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22/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18070

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2004, 18070


Tribunal administratif N° 18070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée … s.àr.l., …, et par Monsieur …, … (France), contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18070 du rôle, déposée le 17 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … s.àr.l., représentée par ...

Tribunal administratif N° 18070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée … s.àr.l., …, et par Monsieur …, … (France), contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18070 du rôle, déposée le 17 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … s.àr.l., représentée par son gérant actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à L-… , et de Monsieur …, gérant de sociétés, demeurant à F-5…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision datée du 28 novembre 2003 du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement portant refus de l’autorisation d’établissement en vue de l’exercice de l’activité de conseil en énergétique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 2004 par Maître Lex THIELEN pour compte des requérants ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 18 octobre 2004 et Maître Renaud LE SQUEREN, en remplacement de Maître Philippe STROESSER, en ses explications à l’audience du 8 novembre 2004, Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK s’étant ralliée lors de cette audience aux écrits de la partie publique.

___________________________________________________________________________

Par formulaire du 30 juillet 2003, Monsieur … adressa au ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après « le ministre », une demande tendant à l’obtention d’une autorisation gouvernementale en vue de l’exercice « d’ingénierie du génie technique des constructions comprenant des études techniques ainsi que la coordination des travaux s’y afférant ».

Le ministre prit position quant à la demande prévisée du 30 juillet 2003 par lettre du 9 octobre 2003 conçue en les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Il en résulte que le gérant Monsieur … ne remplit pas la condition de qualification professionnelle requise pour l'exercice de la profession d'ingénieur-conseil en construction.

En effet, celui-ci est soumis à la détention d'un des titres prévus à la directive 89/48/CEE du 21 décembre 1988 et à l'article 19, (1), b) et (2) de la loi d'établissement précitée. En outre, ces preuves de qualification sont à compléter par un stage d'un an auprès d'un professionnel de la branche.

Or, le diplôme du sieur précité ne porte pas sur la spécialité requise. Dans ces conditions, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête pour défaut d'accomplissement des conditions de capacité professionnelles requises.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif… ».

Par courrier du 20 octobre 2003 rédigé sur papier à entête de la société à responsabilité limitée … s.àr.l, ci-après « la société … », Monsieur … adressa au ministre une nouvelle demande d’autorisation relative à l’exercice de l’activité de « bureau d’étude en énergétique », en expliquant que la demande initiale définissait mal la dénomination de l’activité.

Le ministre prit position quant à cette nouvelle demande par courrier daté du 28 novembre 2003 libellé comme suit :

« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à votre requête sous rubrique et plus particulièrement à votre lettre du 20 octobre 2003 ainsi qu'aux pièces supplémentaires versées au dossier à cette occasion. Votre demande a fait entre temps l'objet d'un réexamen de la part de la commission prévue à l'article 2 de la loi d'établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Il en résulte que le gérant Monsieur … ne remplit pas la condition légale de qualification professionnelle requise pour l'exercice de la profession d'ingénieur-conseil en énergétique.

À toutes fins utiles, je vous signale que l'exercice de la profession d'ingénieur est soumis à la détention d'un des titres prévus à la directive 89/48/CEE du 21 décembre 1988 et à l'article 19, (1), b) et (2) de la loi d'établissement du 28 décembre 1988.

Etant donné que le diplôme de Monsieur … ne porte pas dans la spécialité, je suis au regret de ne pouvoir réserver une suite favorable à votre requête pour défaut d'accomplissement des conditions de qualification professionnelle requises.

La présente décision peut faire l'objet d'un recours par voie d'avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif …. » Suite à un recours gracieux introduit par le mandataire de la société … par courrier du 16 janvier 2004, le ministre prit une décision confirmative datée du 16 février 2004.

Par requête déposée le 17 mai 2004 au greffe du tribunal administratif, la société … « en voie de constitution » et Monsieur … ont fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2003.

A l’audience du 18 octobre 2004, le tribunal souleva la question de la recevabilité du recours du point de vue de l’intérêt à agir, et ce à un double titre, à savoir d’une part au vu du fait que contrairement au libellé de la requête introductive d’instance la société … avait été régulièrement constituée en date du 7 octobre 2003, la dite constitution ayant été publiée au Mémorial C, recueil des sociétés et associations, du 7 novembre 2003, et d’autre part au vu du fait que l’objet social statutaire de la société … porte sur une activité a priori différente de celle faisant l’objet du refus ministériel déféré au tribunal.

