luxembourg et qui aurait été en possession de deux passeports à son nom, l’un britannique, l’autre nigérian. Vous auriez voyagé à l’aide de son passeport britannique et auriez été chanceux que les contrôleurs n’auraient pas remarqué que les deux passeports portaient le nom de la même personne. Vous affirmez avoir peur des villageois fétichistes. Vous affirmez ne pas avoir porté plainte auprès de la police sous prétexte que le Nigeria serait un pays sans loi et que la police serait corrompue.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et reconnaissez ne pas avoir été l’objet de persécutions.

Il y d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient, en eux-

même, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève.

Il ressort du rapport d’audition que vous n’avez subi aucune persécution. A cela s’ajoute que ni le chef prêtre, ni les villageois fétichistes ne sauraient constituer des agents de persécutions. Aussi et surtout, force est de constater que des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement peuvent être invoquées à l’appui d’une demande en obtention du statut de réfugié que si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. En ne requérant point la protection des autorités de votre pays, il n’est pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous protéger ou bien qu’elles encourageraient vos prétendus ennemis.

Enfin, à la question de savoir pour quelle raison vous ne vous êtes pas rendu dans une autre région de votre pays, vous répondez que le Nigeria serait un pays sans lois. Une telle raison n’est certes pas suffisante pour justifier votre impossibilité de bénéficier d’une fuite interne.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 mai 2004, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 avril 2004.

Par décision du 11 juin 2004, lui notifiée par envoi recommandé le 15 juin 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 20 avril 2004.

Le 19 juillet 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du village d’Urhonigbe au Nigeria, et qu’il aurait été désigné par le chef prêtre du village pour porter une statue lors d’une procession dans le cadre d’un festival, statue sur laquelle les autres villageois tireraient à l’aide de fusils et de machettes et qu’il aurait risqué la mort en cas de tirs mal ciblés. Etant donné qu’il n’aurait pas voulu participer à cette procession et de peur des villageois fétichistes, il aurait préféré quitter son village pour se rendre dans un premier temps dans la ville de Lagos et ensuite quitter son pays d’origine, au motif que les autorités nigérianes ne pourraient le protéger.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 13 novembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les faits mis en avant par le demandeur, à les supposer établis, ne sauraient être analysés en une persécution émanant de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s). Or, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant donné qu’il ne s’est même pas adressé auxdites autorités pour obtenir une protection, face à la prétendue menace pesant sur lui et due aux agissements du chef prêtre de son village d’origine et des villageois fétéchistes.

Enfin, force est encore de constater que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit qu’il ne peut trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale, la simple affirmation qu’il risque d’être retrouvé par les adeptes du festival étant insuffisante à cet égard.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18424
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18424 ?

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