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06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18382

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18382


Tribunal administratif N° 18382 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, ,,, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18382 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-mo...

Tribunal administratif N° 18382 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2004 Audience publique du 6 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, ,,, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18382 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pristina (Kosovo/Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 avril 2004, portant rejet de sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié comme non fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 11 juin 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

En date du 6 janvier 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 15 mars 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 avril 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 15 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du service de Police Judiciaire qu’en compagnie de votre frère Florim, vous auriez quitté le Kosovo en juillet 2003 pour vous rendre à Tirana/Albanie. Le 4 janvier 2004, vous seriez partis de l’Albanie pour rejoindre Bari/Italie en bateau. Vous auriez ensuite pris place à bord d’un camion qui vous aurait emmenés au Luxembourg.

Vous auriez quitté le Kosovo parce que vous n’y auriez ni travail, ni revenus.

Occasionnellement, il vous arrivait d’effectuer des travaux journaliers. Vous dites n’avoir pu manger à votre faim au Kosovo. De juillet à décembre 2003, vous auriez séjourné en Albanie où vous auriez travaillé comme ouvrier dans la construction. La personne albanaise qui vous aurait accueilli chez elle vous aurait conseillé de partir ailleurs. Vous indiquez ne pas avoir eu autres problèmes dans votre pays d’origine. Vous affirmez ne pas vous intéresser à la politique et ne pas être membre d’un parti politique.

Enfin, vous ne faites pas état de persécutions personnelles. Vous souhaitez trouver un emploi au Luxembourg, être logé et nourri.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions dans votre pays d’origine. Des raisons purement économiques ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. A cela s’ajoute que le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les Albanais.

Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 17 mai 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre de la Justice confirma le 11 juin 2004 sa décision initiale du 8 avril 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 8 avril et 11 juin 2004.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. - Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire est encore recevable pour avoir été formé dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris position par rapport à l’objet réel de sa demande, lequel aurait tendu à se voir reconnaître un titre de séjour à caractère humanitaire. Dans ce contexte, il soutient que le ministre aurait dû qualifier sa demande en ce sens, étant donné qu’à l’occasion de son audition, il n’aurait fait valoir aucun problème politique ou religieux, mais uniquement sa volonté de trouver du travail pour subvenir à ses besoins. Il estime que sa demande serait étrangère au cadre légal de la Convention de Genève et qu’il aurait appartenu à l’autorité administrative d’appliquer le droit applicable à sa demande et de se prononcer sur son bien-fondé indépendamment du cadre légal de la Convention de Genève, non applicable en l’espèce. Il en conclut que le refus implicite de lui accorder un titre de séjour à caractère humanitaire serait à annuler pour défaut de motivation, dans la mesure où le ministre de la Justice aurait omis de répondre à la demande d’asile humanitaire introduite par lui.

En ordre subsidiaire, il soutient que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits en concluant qu’il ne justifierait pas d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Dans ce contexte, il estime que son appartenance à un groupe social, qui serait confronté à des difficultés financières extrêmes, mettrait sa vie en danger, d’autant plus que les autorités en place ne seraient pas capables de subvenir aux besoins les plus élémentaires de la population.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Concernant le premier moyen du demandeur tiré d’une erreur de qualification de sa demande par les autorités luxembourgeoises, force est de constater au vu des pièces du dossier administratif et notamment du compte rendu d’audition du 15 mars 2004, qu’il est constant en cause qu’en date du 6 janvier 2004, Monsieur … s’est présenté au Bureau d’accueil pour réfugiés, qu’en date du 15 mars 2004, il a été auditionné par un agent du ministère de la Justice dans le cadre d’une demande d’asile au sens de la Convention de Genève et qu’il a signé le rapport d’audition intitulé « Rapport sur la demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 », sans émettre une quelconque réserve.

S’il est vrai que, interrogé sur les raisons de son départ du Kosovo, il a répondu qu’il était parti « parce qu’il n’y a rien, pas de travail, on est une famille nombreuse sans place pour dormir » et à la question sur ce qu’il attendait de la part des autorités luxembourgeoises, il a répondu « Je demande juste un petit quelque chose pour que je puisse vivre de mon travail », il n’empêche qu’il n’a à aucun moment de son audition devant l’agent du ministère de la Justice indiqué qu’il demandait une autorisation de séjour au Luxembourg pour des raisons humanitaires. S’y ajoute qu’il a encore expressément sollicité par le biais de son mandataire dans le cadre de son recours gracieux le réexamen de « sa demande visant à lui voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » et « le bénéfice de l’asile politique (sic) ».

Dès lors, le simple fait d’avoir invoqué des problèmes d’ordre matériel et économique dans le cadre de sa demande ne saurait suffire pour admettre que le demandeur ait posé une demande en obtention d’un titre de séjour pour des raisons humanitaires.

S’il est certes exact qu’en vertu de l’obligation de collaboration de l’administration, toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et qu’il appartient à celle-ci de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable, il n’en reste pas moins qu’il appartient également à l’administré de collaborer avec l’administration et de mettre celle-ci en mesure d’appliquer la règle la plus favorable, notamment en précisant en temps utile la portée exacte de sa demande. Or, tel que relevé en l’espèce, il ressort clairement du libellé du recours gracieux que la demande tend à l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et non pas à l’obtention d’un titre de séjour à caractère humanitaire.

C’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a analysé la demande posée par le demandeur comme une demande d’asile au sens de la Convention de Genève et qu’on ne saurait reprocher au ministre de la Justice de ne pas avoir pris position quant à une prétendue demande en obtention d’un titre de séjour pour des raisons humanitaires. Il s’ensuit que le moyen afférent est à écarter comme non fondé.

Concernant les prétendus motifs de persécution invoqués par le demandeur en ordre subsidiaire, il se dégage de l’examen de ses déclarations faites lors de son audition, telles que relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, qu’il reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait valoir en substance des raisons d’ordre matériel et économique, telles l’impossibilité de trouver du travail et la crainte de difficultés financières.

Or, les problèmes d’ordre économique de Monsieur …, à les supposer établis, et quelle que soit leur gravité, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à fonder une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18382
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18382 ?

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