La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18387

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18387


Tribunal administratif N° 18387 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

============================

Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18387 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skopje (Macédoine), et de Madame …, née le … à Skopje, les deux...

Tribunal administratif N° 18387 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004

============================

Recours formé par Monsieur … et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18387 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skopje (Macédoine), et de Madame …, née le … à Skopje, les deux de nationalité macédonienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 avril 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Barbara NAJDI et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 28 juillet 2003, Monsieur … et Madame … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 8 octobre 2003, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 29 avril 2004, leur notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 5 mai 2004, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains les rapports d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 8 octobre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté la Macédoine le 23 juillet 2003 dans une camionnette. Vous auriez traversé la Serbie, la Croatie et la Slovénie.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 28 juillet 2003.

Monsieur, vous exposez que vous n’auriez pas été appelé au service militaire.

Vous dites avoir été membre du parti PDI mais sans que cela ne vous pose de problèmes.

Vous auriez été membre de l’UCK. Après le conflit en Macédoine, vous auriez reçu des menaces de l’AKSH. Ces menaces auraient débuté en 2003. Vous feriez partie d’un groupe qui serait, à la fois, accusé du vol d’une importante somme d’argent dans les caisses de l’UCK et d’avoir tué des Albanais pendant la guerre en 2001. Un des membres de ce groupe aurait été blessé par balles en juin 2003. Une enquête aurait été ouverte, sans résultat. Par la suite, d’autres membres de ce groupe auraient été tués. Les coupables n’auraient pas (…) été découverts.

Vous précisez que l’UCK se serait transformée en parti politique : le PDI.

L’AKSH voudrait l’union des régions macédoniennes avec le Kosovo et l’Albanie. Ses membres seraient infiltrés partout.

Vous, Madame, vous prétendez avoir été membre du PDI et avoir perdu votre travail à cause de cela. En effet, les Albanais auraient été licenciés pour être remplacés par des Macédoniens. Pour le surplus, vous confirmez le récit de votre compagnon. Vous confirmez avoir peur de l’AKSH.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs que, pour invoquer l’article 1er de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Les faits que vous invoquez, à les supposer établis, ne présentent pas une gravité telle qu’une persécution au sens de la Convention de Genève soit établie. Je constate que des enquêtes ont été ouvertes lors du décès de vos camarades.

Quant à vous, Madame, à part la perte de votre emploi, je constate que vous n’invoquez aucune persécution ni mauvais traitements personnels.

Votre récit reflète surtout un sentiment d’insécurité générale plutôt qu’une crainte réelle de persécution. Ce sentiment est insuffisant pour fonder une persécution au sens de la Convention précitée.

Quant aux membres de l’AKSH, ils ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la Convention précitée. L’incapacité que vous attribuez aux autorités de votre pays de vous assurer une protection, n’est pas établie.

Pour le surplus, je vous informe que, depuis les élections de septembre 2002, la situation politique s’est stabilisée en Macédoine. L’OSCE a d’ailleurs déclaré que les élections s’étaient déroulées de façon libre et loyale. Huit formations de tous bords, politique et ethnique, sont actuellement représentées au Parlement. La Macédoine ne saurait être considérée comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

De plus, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous était impossible de vous installer dans une autre ville ou une autre région de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Le 27 mai 2004, Monsieur … et Madame … formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Suivant décision du 11 juin 2004, leur notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 15 juin 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 12 juillet 2004, Monsieur … et Madame … ont introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de refus du 29 avril 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de Macédoine et de confession musulmane. Monsieur … fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine parce que sa sécurité n’y serait pas garantie. Dans ce contexte, il affirme avoir fait l’objet de menaces de mort et de pressions en raison de son appartenance à l’UCK de la part de membres de l’AKSH, lesquels accuseraient son groupe d’avoir volé de l’argent dans les caisses de l’UCK et d’avoir tué des Albanais durant le conflit de 2001. Il précise qu’en juin 2003, un membre de son groupe et son épouse auraient été blessés par balle et que, le 9 juillet 2003, deux autres membres de son groupe et sa cousine auraient été tués dans une attaque armée de l’AKSH et qu’il aurait peur de subir le même sort. Il ajoute qu’en 2001, il aurait été battu par un policier à un point de contrôle qui lui aurait reproché son appartenance à l’UCK, et en conclut que les autorités en place ne sauraient pas le protéger efficacement. Madame … fait valoir qu’elle aurait comme son fiancé été membre du parti politique PDI et qu’elle aurait été licenciée en raison de son appartenance à ce parti et de son origine albanaise.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, Monsieur … fait essentiellement état de sa crainte de subir des actes de violence de la part des membres de l’AKSH qui l’auraient menacé de mort. Or, s’il est vrai que ces menaces, à les supposer établies, sont certes condamnables, il n’empêche que celles-ci n’émanent pas de l’Etat, mais de personnes privées, lesquelles ne sauraient dès lors être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf.

Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, Monsieur … ne démontre point que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Macédoine, étant entendu que sa simple affirmation que l’enquête de la police n’aurait pas été couronnée de succès est insuffisante pour établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place. Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que Monsieur … affirme avoir été battu par un policier, ce fait, à le supposer établi, outre d’être un fait isolé, remonte à 2001 et est partant sans lien avec les faits s’étant déroulés au courant des mois de juin et juillet 2003.

En ce qui concerne Madame …, elle invoque comme seul motif de persécution la perte de son emploi en raison de ses opinions politiques. Or, l’affirmation qu’elle serait victime d’une persécution à caractère politique reste à l’état de simple allégation. S’il est vrai qu’une persécution peut être établie sur base de la cessation involontaire d’une relation de travail de la part d’un salarié, il n’en demeure pas moins que ce fait à lui seul ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur d’asile devra établir des circonstances particulières à analyser au cas par cas, permettant à l’autorité compétente et, le cas échéant, aux juridictions administratives, d’apprécier si, au-delà de son allégation quant à son appartenance ethnique ou religieuse, il existe des éléments précis, cohérents et crédibles qui rendent une persécution ou une crainte de persécution vraisemblable dans son chef. En l’espèce, de telles circonstances particulières ne sont pas établies dans le chef de Madame …, vu qu’il ressort de ses propres déclarations faites lors de son audition du 8 octobre 2003 que son licenciement aurait été motivé par des raisons économiques.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18387
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18387 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award