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22/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18189

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2004, 18189


Tribunal administratif N° 18189 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juin 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formés par Madame …, … contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18189 du rôle et déposée le 8 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, … , demeurant à L-…, tendan

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Tribunal administratif N° 18189 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juin 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formés par Madame …, … contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18189 du rôle et déposée le 8 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, … , demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement du 29 septembre 2003 portant refus de l’autorisation de faire le commerce, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 5 mars 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du Gouvernement en date du 25 août 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2004 par Maître Roland MICHEL pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 8 novembre 2004 ainsi que Maître Roland MICHEL et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives.

En date du 27 mars 2003, Madame … sollicita auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par « le ministre », l’octroi d’une autorisation de commerce, sans précision de l’activité visée.

Par transmis du 4 avril 2003 le ministre transmit le dossier de Madame … au ministère de la Justice « avec prière d’avis quant à la responsabilité de Madame … dans la faillite … SA, prononcée le 29 juillet 1999 ».

Le ministère de la Justice adressa au ministre le dossier relatif à la faillite … s.a. par courrier du 23 juillet 2003, et la commission instituée par la loi du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, telle que modifiée notamment par la loi du 4 novembre 1997, ci-après désignée par « la loi d’établissement », rendit en date du 22 septembre 2003 un avis défavorable en ce qui concerne l’honorabilité professionnelle de Madame ….

Cet avis amena le ministre en date du 29 septembre 2003 à adresser à Madame … une décision de refus libellée en les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Le résultat m’amène à vous informer que selon l’avis de la commission y prévue vous ne présentez plus la garantie nécessaire d’honorabilité professionnelle en raison de vos agissements dans la faillite de la société … SA, notamment par l’absence d’aveu de faillite, par le maintien artificiel du crédit en omettant de payer les organismes publics, par le non paiement des dettes sociales et fiscales ainsi que par l’interposition de personne et par des liens avec la faillite de la société XXX SARL.

Comme je me rallie à la prise de position de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l’état actuel du dossier en me basant sur l'article 2 et 3 de la loi susmentionnée.

La présente décision peut faire l'objet d'un recours par voie d'avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif.(…) » Madame … fit introduire le 15 décembre 2003 un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus, que le ministre soumit à la commission instituée par la loi d’établissement.

Le ministre prit position quant à ce recours gracieux par courrier daté du 5 mars 2004 en reprenant en substance les termes de sa précédente décision de refus, tout en ajoutant que Madame … aurait servi de personne interposée dans la société faillie XXX s.àr.l.

Par requête déposée le 8 juin 2004 au greffe du tribunal administratif, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 29 septembre 2003 et 5 mars 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours principal en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.

L’article 2, alinéa 6 de la loi d’établissement prévoit expressément qu’en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisation d’établissement seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le recours en réformation introduit en ordre principal n’est pas recevable.

Le recours en annulation quant à lui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

La demanderesse fait valoir à l’appui de son recours que la décision ministérielle se fonderait sur des considérations erronées en fait et en droit. A ce titre, elle conteste la relevance de l’arrêt de la Cour d’appel du 19 décembre 2000 ayant déclaré la société anonyme … s.a., ci-après la « société … », en faillite au motif que cet arrêt serait erroné pour ne pas avoir tenu compte d’un élément probant en faveur de la société en question.

Elle estime encore que contrairement à ce qui a été retenu par le ministre, elle ne se serait pas rendue coupable d’un maintien artificiel du crédit en omettant de payer les organismes publics, la société … n’ayant pas été mise en demeure de payer les arriérés sociaux et fiscaux. Elle fait d’ailleurs plaider à ce sujet que les dettes fiscales et sociales se seraient seulement accumulées suite à la déclaration de faillite, le bradage des marchandises de la société faillie à des prix dérisoires n’ayant pas permis d’apurer ces dettes.

Enfin, elle conteste avec véhémence s’être immiscée dans la gestion de la société XXX s.àr.l. ou avoir servie de prête-nom en tant que personne interposée pour les activités de son mari dans la société ….

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de l’honorabilité de Madame …, de sorte que la demanderesse serait à débouter de son recours.

Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés (voir Pas. adm. 2003, v° Recours en annulation, n° 8, p.513, et les décisions y citées).

Le tribunal relève à ce sujet qu’en vertu des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi d’établissement « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles ». Au vœu de l’alinéa final du même article 3 « l’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ». Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation, peuvent être prises en compte par le ministre pour apprécier l’honorabilité dans le chef du demandeur de l’autorisation, cette enquête pouvant valablement reposer, pour apprécier l’honorabilité professionnelle d’une personne, sur des éléments fournis par un curateur de faillite, le procureur général d’Etat et le procureur d’Etat, et ce même en l’absence de poursuites pénales (trib. adm., 22 mars 1999, n° 10716 du rôle, Pas.

adm. 2003, v° autorisation d’établissement, n° 96, p.77, et autres références y citées).

Quant à la mise en cause de l’arrêt de la Cour d’appel du 19 décembre 2000 ayant confirmé la faillite de la société …, le tribunal tient d’emblée à souligner que s’il ne lui appartient pas de mettre en doute une décision judiciaire coulée en force de chose jugée en vérifiant l’existence ou non d’une erreur judiciaire, et en l’occurrence de remettre en cause l’existence juridique et matérielle de la faillite …, il peut cependant procéder à une analyse des circonstances spécifiques de la faillite et se livrer plus particulièrement à une appréciation des éléments et faits sous-jacents à la faillite.

