La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18096

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 novembre 2004, 18096


Tribunal administratif N° 18096 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mai 2004 Audience publique du 29 novembre 2004

============================

Recours formé par Madame … et Monsieur …, ,,, contre des décisions du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d'autorisation de séjour

--------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18096 du rôle, déposée le 24 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité chilien...

Tribunal administratif N° 18096 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 mai 2004 Audience publique du 29 novembre 2004

============================

Recours formé par Madame … et Monsieur …, ,,, contre des décisions du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d'autorisation de séjour

--------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18096 du rôle, déposée le 24 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, de nationalité chilienne, et de son partenaire de vie Monsieur …, de nationalité luxembourgeoise, les deux demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision non datée du ministre de la Justice, notifiée en date du 26 février 2004 au Comité de Liaison et d’Action des Etrangers, portant rejet d'une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame …, et en ordre subsidiaire et, pour autant que de besoin, d’une décision du ministre de la Justice du 27 mai 2003, telle que cette décision a été confirmée par le même ministre suivant une décision du 13 juin 2003, d’une décision du ministre de la Justice du « 10 juin 2003 » et d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du « 23 avril 2004 », portant rejet de la demande de régularisation introduite par le Comité de Liaison et d’Action des Etrangers ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 27 mai 2004 par laquelle Madame … a été autorisée à résider sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur le mérite du recours au fond ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 août 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par courrier du 15 avril 2003, le Comité de Liaison et d’Action des Etrangers, ci-après dénommé « le CLAE », sollicita en faveur de Madame …, de nationalité chilienne, une autorisation de séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg de la part du ministre du Travail et de l’Emploi.

Le 23 avril 2003, le ministre du Travail et de l’Emploi informa le CLAE qu’il avait transmis le dossier au ministre de la Justice, ministre compétent en la matière. Il ajouta que Madame … était exclue de la procédure de régularisation des sans-papiers, au motif qu’elle était entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en qualité d’étudiante. Or, les étudiants seraient expressément exclus de cette procédure de régularisation.

Par décision du 27 mai 2003, le ministre de la Justice refusa la demande aux motifs suivants :

« En réponse à votre demande du 15 avril 2003 me transmise par le Ministère du Travail et de l’Emploi en date du 23 avril 2003, par laquelle vous sollicitez une autorisation de séjour en faveur de Madame …, née le 20 octobre 1965, de nationalité chilienne, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

L’autorisation de séjour ne saurait être délivrée à l’intéressée alors qu’elle ne dispose pas de moyens d’existence personnels conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui dispose que la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Par conséquent l’intéressée qui se trouve en séjour irrégulier, est invitée à quitter le pays sans délai ».

Suite au recours gracieux introduit par le CLAE pour le compte de Madame … auprès du ministère de la Justice en date du 28 mai 2003, le ministre de la Justice confirma le 13 juin 2003 sa décision initiale de refus du 27 mai 2003 à défaut d’éléments pertinents nouveaux, tout en précisant que « comme Madame … est entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en 1997 en tant qu’étudiante, elle n’a pas droit à la régularisation ».

Le 17 juin 2003, le CLAE envoya des pièces au ministère de la Justice aux fins de compléter le dossier de Madame ….

Par lettre du 10 juillet 2003, le ministre de la Justice répondit au CLAE et lui rappela son courrier du 13 juin 2003 tout en lui expliquant que « Madame … est entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en 1997 en qualité d’étudiante et, par conséquent, n’a pas droit à la régularisation ».

Par lettre du 29 janvier 2004, le CLAE, déclarant agir en nom et pour compte de Madame …, demanda au ministre de la Justice et au ministre du Travail et de l’Emploi un réexamen du dossier.

Le 9 février 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi informa le CLAE, qu’en l’absence d’élément nouveau dans le dossier, il ne put que recommander à Madame … de retourner volontairement dans son pays d’origine.

Par lettre notifiée en date du 26 février 2004 au CLAE, le ministre de la Justice, après avoir procédé au réexamen du dossier, confirma sa décision du 27 mai 2003 à défaut d’éléments pertinents nouveaux, et invita Madame … à quitter le pays dans les meilleurs délais.

