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24/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18078

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 novembre 2004, 18078


Tribunal administratif N° 18078 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2004 Audience publique du 24 novembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18078 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2004 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Daniel BAULISCH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le

… (Macédoine) et de son épouse, Madame …, née le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro),...

Tribunal administratif N° 18078 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2004 Audience publique du 24 novembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18078 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2004 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Daniel BAULISCH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … (Macédoine) et de son épouse, Madame …, née le … (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 avril 2004, confirmant sur recours gracieux une décision du même ministre du 28 janvier 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale HANSEN, en remplacement de Maître Gilbert REUTER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiriers respectives à l’audience publique du 25 octobre 2004.

Le 15 septembre 2003, Monsieur …, et son épouse, Madame …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur et Madame …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus en outre séparément en date du 4 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 28 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 3 février 2004, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée comme non fondée au motif que ni des réservistes, ni des inconnus ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que des policiers procédant à des contrôles aux postes de frontière ne sauraient pas non plus être assimilés à des agents de persécution au sens de cette même Convention. Il en déduit que les craintes par eux invoquées s’analyseraient surtout en un sentiment général d’insécurité.

Le ministre a relevé pour le surplus que la Macédoine ne saurait plus être considérée à l’heure actuelle comme un territoire où des risques de persécution seraient à craindre, ceci eu égard notamment aux élections de septembre 2002, et que concernant le Kosovo, dont Madame … indique être originaire, il serait également admis que les violences ont diminué. Le ministre a retenu finalement qu’il ne résulterait pas du dossier qu’il aurait été impossible aux époux concernés de s’installer dans une autre ville de l’Etat de Serbie et de Monténégro et de profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par lettre de leur mandataire datant du 1er mars 2004, les époux …- … ont fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 28 janvier 2004.

Par décision du 23 avril 2004, expédié par courrier recommandé le même jour, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 18 mai 2004, les époux …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles prévisées des 28 janvier et 23 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que Monsieur … aurait fait son service militaire de 1999 à 2000 en tant que simple soldat garde frontière, que vers avril-mai 2001, sans préjudice quant à une date plus exacte, il aurait été appelé à la réserve, mais qu’il n’y serait pas allé et qu’il aurait quitté le pays. Ils signalent encore que Monsieur … aurait travaillé les deux dernières années en tant que commerçant en Bosnie et au Monténégro, tandis que son épouse, Madame … aurait habité à Berlin de 1993 à 1999, ainsi que par la suite en Bosnie et plus particulièrement à Sarajevo où elle aurait terminé ses études. Ils font préciser à cet égard que depuis son départ d’Allemagne elle serait d’abord allée au Monténégro vers février 1999, mais qu’avec le commencement de la guerre elle se serait réfugiée à Sarajevo où elle aurait alors habité pendant une année.

Les demandeurs indiquent ensuite avoir été régulièrement contrôlés aux postes de contrôle tenus par des policiers macédoniens lorsqu’ils allaient acheter des marchandises et que, en passant par ces postes de contrôles, ils auraient toujours été fouillés et injuriés par des réservistes qui leur auraient fait des remarques désobligeantes dans le genre « qu’est ce que vous attendez ici, retournez dans votre pays alors que ce n’est pas votre pays ici ! ».

Ils signalent qu’en 2001, toujours sans préjudice quant à une date plus exacte, trois à quatre personnes auraient cassé toutes les vitres de leur voiture et que malgré le fait que les postes de contrôles seraient entre-temps revêtus par des policiers, la situation serait toujours très instable, étant donné que ces policiers seraient toujours armés avec des fusils et qu’ils appliqueraient toujours les mêmes mauvais traitements pour démoraliser les gens. Les demandeurs ajoutent qu’en 2002, ils auraient été victimes de la pratique du chantage, le père de Monsieur … ayant été menacé en ce sens que son commerce serait incendié s’il ne payait pas.

Estimant ainsi avoir établi à suffisance l’existence de craintes sérieuses de persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur chef en cas de retour dans leur pays d’origine, les demandeurs font valoir que rien ne s’opposerait à l’octroi du statut de réfugié par eux sollicité.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il y a lieu de relever liminairement qu’au vu des imprécisions au niveau tant des déclarations des demandeurs que de leurs prises de positions écrites fournies en phase pré-contentieuse et contentieuse, relativement à l’endroit de leur dernier séjour prolongé avant leur départ vers le Grand-Duché de Luxembourg, le tribunal avait demandé à leur mandataire de clarifier cet aspect de leur dossier. D’après les explications afférentes fournies en cause, il y a lieu d’admettre que c’est en Macédoine que les demandeurs étaient établis les deux années précédant leur départ vers le Grand-Duché de Luxembourg et que c’était partant à partir de ce pays que Monsieur … indique avoir effectué régulièrement des passages frontaliers dans le cadre de son commerce.

A partir de ce constat il y a lieu d’écarter des débats comme n’étant pas directement pertinent, en l’espèce, les considérations d’ordre général avancées en cause par les demandeurs quant à la situation générale au Kosovo, faute de lien spécifique avec leur situation personnelle.

Pour le surplus, force est de constater que les craintes de persécutions invoquées par les demandeurs en rapport avec leur situation personnelle se résument à des problèmes, sous forme principalement d’injures, rencontrés lors du passage à différents postes de frontière, qui, dans leur forme relatée au dossier, ne revêtent pourtant pas une gravité suffisante pour valoir en tant que motif de persécution au sens de la Convention de Genève. Il s’y ajoute que le récit afférent des demandeurs est très vague et ne permet pas de cerner concrètement l’endroit où ont été effectués ces contrôles, Monsieur … ayant déclaré avoir travaillé dans son commerce les deux dernières années soit en Bosnie, soit au Monténégro et n’avoir séjourné pendant cette période en Macédoine que pendant un mois seulement, tandis que d’après la requête introductive les problèmes rencontrés au niveau de ces contrôles auraient été essentiellement le fait des policiers macédoniens. Au vu du caractère peu précis des informations afférentes fournies en cause, le tribunal ne saurait dès lors en dégager un quelconque raccrochement utile à l’un des critères énoncés par la Convention de Genève.

Pour le surplus les demandeurs font état de menaces et de chantage à l’encontre du père de Monsieur …, sans pour autant préciser ici non plus de qui émanait ces menaces et quelles seraient les raisons qui leur font admettre que cet incident présenterait un facteur de rattachement à la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25.11.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18078
Date de la décision : 24/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-24;18078 ?

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