En effet, le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef de la personne concernée, de sorte qu’il appartient au tribunal de vérifier si au-delà de l’existence légale et matérielle de la faillite il existe des éléments permettant de conclure dans le chef du gérant d’une société à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, éléments qui peuvent le cas échéant constituer des indices suffisants pour justifier le refus de l’autorisation sollicitée ( voir trib. adm., 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Pas. adm. 2003, v° autorisations d’établissement, n° 94, p.77 et autres références y citées).

Ainsi, l’incapacité de mener à bien la gestion d’une petite entreprise, ainsi que le non-

respect de ses obligations professionnelles par le non-paiement des charges sociales et fiscales obligatoires sont des éléments qui globalement considérés sont de nature à justifier une décision ministérielle de refus (trib. adm. 18 novembre 2002, n° 15025 du rôle, op. cit., n° 93, p.76, et autre référence y citée).

Il y a lieu de rappeler à ce sujet que la finalité de la procédure d’autorisation préalable, ainsi que la possibilité de refuser l’autorisation pour défaut d’honorabilité professionnelle consistent à assurer la sécurité de la profession concernée et tendent à éviter l’échec de futures activités, tout en étant destinées parallèlement à assurer la protection de futurs clients ou cocontractants (trib. adm. 18 juin 2001, n° 12859 du rôle, Pas. adm. 2003, v° autorisation d’établissement, n° 89, p.76, et autre référence y citée). Ainsi, le fait pour un dirigeant de société de méconnaître son obligation de surveiller le bon déroulement des affaires de la société constitue une raison suffisante pour conclure au défaut des garanties requises d’honorabilité professionnelle dans son chef en vue de remplir à nouveau les fonctions de gestion ou de direction d’une entreprise (trib. adm., 27 octobre 1999, n° 11327 du rôle, op. cit, n° 97, p.77).

Il est constant en cause que la demanderesse a occupé les fonctions d’administrateur délégué et de gérant technique de la société ….

Il résulte à ce sujet des pièces versées en cause que le passif total de la société … s’élevait à un montant de Luf 8.417.277, dont un passif privilégié de Luf 4.656.838.-, montants considérables pour une société n’ayant eu qu’une existence de quelques 3 années.

Il résulte par ailleurs des pièces, non utilement combattues par la demanderesse, que la faillite de la société … dirigée par la demanderesse a eu pour origine des dettes considérables envers le Centre commun de la Sécurité sociale, l’Administration des Contributions directes ainsi que l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, de sorte que le motif énoncé dans la décision ministérielle relatif au « maintien artificiel du crédit en omettant de payer les organismes publics » et au « non paiement des dettes sociales et fiscales » se trouve également vérifié au regard des pièces actuellement versées au dossier.

Le tribunal constate en particulier à ce sujet que l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines a produit dans le cadre de la faillite … une déclaration de créance portant sur un montant total de Luf 1.215.043, dont plus de Luf 700.000 porte sur les exercices 1997 et 1998, tandis que le Centre commun de la Sécurité sociale a déposé une déclaration de créance portant sur un montant de Luf 301.076.- pour l’exercice 1999, ces déclarations de créance ayant de surcroît été admises par le curateur sous le visa du juge commissaire de la faillite. Il importe peu à ce sujet et dans le cadre du présent recours que ces dettes aient ou non fait l’objet d’une mise en demeure de la part des organismes créanciers, la réalité de ces dettes n’ayant pas été contestée ni devant le tribunal administratif, ni devant les juridictions commerciales.

Il s’ensuit qu’en l’espèce l’honorabilité professionnelle du dirigeant de la société …, à savoir Madame Madame …, doit être considérée comme entamée au vu des dettes sociales considérables - Luf 8.417.277 - accumulées sur une période peu étendue, la société ayant été créée en octobre 1996 et sa faillite déclarée d’office en juillet 1999, dont Luf 1.215.043 du chef d’une créance du chef de TVA non payée, cette dette résultant d’une taxation d’office en raison du non-dépôt d’une déclaration depuis sa constitution.

Or, si le fait d’avoir été impliqué dans une faillite dont les caractéristiques et circonstances spécifiques portent atteinte à l’honorabilité professionnelle de son dirigeant ne saurait a priori justifier indéfiniment le maintien du refus d’autorisation, étant donné qu’il échet d’accorder au dirigeant concerné la chance de s’amender, en lui donnant par exemple la possibilité de rapporter la preuve qu’il a pris conscience de ses erreurs et de leur portée et qu’il a entre-temps par exemple suivi une formation spécifique relative à la gestion d’entreprises ou encore qu’il a depuis lors acquis une expérience professionnelle utile, en exerçant par exemple pendant une période de temps significative en tant que salarié certaines responsabilités à la satisfaction de son employeur dans une entreprise similaire, force est de constater que la demanderesse, qui persiste à vouloir nier tant la gravité que la réalité de la faillite, reste en défaut de faire état d’efforts concrètement déployés pour améliorer son savoir-faire en matière d’entreprise et ne produit pas un seul élément susceptible de supporter la thèse d’une volonté d’amendement dans son chef depuis la survenance de la faillite, trouvant indéniablement sa source en grande partie au niveau de la gestion de la société et dans le non-respect d’obligations professionnelles.

Il s’ensuit que les éléments relevés ci-dessus constituent un ensemble de faits ayant pu justifier le refus ministériel déféré de l’autorisation sollicitée, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents, de sorte que le recours en annulation sous examen laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

laisse les frais à charge de la demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22.11.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18189
Date de la décision : 22/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-22;18189 ?

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