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22/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18108

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2004, 18108


Tribunal administratif N° 18108 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2004 Audience publique du 22 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18108 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2004 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M.

…, né le … à Mogadishu (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l...

Tribunal administratif N° 18108 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2004 Audience publique du 22 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18108 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2004 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le … à Mogadishu (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 27 avril 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Luc BIRGEN, en remplacement de Maître François GENGLER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 octobre 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 17 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 27 avril 2004, envoyée par pli recommandé le 30 avril 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 17 juillet 2003 que vous auriez quitté Mogadishu en août 2002 en voiture pour vous rendre d’abord à Addis Abeba.

Ensuite, vous vous seriez rendu en Italie, à Naples, en avion via Athènes, accompagné d’un homme qui se serait occupé des papiers. Après 3 semaines dans ce pays, vous auriez pris un train en destination du Luxembourg. Durant deux semaines vous seriez resté dans la rue.

Vous ajoutez avoir passé un jour en prison en Italie, cependant sans dire pour quelle raison.

Il résulte de vos déclarations que vous vous seriez fait arrêter et emprisonner par le groupe islamique qui serait à la tête de la ville en raison de votre homosexualité. La sentence serait la pendaison. Vous auriez été battu le premier jour de votre emprisonnement puis violé par le gardien le deuxième jour, et enfin vous vous serez enfui le troisième, en effet grâce à vos poignets fins vous auriez pu vous déligoter. Vous seriez alors passé par la fenêtre qui aurait comporté des piques ainsi vous vous seriez blessé au niveau d’une main et d’un de vos genoux. Ensuite vous seriez allé à votre domicile retrouver votre mère qui se serait trouvée là avec un ami à elle. Cet ami vous aurait fait sortir du pays et aurait organisé tout votre voyage jusqu’au Luxembourg.

Vous dites qu’en cas de retour en Somalie vous pensez que vous seriez jugé et donc exécuté.

Votre but aurait été de vous rendre en Angleterre, d’ailleurs vous expliquez avoir demandé l’asile au Luxembourg afin de toucher de l’argent pour vous y rendre dès que vous en auriez suffisamment, et aussi au motif que la police vous aurait attrapé dans la rue et amené au bureau pour demandeurs d’asile.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, votre récit comprend plusieurs incohérences et invraisemblances. En effet, il convient de souligner tout d’abord que vous avez menti lorsque vous avez répondu par la négative au fait d’avoir été dans un autre pays de l’Union européenne en dehors de l’Italie et la Grèce, puisque selon nos informations, vous avez été signalé en Allemagne au mois d’août 2002, vous y seriez resté au minimum une semaine, et ce, sous une autre identité à savoir « GULED Majed » accompagnée d’une autre date de naissance en l’occurrence le 01/01/1986. Il est ainsi compréhensible que vous ayez signé les divers documents (convocations, personal data sheet…) de manière différente, cela ne fait que confirmer l’indication d’une fausse identité. Par conséquent, une telle constatation entraîne de sérieux doutes quant à l’authenticité de l’entièreté de votre récit. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

De plus, votre récit concernant votre fuite est peu crédible, effectivement il est peu probable qu’aucun gardien n’ait été présent lors de votre fuite et que vous ayez pu vous enfuir sans aucun problème, et ce par la fenêtre.

Aussi, selon le rapport de service de Police Judiciaire vous mentionnez un séjour d’une durée de 3 semaines en Italie or, au sein de l’audition, vous prétendez y être resté 1 mois et 3 semaines.

En outre, il convient de remarquer qu’à l’heure actuelle le gouvernement transitoire dont avait été dotée la Somalie avec l’aide des Nations Unies est en train d’être remplacé par l’établissement d’un parlement suivi d’élections d’un nouveau président, et ce sur base d’un accord signé notamment par les chefs de guerre de ce pays dans le but d’y rétablir la paix.

Enfin, vous expliquez clairement avoir demandé l’asile au Luxembourg dans le but d’obtenir de l’argent afin de vous rendre en Angleterre, et en raison du fait que la police vous aurait amené dans le bureau pour demandeurs d’asile, or de telles considérations ne sauraient entrer dans le cadre de la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 26 mai 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus prévisée du 27 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir omis de motiver à suffisance de droit sa décision, qui ne reposerait donc pas sur des « motifs suffisamment clairs et précis ».

Sur ce, il soutient encore que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, aux motifs qu’en raison de son homosexualité, il aurait été arrêté et emprisonné par un « groupe islamique qui serait à la tête de la ville », qu’il aurait été battu et violé par un gardien et que risquant d’être pendu, il se serait enfui pour se réfugier en Europe. Il ajoute qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être arrêté, « jugé et exécuté ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait amplement motivé sa décision et qu’il aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Quant au reproche d’indication d’une motivation suffisante en fait et en droit, ce moyen d’annulation, implicitement basé sur la violation notamment de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation de la décision ministérielle litigieuse, l’omission de l’obligation d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle litigieuse que le ministre a énoncé une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait.

Quant au bien fondé ou mal fondé de la demande d’asile, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever que le demandeur n’a pas apporté la moindre explication voire justification quant à ses déclarations mensongères, par ailleurs non contestées quant à leur matérialité, relativement à son séjour dans un pays de l’Union européenne, autre que l’Italie et la Grèce, et plus particulièrement son séjour en Allemagne et l’usage d’une autre identité, et de retenir que pareils mensonges dans les déclarations d’un demandeur d’asile ne sont pas de nature à conforter la crédibilité de son récit, élément d’appréciation d’autant plus important que des éléments de preuve matériels font défaut.

Au regard de ce qui précède et du fait que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible, le tribunal arrive à la conclusion que le seul récit du demandeur est insuffisant pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement est insuffisant pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Somalie ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres de la communauté homosexuelle.

Enfin, le demandeur n’établit pas non plus qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 22 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18108
Date de la décision : 22/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-22;18108 ?

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