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01/12/2004 | LUXEMBOURG | N°17914

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 décembre 2004, 17914


Numéro 17914 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2004 Audience publique du 1er décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition Mersch en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17914 du rôle, déposée le 15 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Pierre WINANDY, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …...

Numéro 17914 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 avril 2004 Audience publique du 1er décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition Mersch en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17914 du rôle, déposée le 15 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992, émis le 23 octobre 1997 par le bureau d'imposition Mersch, ainsi que du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1993, émis le 11 décembre 1997 par le même bureau d'imposition;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2004 par Maître Jean-Pierre WINANDY pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Pierre WINANDY et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 novembre 2004.

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Suivant bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 1988, 1989 et 1990 émis le 23 octobre 1997, le bureau d'imposition Mersch de la section personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d'imposition », refusa à Monsieur …, préqualifié, d’appliquer le régime d’exonération de la loi modifiée du 27 avril 1984 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises et la création d’emploi au moyen de la promotion de l’épargne mobilière, dite « loi Rau », aux distributions cachées de bénéfices lui allouées par les sociétés …, …, …, … et ….

Par bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 1991 et 1992, émis le 23 octobre 1997, et bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1993, émis le 11 décembre 1997, le bureau d'imposition refusa la déduction en tant que frais d’obtention d’intérêts débiteurs et de droit de garde en relation avec la participation supérieure à 25% par lui détenue dans la société C..

Suivant plusieurs réclamations datées au 22 janvier 1998, Monsieur … réclama contre tous ces bulletins d’impôt en sollicitant, concernant les distributions cachées prévisées, principalement leur exonération sur base de la loi Rau et subsidiairement, si elles étaient qualifiées de recettes imposables, la déduction des intérêts débiteurs relatifs à ses participations dans les sociétés en question en qualité de frais d’obtention. Quant à sa participation dans la société C., Monsieur … demanda également la déduction des intérêts débiteurs et droits de garde y relatifs comme frais d’obtention.

Ses susdites réclamations étant restées sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée le 15 avril 2004, un recours contentieux tendant à la réformation des bulletins prévisés de l’impôt sur le revenu des années 1988 à 1993.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en l’absence d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre ce même bulletin. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur déclare d’abord renoncer à sa prétention principale tendant à l’exonération, par application de la loi Rau, des distributions cachées lui allouées par les sociétés susvisées en admettant que la jurisprudence serait actuellement fixée dans le sens de l’exclusion de telles distributions du champ d’application de la loi Rau. Il estime cependant que les intérêts débiteurs y relatifs, d’un total de 23.863 LUF pour 1988, 102.223 LUF pour 1989 et de 627.447 LUF pour 1990, devraient être déductibles en tant que dépenses spéciales ou frais d’obtention.

Concernant sa participation dans la société C., le demandeur fait valoir que du fait de sa qualification comme participation importante, tant les revenus courants en découlant sous formes de dividendes que le produit de sa cession constitueraient des revenus imposables, de sorte que les frais en relation avec cette participation devraient être qualifiés de frais d’obtention sans qu’une impossibilité d’une réalisation prévisible d’un excédent des recettes sur les dépenses ne puisse être invoquée pour s’y opposer au vu des bénéfices dégagés par cette société. Le demandeur renvoie à cet égard à la jurisprudence allemande afférente ainsi qu’à la jurisprudence luxembourgeoise récente tendant dans ce sens.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a déclaré qu’au vu des nombreux redressements opérés par le bureau d'imposition par rapport à ses déclarations fiscales, il ne serait pas en mesure de retracer exactement dans quelle proportion les intérêts débiteurs et droits de garde en cause auraient été pris en compte ou écartés par le bureau d'imposition et partant de chiffrer exactement les bases d’imposition litigieuses. Il a dès lors demandé au tribunal de statuer essentiellement sur la question de principe de savoir si les intérêts débiteurs et droits de garde litigieux sont susceptibles d’être qualifiés de frais d’obtention déductibles et, dans l’affirmative, de renvoyer les impositions déférées devant le bureau d'imposition compétent en vue de la modification des bases d’imposition et des cotes d’impôt sur le revenu en découlant à la lumière des réponses de principe dégagées.

Dans la mesure où les éléments à disposition du tribunal ne permettent effectivement pas de quantifier précisément les différents chefs d’intérêts débiteurs et d’autres frais que le bureau d'imposition a partiellement ou totalement refusé d’admettre en déduction comme frais d’obtention et où le délégué du gouvernement n’a pas contesté les éléments factuels à la base du recours sous analyse et ne s’est pas opposé à cette demande, il y a dès lors lieu d’y donner suite et de limiter l’objet du présent jugement à la réponse de principe si lesdits intérêts débiteurs et autres frais sont susceptibles de constituer des frais d’obtention et, le cas échéant, de renvoyer les impositions devant le bureau d'imposition afin que celui-ci puisse vérifier leurs nature et réalité, y compris leur import.

L’article 105 (1) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », dans sa teneur déjà applicable aux années d’imposition litigieuses en l’espèce, considère comme frais d’obtention « les dépenses faites directement en vue d’acquérir, d’assurer et de conserver les recettes ».

