La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18035

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2004, 18035


Tribunal administratif N° 18035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mai 2004 Audience publique du 22 novembre 2004

==============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18035 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2004 par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, assisté de Maître Thom

as WALSTER, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 18035 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mai 2004 Audience publique du 22 novembre 2004

==============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18035 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2004 par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, assisté de Maître Thomas WALSTER, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Banka (Libéria), de nationalité libérienne, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 mars 2004, notifiée en date du 12 mars 2004, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant non fondée, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004, notifiée le 29 avril 2004, intervenue sur recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc LENTZ, en remplacement de Maître Philippe PENNING, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 10 novembre 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 27 février 2004, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 9 mars 2004, lui notifiée en mains propres le 12 mars 2004, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition du 27 février 2004.

Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que vous seriez venu jusqu’en Europe en bateau, sans pouvoir donner plus d’indications.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Libéria il y a 5 ans en raison de la guerre et afin d’aller gagner de l’argent dans d’autres pays, cependant vous ne pouvez dire dans quels pays africains vous auriez séjourné avant de prendre un bateau pour une durée d’une semaine et d’arriver en Europe. Vous auriez demandé l’asile dans un Etat européen sans non plus pouvoir dire lequel. A partir de ce pays, vous auriez pris un train pour Paris où vous auriez séjourné durant 5 jours sans pour autant y avoir demandé l’asile, votre volonté étant de venir au Luxembourg. Votre voyage vous aurait coûté 700 euros.

Vous ajoutez que vos parents auraient été tués pendant la guerre, sans connaître les meurtriers.

Vous déclarez avoir peur en cas de retour dans votre pays, peur qu’ils vous tuent sans préciser qui pourrait vous tuer.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

En effet, il convient de souligner que vous éprouvez tout au plus un sentiment d’insécurité générale ne rentrant pas dans le cadre de la Convention de Genève, puisqu’il ressort du rapport d’audition qu’à aucun moment vous n’avez été en contact avec les rebelles, ni avoir subi une quelconque persécution ou de mauvais traitements.

De plus, force est de constater que votre récit reste confus et peu crédible, car en l’occurrence vous ne savez pas qui a tué vos parents, vous ne pouvez dire dans quels pays africains vous avez séjourné, ni dans quel pays européen vous avez demandé l’asile politique, par ailleurs vous ne savez répondre quasiment à aucune des questions sur le Libéria, ce qui entraîne de sérieux doutes quant à votre origine libérienne.

A cela s’ajoute que les faits allégués remontent à 5 et 10 ans en arrière, or il convient de constater que la situation au Libéria s’est considérablement améliorée.

Effectivement, non seulement le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire, mais de plus le conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution afin d’établir une vaste opération de maintien de la paix dans ce pays, notamment en déployant jusqu’à 15000 casques bleus et policiers, effectif qui sera atteint en mars 2004, et dont sa mise en place a débuté le 1er octobre 2003. Une attention particulière est naturellement portée aux questions de sécurité, avec en l’occurrence l’observation du cessez-le-feu, le désarmement et la démobilisation des combattants des forces armées et de police. Néanmoins, l’opération a également pour mandat de faciliter la délivrance de l’aide humanitaire, de contribuer à la protection des droits de l’homme et d’aider le gouvernement de transition à restaurer les structures de l’Etat.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 31 mars 2004, Monsieur … introduisit par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 mars 2004.

Par décision du 26 avril 2004, lui notifiée en mains propres le 29 avril 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 9 mars 2004.

Par requête déposée en date du 10 mai 2004, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 9 mars et 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Libéria et que ses parents auraient été tués par les rebelles lors de la guerre civile qui y sévirait. Il fait valoir plus particulièrement que suite au décès de ses parents, il aurait pris la fuite et aurait séjourné dans d’autres pays africains avant de prendre un bateau qui l’aurait emmené en Europe. Sur ce, il soutient que sa vie serait en danger dans son pays d’origine en raison de la situation politique instable et il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 27 février 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, si le demandeur relate que son village aurait été attaqué par des rebelles et que lors de cette attaque, qui remonte à plus de 5 ans, ses parents auraient été tués, force est de constater que les actes de persécution allégués par le demandeur, à les supposer établis, n’émanent pas de l’Etat, mais de rebelles. S’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics actuellement en place dans son pays d’origine seraient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant. Il ressort des déclarations du demandeur telles que relatées dans le compte-rendu d’audition, qu’il n’a pas recherché concrètement la protection des autorités en place, de sorte que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à l’existence d’une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes susceptibles de sous-tendre utilement la demande d’asile sous examen.

En outre, la situation générale régnant au Libéria a largement évolué depuis l’époque du départ du demandeur, étant donné que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté le 19 septembre 2003 une résolution en vue de la mise en place d’une opération de maintien de la paix en déployant des forces onusiennes sur place, qu’un cessez-le-feu a été décidé et qu’un gouvernement transitoire a été mis en place.

Il résulte de tous les développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 22 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18035
Date de la décision : 22/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-22;18035 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award