Par requête déposée le 24 mai 2004, Madame … et Monsieur … ont introduit un recours en annulation contre la décision non datée du ministre de la Justice, notifiée en date du 26 février 2004 au CLAE, portant rejet d'une demande en obtention d’une autorisation de séjour en faveur de Madame …, et en ordre subsidiaire et, pour autant que de besoin, contre une décision du ministre de la Justice du 27 mai 2003, telle que cette décision a été confirmée par le même ministre suivant une décision du 13 juin 2003, contre une décision du « 10 juin 2003 » du ministre de la Justice et contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du « 23 avril 2004 » portant rejet de la demande de régularisation introduite par le CLAE.

Le même jour, les demandeurs ont, par requête inscrite sous le numéro 18095 du rôle, sollicité une mesure de sauvegarde consistant dans la délivrance d'une autorisation de séjour provisoire en faveur de Madame … en attendant le jugement au fond de l’affaire.

Le gouvernement ne s’étant pas opposé à la mesure de sauvegarde sollicitée, le président du tribunal administratif, par ordonnance du 27 mai 2004, a autorisé Madame … à résider sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg jusqu’à ce que le recours au fond soit vidé.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut d'abord à l’irrecevabilité du recours en ce que, d’une part, la requête introductive d’instance serait obscure, au motif que le recours serait dirigé contre certaines décisions non correctement désignées et, d’autre part, le recours serait tardif pour être dirigé contre des décisions qui auraient acquis l’autorité de chose décidée.

S’il est vrai que certaines des décisions attaquées ne sont pas correctement désignées quant à leur date, il convient de relever que les décisions dont il s’agit ont été correctement identifiées par leur auteur ou leur objet et produites ensemble avec le recours, de sorte que l’indication erronée de la date de ces décisions n’a pas porté préjudice aux droits de la défense, le délégué du gouvernement ayant conclu en pleine connaissance de cause. Il s’ensuit qu’en l’absence de grief effectif porté aux droits de la défense de l’Etat, le moyen d’irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter.

Quant au moyen tiré de la tardiveté du recours, il convient de constater que bien que le recours soit dirigé en ordre principal contre la décision du ministre de la Justice du 25 février 2004, notifiée en date du 26 février 2004 au CLAE et, en ordre subsidiaire et, pour autant que de besoin, contre une décision du ministre de la Justice du 27 mai 2003, telle que confirmée par le même ministre suivant une décision du 13 juin 2003, contre une décision du « 10 juin 2003 » du ministre de la Justice et contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du « 23 avril 2004 » portant rejet de la demande de régularisation introduite par le CLAE, c’est la décision du ministre de la Justice du 27 mai 2003, telle que cette décision a été confirmée sur recours gracieux par une décision du même ministre le 13 juin 2003, qui a refusé le titre de séjour sollicité par la demanderesse, les décisions subséquentes, au-delà de la question de savoir s’il s’agit de véritables décisions, ne faisant que réitérer le refus ministériel initial.

Ceci étant, il se dégage des pièces versées au dossier qu’aucune des décisions attaquées n’a été notifiée à la demanderesse, le délégué du gouvernement ayant par ailleurs déclaré à l’audience que la notification à la demanderesse n’avait pas pu avoir lieu faute d’adresse connue dans son chef, de sorte qu’aucun délai n’a commencé à courir et les demandeurs sont dès lors recevables à agir à l’encontre de la décision de refus de délivrer à Madame … un permis de séjour au Luxembourg, décision véhiculée à travers celles-ci, et le recours est partant recevable dans ces mesures et limites.

Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours au fond, les demandeurs concluent à l’annulation de la décision de refus d’accorder l’autorisation de séjour pour violation de la loi, sinon erreur d’appréciation manifeste de droit sinon des faits. Ils exposent plus particulièrement que Madame … serait entrée régulièrement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en 1997, que depuis le 29 septembre 1997, elle serait affiliée au Centre commun de la Sécurité sociale et que depuis 2000, elle vivrait en concubinage notoire avec Monsieur …, citoyen luxembourgeois. Ils expliquent qu’en raison d’une hospitalisation et de la convalescence qui s’en est suivie, Madame … n’aurait pas pu présenter une demande tendant à la régularisation de sa situation, alors qu’elle remplirait les critères fixés dans la brochure de régularisation. Ils soutiennent que la décision de refus de l’autorisation de séjour violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au motif qu’elle constituerait une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée et familiale, en précisant qu’une vie familiale effective existerait entre eux depuis 1998 et qu’il leur serait impossible de s’établir ailleurs qu’au Luxembourg, pays où Monsieur NEU serait fonctionnaire et où résiderait toute sa famille. Dans ce contexte, ils font encore valoir que le refus d’accorder l’autorisation de séjour ne répondrait pas au critère de proportionnalité à appliquer en la matière, consistant à ménager un juste équilibre entre les considérations d’ordre public qui sous-tendent la réglementation de l’immigration et celles de la protection de la vie familiale. En outre, ils insistent sur la réalité de leur vie familiale en affirmant que la notion de vie familiale ne présupposerait pas le mariage. Ils affirment que la décision de refus, dans la mesure où elle entraînerait leur séparation, porterait atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale.

En ordre subsidiaire, les demandeurs estiment que le refus de délivrance d’une autorisation de séjour encourrait l’annulation pour violation des principes généraux destinés à protéger les intérêts des administrés en ce que non seulement la procédure de régularisation des sans-papiers ne reposerait sur aucun texte légal, mais en plus l’autorité administrative aurait violé les principes d’égalité des citoyens devant la loi et de légitime confiance. En effet, ils soutiennent que, d’une part, l’administration ne pourrait pas procéder à la régularisation de quelques 1250 personnes et refuser le même droit à Madame … et, d’autre part, l’administration devrait respecter ses engagements résultant de ladite procédure de régularisation et réaffirmés par le ministre du Travail et de l’Emploi lors d’une réunion avec le CLAE. Ils font encore valoir que Madame … remplirait les conditions de la procédure de régularisation par le travail. En outre, le ministre du Travail et de l’Emploi aurait omis de prendre l’avis de la commission consultative instituée par l’article 7 bis du règlement grand-

ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que la décision de refus du ministre du Travail et de l’Emploi du 23 avril 2003 serait entachée d’illégalité pour violation de la loi et excès de pouvoir. Ils concluent ensuite que ce serait à tort que l’autorité administrative aurait exclu Madame … de la procédure de régularisation sous le prétexte qu’elle serait entrée au pays comme étudiante alors qu’il résulterait du dossier que tel n’était pas le cas. Ils soutiennent finalement que la motivation à la base de la décision de refus de délivrance de l’autorisation de séjour, prise dans le cadre d’une procédure de régularisation, en ce qu’elle repose sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, pour retenir que Madame … ne disposerait pas de moyens d’existence suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, serait illégale, au double motif, d’une part, qu’il serait illégal d’exiger d’un candidat à la procédure de régularisation qu’il dispose de revenus personnels suffisants alors qu’il lui est interdit de travailler, et d’autre part, que dans le cadre de la procédure de régularisation, certaines catégories d’étrangers auraient droit à un titre de séjour sans qu’ils ne disposent de revenus.

Dans son mémoire en réponse, concernant le moyen d’annulation tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le délégué du gouvernement conteste formellement qu’en l’espèce, la preuve d’une vie familiale entre les demandeurs aurait été rapportée, en relevant qu’au moment de son arrivée au Luxembourg, la demanderesse aurait habité chez une amie et que ce n’est que par après qu’elle aurait vécu en concubinage avec le demandeur. Il soutient qu’il n’appartiendrait pas à l’étranger de choisir le lieu d’implantation géographique de sa famille et que les demandeurs n’auraient pas établi qu’il leur serait impossible de s’établir au Chili. Il réfute les moyens tirés de la prétendue illégalité de la procédure de régularisation, en faisant valoir que la décision de refus sous analyse n’aurait pas été prise dans le cadre d’une procédure de régularisation mais dans le cadre d’une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires, de sorte qu’il suffirait d’examiner si la demanderesse remplissait les conditions posées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972. Or, il fait valoir que la demanderesse ne disposerait pas de moyens personnels d’existence, étant donné qu’elle n’aurait pas de permis de travail et qu’une prise en charge par un tiers ne saurait valoir comme des moyens personnels.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent encore sur l’impossibilité existant dans leur chef de s’établir ailleurs qu’au Luxembourg, au motif que Monsieur … aurait toutes ses attaches professionnelles et familiales au Luxembourg.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, n° 9669 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, II Autorisation de séjour, n°146, et autres références y citées).

