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06/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18125

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 décembre 2004, 18125


Tribunal administratif N° 18125 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 6 décembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18125 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2004 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le…, tous les deux étant de na...

Tribunal administratif N° 18125 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 6 décembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18125 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2004 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le…, tous les deux étant de nationalité albanaise et demeurant ensemble actuellement à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 avril 2004 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 29 novembre 2004, en présence de Maître Lise REIBEL, en remplacement de Maître Marc MODERT, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK, qui se sont rapportées aux écrits respectifs de leurs parties.

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Le 9 janvier 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève », tandis que son épouse, Madame …, introduisit une demande identique en date du 15 septembre 2003.

Le jour de leurs demandes respectives, les époux…-… furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu les 27 février et 27 mars 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, son épouse ayant pour sa part été auditionnée le 4 novembre 2003.

Par décision du 5 février 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 10 février 2004, le ministre de la Justice informa les époux…-… de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre 5 mars 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice prit une décision confirmative le 26 avril 2004, notifiée par courrier recommandé du 26 avril 2004.

Le 27 mai 2004, les époux…-… ont fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre la décision ministérielle prévisée du 26 avril 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours principal en annulation au motif qu’un recours au fond serait prévu en la matière.

Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2004, v° recours en réformation, n° 3 et autres références y citées).

Or, étant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en annulation, formulé à titre principal, est irrecevable.

Le recours en réformation pour sa part, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer à l’appui de leur recours qu’ils sont venus au Luxembourg pour fuir la situation politique désespérée de leur pays. Monsieur… fait valoir qu’il aurait été engagé au sein du parti démocratique, qu’il aurait été personnellement présent lors de l’assassinat du député HAJDARI le 14 septembre 1998 et qu’il aurait travaillé en tant que chauffeur du directeur des services secrets de Tirana, et qu’il a subi, pour cette triple raison, des brutalités et menaces incessantes. Madame … relate quant à elle avoir subi de nombreuses perquisitions et manœuvres d’intimidation de la part de la police depuis le départ de son mari.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement pour sa part estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours. Il relève de prime abord qu’aucun élément de preuve tangible ne corroborerait les dires des demandeurs, et expose que la situation politique en Albanie se serait améliorée depuis 1999, de sorte qu’une persécution systématique des membres des partis d’opposition serait à exclure.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne Monsieur…, celui-ci a exposé au cours de ses auditions avoir été poursuivi parce qu’il aurait été employé jusqu’en 1997 en tant que chauffeur par les services secrets albanais. Force est cependant de constater qu’il ne relate aucun incident précis à ce sujet, mais se contente d’affirmer que tous les membres des services secrets seraient actuellement considérés comme des criminels.

En ce qui concerne les persécutions prétendument subies du fait de son appartenance politique, le tribunal constate que celles-ci, aux dires du demandeur, ont essentiellement pour cause sa présence lors de l’assassinat d’un député en date du 12 septembre 1998, sa participation à une manifestation en date du 14 septembre 1998 contre le premier ministre de l’époque, ainsi que sa participation à une autre manifestation en date du 28 novembre 2001.

Il s’avère cependant, outre le fait que les deux premiers incidents remontent à plus de cinq ans, que le demandeur était entre-temps venu pendant trois mois au Luxembourg, pour retourner en été 1999 de sa propre initiative en Albanie, comportement difficilement compatible avec les craintes pour sa vie dont il fait actuellement état.

En ce qui concerne la participation du demandeur à la manifestation du 28 novembre 2001, il y a lieu de constater que le demandeur reste extrêmement vague quant aux persécutions ayant suivi celle-ci. Le tribunal tient d’ailleurs à relever que si le demandeur parvient à exposer avec un certain degré de précision la situation politique de son pays d’origine, les faits qu’il a prétendument vécus lui-même ne sont en revanche que très sommairement esquissés, le demandeur ne relatant à ce sujet pas un seul incident avec précision.

Il y a encore lieu de relever que les documents rédigés en langue albanaise versés par les demandeurs sans la moindre traduction ne sauraient être pris en considération par le tribunal.

Il échet enfin de relever que si le demandeur affirme avoir subi « pratiquement tout le temps » des mauvais traitements physiques de la part de la police et des services secrets, son épouse en revanche déclare tout ignorer des problèmes de son mari (« Je ne suis pas au courant sur ses problèmes »), affirme n’avoir personnellement subi aucune persécution, et surtout relève que les problèmes de son mari n’ont aucunement affecté sa vie quotidienne et ne pas avoir peur de retourner en Albanie.

Or, une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions, ce qui en l’espèce ne ressort ni des éléments apportés en cours de procédure administrative, ni des éléments fournis en cours de procédure contentieuse.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne son épouse, Madame …, celle-ci, outre qu’elle affirme n’avoir jamais subi de persécutions, déclare explicitement au cours de son audition n’être venue au Luxembourg que pour y rejoindre son mari, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme réfugiée au sens de la Convention de Genève.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation non autrement étayée contenue dans le recours, selon laquelle elle aurait été harcelée en Albanie par les forces de police, cette affirmation se trouvant en contradiction flagrante avec les déclarations explicites de la demanderesse telles qu’actées dans son procès-verbal d’audition.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en annulation irrecevable, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 décembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18125
Date de la décision : 06/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-06;18125 ?

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