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22/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18183

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2004, 18183


Tribunal administratif Numéro 18183 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18183 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vitomirica (Kosovo/Etat de

Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Bérane (Monténégro/Etat de Serbie-et-...

Tribunal administratif Numéro 18183 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 juin 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formé par les époux … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18183 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vitomirica (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), et de son épouse, Mme …, née le … à Bérane (Monténégro/Etat de Serbie-et-Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous les quatre de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants mineurs …, demeurant toujours à Vitomirica, tous les deux de nationalité serbo-monténégrine, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 19 janvier 2004 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 6 mai 2004, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Virginie ADLOFF, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Les 6 et 22 octobre 2003, respectivement Mme … …, épouse de M. … …, accompagnée de deux de leurs enfants communs, à savoir …, et M. … …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les 23 et 24 octobre 2003, respectivement M. … … et Mme … … furent entendus par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 19 janvier 2004, notifiée par lettre recommandée du 26 janvier 2004 le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo début septembre 2003 pour aller à Novi Pazar. Vous êtes venus au Luxembourg séparément, en passant par la Slovénie, la Croatie, l’Italie et la France.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié les 6 et 22 octobre 2003.

Monsieur, vous auriez fait votre service militaire en Bosnie en 1988/1989.

Vous auriez été membre du parti BDIK, qui est un parti pro-bochniaque au Kosovo.

Ceci ne vous aurait causé cependant aucune difficulté.

Vos ennuis proviennent d’un groupe de personnes qui aurait agressé votre belle-sœur et vous-même. Vous ne connaîtriez pas les membres de ce groupe qui travailleraient masqués.

Ils s’attaqueraient à tout le monde, même aux Albanais.

Vous, Madame, vous n’auriez été membre d’aucun parti. Vous dites que l’un de vos voisins vous reprochait d’avoir réussi à ouvrir un commerce et d’avoir collaboré avec les Serbes. Pour le surplus, vous confirmez le récit de votre mari.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

En ce qui concerne les craintes dont vous faites état, elles ne sauraient constituer un motif suffisant pour obtenir le statut de réfugié. En effet, elles dénotent davantage un sentiment d’insécurité qu’une persécution au sens de l’article 1er de la Convention de Genève.

Des individus non autrement identifiés, ni votre voisin ne sauraient être assimilés à des agents de persécution. En effet, vous admettez vous-mêmes que ces individus s’attaquent indistinctement aux minorités et aux Albanais.

En ce qui concerne la situation au Kosovo, après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques. De même, il est admis que les violences ont diminué au Kosovo et que [les] forces de l’ONU sont tout à fait capables de fournir une protection aux personnes appartenant à une minorité. Concernant la situation plus précise des Bochniaques, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit à la participation et à la représentation politique, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il ressort du rapport du UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo qu’en règle générale, les Bochniaques ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité.

Enfin, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous était impossible de vous installer dans une autre ville de Serbie-Monténégro de façon à profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève (…) ».

Le 22 avril 2004, les consorts … formulèrent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 6 mai 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 7 juin 2004, les époux …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, …, ont introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 19 janvier et 6 mai 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs exposent qu’ils seraient originaires du Kosovo, de religion musulmane et qu’ils feraient partie de la minorité bochniaque du Kosovo. Ils relèvent que la situation générale resterait mauvaise au Kosovo et que des tensions interethniques persisteraient et que des heurts seraient à l’ordre du jour. Quant à leur situation personnelle, ils exposent qu’en tant que membres de la communauté des bochniaques, ils auraient été contraints de quitter leur pays d’origine parce que leur sécurité n’y aurait pas été garantie, relevant qu’un beau-frère de M. … était membre de la police serbe et un autre membre de sa famille aurait revêtu le grade de commandant dans l’armée serbe, de sorte qu’ils auraient été particulièrement exposés à des insultes, menaces et persécutions de la part de membres de la population albanaise proches de l’UCK, regroupés en groupements terroristes. Ils estiment encore que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne sont pas en mesure de les protéger efficacement.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte qu’ils seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asiles risquent de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, s’il est vrai que la situation générale des demandeurs en tant que membres de la minorité bochniaque du Kosovo reste difficile et qu’ils sont exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève et que les allégations des demandeurs relativement à des menaces et une altercation avec des inconnus, présumés être des membres de la population « albanaise », à les supposer vraies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir au Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres de la communauté bochniaque, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 22 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18183
Date de la décision : 22/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-22;18183 ?

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