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24/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18106

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 novembre 2004, 18106


Tribunal administratif N° 18106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mai 2004 Audience publique du 24 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18106 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2004 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

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Tribunal administratif N° 18106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 mai 2004 Audience publique du 24 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18106 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2004 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er mars 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 26 avril 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Katia AIDARA, en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 octobre 2004 ;

Vu les explications complémentaires écrites fournies en cause par Maître Anne-Marie SCHMIT en date du 27 octobre 2004 sur demande du tribunal ;

Entendu Maître Anne-Marie SCHMIT en ses explications complémentaires à l’audience publique du 15 novembre 2004, en présence de Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER

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Monsieur …, introduisit en date du 16 décembre 2002 une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 20 février 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 1er mars 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée aux motifs que les faits par lui invoqués, à les supposer établis, ne seraient pas suffisants pour constituer une persécution au sens de la Convention de Genève et s’analyseraient davantage en l’expression d’un sentiment général d’insécurité. Quant aux élections que Monsieur … avait considéré comme ayant été manipulés, le ministre a relevé que les observateurs internationaux présents n’ont, contrairement à ses dires, constaté aucune manipulation et que pour le surplus la situation politique en Albanie se serait considérablement stabilisée depuis 2002 et a fortiori depuis 1998, les dernières élections en octobre 2003 s’étant déroulées dans le calme et sous le respect des règles du nouveau code électoral, de même que depuis 2002, le dialogue serait ouvert entre le parti socialiste et le parti démocratique.

Par lettre de son mandataire datant du 26 mars 2004, Monsieur … a introduit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 1er mars 2004. Ledit recours gracieux s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 26 avril 2004, notifiée par voie de courrier recommandé du 28 avril 2004, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 1er mars et 26 avril 2004 par requête déposée en date du 25 mai 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il ressortirait clairement de ses déclarations qu’il aurait fait parti d’une famille d’opposants persécutés sous le régime communiste en raison de leurs opinions et de leur engagement politique en faveur du parti démocratique et que de ce fait il n’aurait pas été en mesure de poursuivre ses études. Il fait état en outre de différents témoignages rapportant que suite à sa participation aux manifestations d’étudiants en 1998, il aurait été arrêté et maltraité par la police du service secret d’Albanie et que ses proches parents, à savoir son frère et son oncle, auraient été victimes de persécutions en ce sens qu’au courant de l’année 2000, ils auraient été blessés à la suite d’un attentat à la bombe contre leur maison. Il fait valoir ensuite qu’il serait actuellement poursuivi pénalement pour sa participation aux manifestations organisées illégalement en 1998, de sorte qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait d’être inquiété par la police et d’être sujet à des persécutions en raison de ses opinions politiques anti-communistes, voire de son appartenance au parti démocratique de l’Albanie, ainsi qu’à l’association politique anti-communiste.

Le demandeur reproche ainsi au ministre de la Justice d’avoir basé ses décisions sur un examen superficiel et insuffisant des faits.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 20 février 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que le risque de persécution allégué par le demandeur se confond en majeur partie avec la situation générale d’une grande partie de la population albanaise et que le fait concret par lui mis en avant pour illustrer la particularité de sa situation personnelle, en l’occurrence sa participation à une manifestation illégale en 1998, remonte trop loin dans le temps pour revêtir à l’heure actuelle, compte tenu notamment des changements politiques intervenus en Albanie, pour constituer une raison suffisante pour valoir l’octroi du statut de réfugié. Il est en effet constant que 4 années se sont écoulées depuis cet incident et le départ allégué du demandeur de son pays d’origine sans que celui-ci n’ait fait l’objet d’une arrestation pour les faits lui apparemment reprochés, de sorte que le risque afférent allégué en cas de retour dans son pays d’origine à l’heure actuelle laisse d’être établi à suffisance. Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que des membres de la famille du demandeur ont fait l’objet d’un attentat à la bombe, étant donné qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir que cet incident, plutôt que de s’analyser en un crime de droit commun, devrait être interprété comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Il s’y ajoute que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités actuellement en place seraient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant, ceci d’autant plus que lui-même, durant les quatre dernières années de son séjour en Albanie, n’a apparemment plus été inquiété de manière significative à titre personnel.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision du demandeur de se diriger vers le Grand-Duché de Luxembourg présente plutôt les caractères d’une simple décision d’immigrer pour fuir une situation généralement insatisfaisante plutôt qu’une fuite animée par une crainte de persécution concrète au sens de la Convention de Genève, ceci d’autant plus que le demandeur a séjourné pendant près de deux mois en Italie sans pour autant avoir éprouvé le besoin de s’adresser aux autorités compétentes pour leur faire part de son désir d’obtenir le statut de réfugié et que d’autres éléments du dossier, en l’occurrence un courrier des autorités grecques du 12 octobre 2003 non autrement commenté par le demandeur en cours d’instance, fait présumer que celui-ci a également séjourné irrégulièrement en Grèce, sans pour autant y avoir introduit une demande d’asile.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18106
Date de la décision : 24/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-24;18106 ?

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