Les intérêts débiteurs découlant d’un emprunt servant à l’acquisition de titres qui sont de nature à dégager des recettes imposables sont à qualifier de frais d’obtention dans le cadre de revenus de capitaux mobiliers, dans la mesure où ils ont été déboursés dans le but d’acquérir la source de recettes imposables constituée par des parts d’une société de capitaux (cf. trib. adm. 11 juillet 2001, n° 12516, confirmé sur ce point par arrêt du 31 janvier 2002, n° 13898C, Pas. adm. 2004, v° Impôts, n° 107 et autres décisions y visées).

Les intérêts débiteurs devant ainsi, au bénéfice et dans les limites des développements qui précèdent, être considérés comme répondant à la notion de frais d’obtention, la relation causale ainsi établie n’est pas rompue par la circonstance que les frais d’obtention dépassent les recettes pour autant qu’au moment de l’engagement des frais, la réalisation de recettes positives peut être raisonnablement escomptée. En effet, les articles 97, 103 et 105 LIR ne comportent aucune disposition en sens contraire et l’article 103 LIR, en définissant le revenu net comme l’excédent des recettes sur les frais d’obtention, ne fixe aucune limitation à la déductibilité de frais d’obtention et admet, conformément au principe de l’imposition selon la capacité contributive, que le revenu net peut être négatif si le montant des frais d’obtention dépasse celui des recettes. En l’absence encore d’une quelconque restriction légale ou réglementaire afférente dans la législation applicables aux années d’imposition en cause, il échet également d’admettre qu’un revenu net négatif dégagé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers peut être compensé sur base de l’article 7 (2) LIR avec les revenus nets des autres catégories de revenus visées par l’article 10 LIR (cf.

trib. adm. 29 mars 1999, Schmitz, n° 10428, confirmé par Cour adm. 11 janvier 2000, n° 11285C, Pas adm. 2004, v° Impôts, n° 107).

Il ressort des développements qui précèdent qu’outre la prémisse d’une relation économique entre ces frais et l’acquisition ou la conservation des titres visés, l’admissibilité d’une déduction d’intérêts débiteurs découlant d’un emprunt servant à l’acquisition de titres en tant que frais d’obtention se trouve soumise à la double condition que les titres en cause soient de nature à dégager des recettes imposables et que le but d’acquérir la source de recettes imposables se traduise par la perspective, au moment de l’engagement des frais, que la réalisation de recettes positives peut être raisonnablement escomptée. Les mêmes principes doivent trouver application aux autres frais en relation avec des parts d’une société de capitaux.

Quant à la participation détenue par le demandeur dans la société C., il y a lieu d’ajouter que, dans le cadre d’une participation importante, la condition de la perspective au moment de l’engagement des frais que la réalisation de recettes positives imposables peut être raisonnablement escomptée doit ainsi être appréciée au regard non seulement d’une future distribution de dividendes imposables, mais également en tenant compte d’une plus-

value imposable dégagée lors de la cession de la participation ou lors du partage de l’actif de la société en cause, étant donné que les bénéfices non distribués augmentent nécessairement la valeur des actions de ladite société (cf. trib. adm. 11 juillet 2001, n° 12516, Pas. adm.

2004, v° Impôts, n° 110).

Au bénéfice de l’accord des parties quant à la délimitation de l’objet du présent jugement, il y a donc lieu de retenir que les intérêts débiteurs et autres frais en cause, en relation tant avec les titres ayant donné lieu aux distributions cachées susvisées qu’avec la participation dans la société C., sont susceptibles de constituer des frais d’obtention déductibles dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour autant que les conditions prédéveloppées se trouvent vérifiées et de renvoyer les impositions devant le bureau d'imposition afin de procéder aux vérifications afférentes et, le cas échéant, de modifier les bulletins d’impôt déférés en conformité avec ces principes.

Dans la mesure où l’impossibilité pour le tribunal de vider complètement le recours sous analyse est essentiellement le produit du défaut de l’Etat d’avoir soumis des éléments détaillés quant au traitement des intérêts débiteurs et autres frais en cause et quant aux redressements concrètement opérés, il y a lieu de laisser les frais entièrement à charge de l’Etat.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, dit que la déduction, en qualité de frais d’obtention dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, de l’ensemble des intérêts débiteurs et autres frais en cause, se trouve soumise à la triple condition 1.

qu’ils se trouvent en relation économique avec les titres ayant donné lieu aux distributions cachées susvisées ou avec la participation dans la société C., 2.

que les titres en cause soient de nature à dégager des recettes imposables et 3.

que le but d’acquérir la source de recettes imposables se traduise par la perspective, au moment de l’engagement des frais, que la réalisation de recettes positives peut être raisonnablement escomptée, dit que le revenu net de capitaux mobiliers peut être négatif et qu’un revenu net négatif éventuellement dégagé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers peut être compensé avec les revenus nets des autres catégories de revenus, renvoie les impositions devant le bureau d'imposition compétent en vue de la vérification si les intérêts débiteurs et autres frais en cause répondent à ces trois conditions et, le cas échéant, de la modification des bulletins d’impôt entrepris en conformité avec le résultat de ces vérification et les principes ci-avant dégagés, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 1er décembre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

s. LEGILLE s. CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17914
Date de la décision : 01/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-01;17914 ?

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