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

En l’espèce, le tribunal doit constater qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, que Madame … ne disposait, au moment de la prise des décisions litigieuses, ni d’un permis de travail, de sorte qu’elle ne pouvait pas légalement s’adonner à une occupation salariée et en percevoir des revenus, ni encore d’autres moyens personnels lui permettant de supporter personnellement les frais de son séjour au Luxembourg.

Il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre de la Justice a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels dans le chef de Madame …, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agit de son partenaire de vie, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient d’analyser le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs, tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où ils estiment qu’il y aurait violation de leur droit au maintien de leur vie familiale, en ce que cette disposition de droit international serait de nature à tenir la législation nationale en échec.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Toutefois, la garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites, en ce qu’elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres. La notion de vie familiale est dotée d’un contenu propre à la Convention européenne des droits de l’homme et ne présuppose pas nécessairement le mariage, de sorte qu’elle englobe le concubinage.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il échet tout d’abord de relever qu’il n’est pas allégué ni établi qu’une vie familiale effective ait existé entre les demandeurs antérieurement à l’immigration de Madame … au Grand-Duché de Luxembourg.

En ce qui concerne la création d’une vie familiale entre les demandeurs au cours du séjour de Madame … au Luxembourg, il échet de constater que la demanderesse est entrée sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en tant qu’étudiante, ainsi qu’il résulte de sa déclaration d’arrivée datée du 26 septembre 1997. Il ressort encore des attestations testimoniales produites par les parents du demandeur et par une amie que les demandeurs se sont connus en 1998 et qu’ils habitent en concubinage depuis le mois de mars de 2000 à Luxembourg, 1, rue Auguste Charles.

Il est donc constant que les demandeurs peuvent se prévaloir de l’existence d’une « vie familiale et privée » au sens de l’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme portant sur une certaine durée, de sorte que la décision refusant d’accorder une autorisation de séjour à Madame … et l’invitant à quitter le territoire s’analyse en une ingérence dans le droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale.

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 8 précité, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Même si le motif de refus de l’autorisation de séjour est prévu par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, à savoir l’absence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, le délégué du gouvernement reste néanmoins en défaut d’établir que l’ingérence de l’autorité publique était nécessaire pour un des motifs énoncés ci-

dessus, et a fortiori, il n’a pas établi que les décisions litigieuses respectent un juste équilibre entre les intérêts en cause.

En effet, l’ingérence dans la vie familiale et privée des demandeurs est en l’espèce très grave eu égard à la situation particulière du demandeur, qui serait obligé de quitter son pays natal pour pouvoir vivre ensemble avec sa concubine, pays où il a vécu depuis sa naissance, où il exerce sa profession et où réside sa famille. Par contre, le délégué du gouvernement, outre d’avoir énoncé des principes généraux et abstraits, n’a pas établi un motif précis et circonstancié de nature à justifier l’ingérence dans la vie familiale et privée des demandeurs, de sorte qu’il y a violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est fondé et que la décision de refuser l’autorisation de séjour en faveur de Madame … encourt l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation des faits, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués en cause.

Enfin, il convient également de faire droit à la demande formulée en nom et pour compte des demandeurs lors de l’audience fixée pour les plaidoiries et basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives tendant en substance à ce que le tribunal proroge, pendant le délai d’appel et au cours d’une éventuelle instance d’appel à intervenir, les effets de l’ordonnance présidentielle précitée du 27 mai 2004 en ce qu’elle autorise Madame … à séjourner sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule la décision de refus d’accorder une autorisation de séjour sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg à Madame …, telle que matérialisée par la décision du ministre de la Justice du 27 mai 2003 et celles subséquentes, et renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en prosécution de cause, proroge les effets de l’ordonnance présidentielle précitée du 27 mai 2004 en ce qu’elle autorise Madame … à séjourner sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 29 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18096
Date de la décision : 29/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-29;18096 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award