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24/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18784

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 novembre 2004, 18784


Tribunal administratif N° 18784 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2004 Audience publique du 24 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18784 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, ins

crit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/E...

Tribunal administratif N° 18784 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2004 Audience publique du 24 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18784 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégo), demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 juillet 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée, ainsi que de la décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 24 septembre 2004 intervenue sur recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 mai 2004, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu le 7 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 14 juillet 2004, envoyée par courrier recommandé expédié le 26 juillet 2004, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 mai 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 7 juillet 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 27 mai 2004 que vous auriez quitté le Kosovo vers le 15 mai 2004 en traversant dans différentes étapes la Bosnie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie où vous auriez pris un train pour le Luxembourg passant par Paris. Vous seriez arrivé au Luxembourg le 27 mai 2004. Vous ajoutez avoir été demandeur d’asile en Allemagne pendant 7 années et avoir de la famille au Luxembourg. Vous ne présentez aucune pièce d’identité émise par la MINUK.

Il résulte clairement de vos déclarations que vous auriez uniquement quitté le Kosovo en mai 2004 pour venir travailler et séjourner au Luxembourg. Vous souhaitez avoir une meilleure vie au Luxembourg.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécution[s] au Kosovo. Vous indiquez vous-même avoir uniquement quitté le Kosovo pour venir travailler au Luxembourg. Or, des raisons économiques ou le désir de venir travailler au Luxembourg ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique étant donné qu’ils ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Votre demande est en outre à considérer comme abusive.

De surplus en tant que Albanais du Kosovo vos craintes sont manifestement dénuées de fondement en ce qui concerne votre situation au Kosovo.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de cette décision, Monsieur … fit introduire par le biais de son mandataire un recours gracieux formulé par lettre datée du 27 août 2004.

Par décision du 24 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma la décision initiale de refus du ministre de la Justice du 14 juillet 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée le 27 octobre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des deux décisions ministérielles des 14 juillet et 24 septembre 2004.

Il ressort des éléments du dossier, notamment de la décision ministérielle précitée du 14 juillet 2004, que le refus de reconnaissance du statut de réfugié est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles litigieuses ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que sa demande d’asile a été rejetée comme étant manifestement infondée, alors qu’il n’aurait non seulement indiqué lors de son audition être venu au Luxembourg pour des raisons économiques, mais qu’il aurait également fait état de discriminations, mauvais traitements respectivement d’extorsions de fonds de la part de « mujaheddins » lesquels feraient partie de groupes militant pour un Kosovo exclusivement albanais et musulman. Il donne encore à considérer qu’il serait originaire de la ville de Mitrovica et qu’il aurait eu des problèmes en raison de la division de sa ville d’origine entre les Albanais et les Serbes, en renvoyant à cet égard au rapport de l’UNHCR établi au mois d’août 2004, lequel établirait que les Albanais vivant dans une situation de minorité ethnique seraient exposés à des risques de persécution.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice d’abord, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par la suite ont fait une saine appréciation de la situation du demandeur, et que le recours de celui-ci laisse d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Des considérations d’ordre matériel et économique ne constituent pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié (cf. trib. adm. 20 juin 2001, n° 12679 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 86).

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 107 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 105 et autres références y citées).

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, tels qu’ils se dégagent du rapport d’audition susvisé du 7 juillet 2004, force est de constater qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. - En effet, il appert du compte rendu de son audition que les craintes du demandeur sont d’ordre matériel et économique, notamment dues au fait de ne pas avoir du travail et de vivre de l’aide sociale. Interrogé sur les motifs de son départ du Kosovo, le demandeur a répondu « Ich bin gekommen um hier zu arbeiten und hier zu leben » et « Ich habe es [son pays] nur verlassen wegen dem Geld, damit ich ein besseres Leben machen kann ». Si dans son recours contentieux, le demandeur insiste plus particulièrement sur le fait d’avoir été victime d’extorsions de la part de « mujaheddins », il importe de relever que s’il en a fait état lors de son audition, il n’en a pas fait la raison de son départ du Kosovo. Il s’y ajoute que les extorsions de fonds perpétrées par des « mujaheddins », à admettre les simples allégations y afférentes, relèvent plutôt d’une criminalité de droit commun, de sorte que pareil fait, sans vouloir dénier sa gravité, n’est pas de nature à établir dans son chef une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Ainsi, force est de constater que les « craintes » exprimées par le demandeur témoignent essentiellement d’un sentiment d’inconfort dans son chef. En particulier, le demandeur, Albanais du Kosovo, qui fait donc partie de la population majoritaire du Kosovo, n’a pas apporté le moindre élément concret et individuel de persécution au sens de la Convention de Genève ou précisé en quoi sa situation particulière – au regard de la situation qui a régné au moment où le ministre compétent a été appelé à se prononcer, cette dernière pouvant seule être prise en considération par le tribunal dans l’exercice de sa mission de contrôle dans le cadre d’un recours en annulation - ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il risque de faire l’objet de persécutions au sens de ladite Convention.

Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur … reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de sorte que le ministre de la Justice d’abord, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par la suite ont valablement pu retenir que sa demande d’asile ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que les susdits ministres ont déclaré sa demande d’asile comme étant manifestement infondée, de sorte que son recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donner acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18784
Date de la décision : 24/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-24;18784 ?

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