Le mandataire des demandeurs, après avoir constaté à l’audience du 8 novembre 2004 qu’il y a effectivement une différence entre l’objet social de la société … et l’activité faisant l’objet du refus ministériel et du recours afférent, d’estimer cependant que l’activité refusée serait incluse dans l’objet social statutaire et de se rapporter pour le surplus à la sagesse du tribunal, de sorte qu’il appartient au tribunal de toiser avant tout autre progrès en cause la question de la recevabilité du recours.

Si la requête introductive d’instance telle que déposée en date du 17 mai 2004 indique que la société … serait en voie de constitution, force est de constater qu’au jour de l’introduction du recours, tout comme d’ailleurs à la date de la décision ministérielle déférée, la société … était d’ores et déjà régulièrement constituée, constitution d’ailleurs opposable aux tiers conformément à l’article 11 bis, paragraphe 4, de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales par l’effet de sa publication du 7 novembre 2003 au Mémorial C, recueil des sociétés et associations.

Il est encore constant en cause que c’est la société … qui est à la fois demanderesse en autorisation d’établissement et destinataire du refus ministériel déféré. Le tribunal relève à ce sujet que tant la demande que la décision ministérielle de refus se rapportent à la procédure d’autorisation d’établissement au bénéfice d’une personne morale telle que prévue à l’article 3, alinéa 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après désignée par « la loi d’établissement », et non à celle sollicitée par une personne physique agissant en nom personnel. Force est d’ailleurs de constater à ce sujet que le mandataire de la société … indique explicitement dans son recours gracieux daté du 16 janvier 2004 agir en sa qualité de « conseil de la société … SARL, actuellement demandeur d’une autorisation d’établissement ».

Or, dans le cas d’une autorisation sollicitée par une société, l’intervention d’une personne physique se conçoit essentiellement à deux niveaux : d’une part, l’autorisation d’établissement ne sera accordée, aux termes de l’article 3, alinéa 2, précité de la loi d’établissement, que si ses dirigeants présentent les garanties nécessaires d´honorabilité et de qualification professionnelles, le texte légal précisant à ce sujet qu’il suffit que les conditions de qualification professionnelle soient remplies par le chef d’entreprise ou par la personne chargée de la gestion ou de la direction de l´entreprise ; d’autre part, conformément à l’article 12 de la prédite loi modifiée du 10 août 1915, la société, personne morale, ne peut agir que par l’intervention de personnes physiques, ses gérants ou administrateurs : en l’espèce, la société …, société à responsabilité limitée, est représentée par son géant statutaire, Monsieur ….

En d’autres termes, Monsieur … n’intervient dans la présente procédure d’autorisation qu’en sa qualité de gérant de la société …, tantôt en tant que personne dirigeante qualifiée au sens de la loi d’établissement, tantôt en tant qu’organe statutaire de la société, mais jamais en nom personnel et pour son propre compte, de sorte que son intérêt d’organe se confond nécessairement avec celui de la société qu’il dirige et représente.

Monsieur … ne dispose d’ailleurs pas d’intérêt personnel à agir en son nom propre contre la décision litigieuse. En effet, la décision ministérielle de refus du 28 novembre 2003 ne conteste pas la qualification professionnelle per se de Monsieur …, en contestant par exemple la validité des diplômes obtenus par celui-ci, mais se borne à retenir que Monsieur … ne présente pas la qualification professionnelle requise pour l’activité sollicitée par la société … : le refus ministériel ne se justifie en l’espèce qu’au travers de l’activité visée par la société.

Le recours introductif d’instance ne fait à ce sujet pas de distinction entre les deux parties demanderesses, mais se contente d’alléguer de manière non spécifique que « les requérants ont un intérêt personnel et direct à agir, étant donné qu’il y a en l’espèce lésion d’un intérêt personnel et légitime (refus de prise en charge de l’aide sociale, notamment du logement) (sic) et que les requérants peuvent retirer de la réformation sinon de l’annulation de l’acte une satisfaction certaine et personnelle ».

