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06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18394

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18394


Tribunal administratif N° 18394 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18394 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Monsieur …, né le … à Matoto-Conakry (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant...

Tribunal administratif N° 18394 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18394 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Matoto-Conakry (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 mai 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

Le 18 novembre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date des 15 et 30 janvier 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 mai 2004, lui notifiée par envoi recommandé le 6 mai 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous seriez membre de l’UNR, mais que vous auriez abandonné vos activités politiques en 1999 au sein de ce parti parce que vous seriez découragé. Votre mère, principale responsable de l’UNR aurait également arrêté ses activités, de sorte qu’elle n’aurait plus participé aux campagnes électorales de 2003.

Vous faites également état de problèmes et conflits ethniques en Guinée. Les peuls, ethnie à laquelle vous dites appartenir, seraient les plus nombreux et les plus riches, mais il n’y aurait jamais eu de président peul. Vous dites ne pas pouvoir aller au quartier Kaloum à Conakry, parce que majoritairement peuplé de soussous. Vous admettez que la situation et les relations entre les différentes ethnies se seraient améliorées depuis 2000.

La principale raison pour laquelle vous auriez quitté la Guinée serait liée au fait qu’en janvier 2003 une des femmes de votre père, qui selon vos dires serait un grand marabou et homme respecté, vous aurait vu ensemble avec un de vos amis nus dans un lit. Cette femme aurait alors répandu la rumeur que vous auriez fait des « choses » avec cet ami, alors que cela n’aurait pas été le cas. Les gens auraient commencé à vous regarder différemment et il y aurait eu des inscriptions diffamatoires sur les murs de votre école. On vous aurait même refusé l’entrée à la mosquée. Vous auriez très mal vécu cette situation et vous auriez eu honte jusqu’à vouloir vous suicider.

Vous vous seriez senti discriminé. Votre père vous aurait demandé des explications, mais il ne vous aurait pas cru et il vous aurait chassé de la maison et déshérité. Quand vous auriez su qu’une femme de votre père aurait lancé la rumeur vous auriez voulu la tuer et vous suicider en même temps. Vous seriez allé la voir en juin-juillet 2003 avec le fusil de votre père, mais le fusil n’aurait pas été chargé. Vous auriez alors tapé la femme avec le fusil et vous vous seriez ensuite enfui. Vous dites être recherché par la police pour ces raisons. Vous vous seriez caché chez une amie de votre mère le temps que votre mère aurait organisé votre voyage. En septembre 2003 vous auriez pris un avion de Conakry jusqu’à Casablanca où vous auriez fait escale. Vous auriez ensuite pris un autre avion pour Bruxelles où vous auriez vécu chez un homme pendant un mois moyennant une certaine somme. Quand vous n’auriez plus eu d’argent cet homme vous aurait emmené au Luxembourg, où vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 18 novembre 2003.

Vous dites avoir une carte d’identité et un passeport qui seraient pourtant restés en Guinée. Vous dites ne pas avoir les moyens pour contacter votre mère afin qu’elle vous envoie ces papiers. Cette déclaration jette un doute quant à votre volonté réelle de collaborer avec le Ministère de la Justice afin de prouver votre identité et/ou nationalité.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine. En effet, les problèmes liés au fait que la femme de votre père vous aurait vu au lit avec un de vos amis et aurait lancé des rumeurs ne sauraient être considérés comme actes de persécution au sens de la Convention de Genève. Les problèmes qui en auraient suivi avec votre père et les diffamations dont vous auriez été victime ne rentrent également pas dans le cadre de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que ni cette femme, ni votre père, ni les personnes qui vous auraient diffamé ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Le fait que vous auriez eu honte ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié.

Le fait que vous seriez recherché par la police ne saurait également pas être considéré comme acte de persécution, étant donné que c’est à juste titre que la police vous recherche pour coups et blessures volontaires. A cela s’ajoute que vous admettez vous même avoir voulu tuer cette femme par vengeance et que le simple fait que le fusil n’aurait pas été chargé vous en aurait empêché. Vous auriez alors blessé la femme en vous rendant ainsi coupable d’un délit de droit commun.

Même si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, il n’en résulte pas automatiquement que tout membre d’un parti d’opposition risque des persécutions de la part du pouvoir en place, d’autant plus que vous admettez vous même avoir arrêté la politique en 1999 et que vous ne faites pas état de problèmes quelconques à ce niveau.

En ce qui concerne les problèmes ethniques, un rapport de la « Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada » de juin 2001 repris par l’UNHCR décrit que la situation des peuls n’est juridiquement et politiquement point différente de celle des autres ethnies en Guinée. Les peuls jouissent à part entière des droits de citoyenneté dans tous les domaines de la vie nationale. Ils constituent une force réelle dans le commerce, l’administration, l’enseignement, les forces armées, la diplomatie, la presse et la vie politique. Les députés peuls sont nombreux et influents aussi bien dans le parti gouvernemental que dans l’opposition. A cela s’ajoute que vous déclarez vous même que les relations entre les différentes ethnies se seraient améliorées et vous ne faites également pas état de problèmes à ce niveau.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 mai 2004, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 mai 2004.

Par décision du 11 juin 2004, lui notifiée par envoi recommandé le 15 juin 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 4 mai 2004.

Le 12 juillet 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 4 mai 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Conakry en Guinée, qu’il appartiendrait à l’ethnie des « peuls », qu’il aurait été membre du parti politique « UNR », au même titre que sa mère, et qu’il aurait dû quitter son pays d’origine en raison de conflits ethniques avec l’ethnie des « soussous » et de problèmes familiaux qu’il aurait eu avec une des épouses de son père qui l’aurait dénigré publiquement, avec pour conséquence que son père l’aurait chassé de la maison et déshérité. Lorsqu’il aurait su qu’une des épouses de son père serait à l’origines desdites rumeurs, il aurait essayé de la tuer, mais étant donné que son fusil n’aurait pas été chargé, il aurait simplement battu cette femme avec le fusil et se serait enfui ensuite, de sorte qu’il serait à l’heure actuelle recherché par la police.

Il estime remplir les conditions pour bénéficier de l’asile et reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions les 15 et 30 janvier 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Force est de constater que les craintes mises en avant par le demandeur se rapportent en premier lieu à un différend d’ordre familial l’opposant à son père et à une des épouses de ce dernier, sans que cette crainte ne se rapporte à un quelconque acte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, les coups et blessures qu’il a portés à une des épouses de son père et les poursuites policières dont il prétend à présent faire l’objet ne sont que la suite logique d’un délit de droit commun par lui commis.

Pour le surplus, il résulte des déclarations faites par Monsieur … que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions ou de menaces du fait d’une activité politique quelconque, le demandeur ayant même admis avoir cessé toute activité politique en 1999.

Concernant finalement le prétendu conflit entre l’ethnie des « peuls » et celle des « soussous », il convient de retenir que ledit conflit est resté à l’état de simple allégation, le demandeur ayant même admis que les relations entre les différentes ethnies en Guinée se sont améliorées depuis 2000 (« Depuis 2000 cela c’était arrangé parce qu’il y a eu beaucoup de campagnes anti-racistes à la télévision »).

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18394
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18394 ?

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