Il résulte de ce qui précède que la demande en justice telle qu’introduite par Monsieur … est irrecevable dans la mesure où elle est introduite en son nom personnel et pour son propre compte ; par ailleurs, dans la mesure où elle a été introduite par Monsieur … en sa qualité de gérant et d’organe de la société …, la demande se confond avec celle introduite par la société en question et doit être écartée comme étant superfétatoire.

En ce qui concerne la demande telle qu’introduite par la société …, le tribunal est amené à constater que cette demande tend à lui voir accorder l’autorisation pour l’exercice de l’activité de « bureau en énergétique » ou encore de « bureau d’étude en énergétique ». Il est en revanche également constant en cause que l’objet social de la société … tel qu’indiqué dans ses statuts porte sur « l’ingénierie du génie technique des constructions comprenant des études techniques ainsi que la coordination des travaux y afférant ».

Si le mandataire de la société a affirmé à l’audience du 8 novembre 2004 que l’activité de « bureau en énergétique » serait incluse dans celle figurant à l’objet social statutaire, le tribunal relève cependant que tant le recours introductif d’instance que les écrits émanant des demandeurs et versés aux débats contredisent cette affirmation. C’est ainsi que le recours souligne que « Monsieur … a constaté que l’intitulé exact retenu par le Ministre pour l’activité qu’il demandait ne correspondait pas à ce qu’il souhaitait. Il ne souhaite en effet pas être conseil en construction mais conseil en énergétique », tandis que par courrier du 16 janvier 2004 le mandataire de la société … précise qu’« une erreur sur la demande en obtention d’une autorisation a été inscrite puisque la demande concernait l’activité d’ingénieur de construction. (…) L’erreur qui s’était glissée a été rectifiée et la demande a été faite pour une activité de bureau d’étude en énergétique ».

Or, les conclusions écrites primant en principe les observations orales contraires faites à l’audience (trib. adm. 30 mai 2001, n° 12647 du rôle, Pas. adm. 2004, v° procédure contentieuse, n° 389, p. 632), le tribunal retient, conformément aux écrits des demandeurs, que l’activité de « bureau en énergétique » est différente de celle « d’ingénierie du génie technique des constructions comprenant des études techniques ainsi que la coordination des travaux s’y afférant » telle que prévue tant par la demande initiale du 30 juillet 2003 que par l’objet social de la société ….

En ce qui concerne l’objet social, il y a lieu de rappeler que si toute société commerciale bénéficie de la personnalité juridique lui conférant la capacité juridique d’agir, cette capacité juridique est toutefois limitée à l’accomplissement de la finalité de la société, à son objet social tel qu’indiqué et précisé dans les statuts, la société ayant en effet été créée spécifiquement pour accomplir l’objet déterminé par les statuts. Cette capacité statutaire a pour corollaire qu’une société ne saurait agir en-dehors de son champ d’activité propre sans agir ultra vires. En d’autres termes, lorsqu’une opération menée par une société est étrangère à son objet, cette opération est sans valeur (voir Cass. belge, 31 mai 1957 et note de P.Van Ommeslaghe, Observations sur les limites imposées à l’activité des personnes morales en droit comparé, Rev. crit. jur. belg., 1958, p.286 et suiv.).

Il s’ensuit que la poursuite par la société … d’une activité étrangère à son objet social n’est pas valable.

Cette conclusion, transposée à la question de la recevabilité du recours déféré au tribunal par requête déposée en date du 17 mai 2004, et compte tenu du fait que l’intérêt à agir se mesure aux prétentions du demandeur, abstraction faite de leur caractère justifié au fond (trib. adm., 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm 2004, v° procédure contentieuse, n° 1, p. 551), a pour conséquence que la société … n’a pas d’intérêt à poursuivre une action tendant à obtenir l’autorisation d’exercer une activité étrangère à celle prévue par son objet social statutaire, cette différence étant vérifiée tant au jour de la prise de la décision déférée qu’au jour du dépôt du recours introductif d’instance et à celui de la prise en délibéré de l’affaire.

Il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable dans le chef de la société … pour défaut d’intérêt à agir vérifié.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable tant de le chef de la société … s.àr.l. que dans celui de Monsieur … ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2004 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18070
Date de la décision : 22/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-22;18070 ?

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