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22/11/2004 | LUXEMBOURG | N°17874

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2004, 17874


Tribunal administratif N° 17874 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Santé en matière d’autorisation de faire le commerce

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17874 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004 par Maître Sonja VINANDY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, commerçant, demeurant à L-…, ten...

Tribunal administratif N° 17874 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 avril 2004 Audience publique du 22 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Santé en matière d’autorisation de faire le commerce

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17874 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2004 par Maître Sonja VINANDY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, commerçant, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Santé du 22 septembre 2003 refusant de faire droit à sa demande en autorisation de commercialiser 1) des graines de chanvre de toutes les variations, 2) des champignons des espèces Copelandia Cyanescens, Psilocibe Semilanceata, Stropharia Cubensis, Psylocybe Tapanensis 3) des plantes Lophorora Williamsii ; Trichocerus Pachanoi ;

4) tous autres articles vendus aux Pays-Bas dans les magasins de type « smart shop », ainsi que d’une décision du même ministre du 9 janvier 2004 intervenue sur recours gracieux et confirmant celle prévisée du 22 septembre 2003 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2004 par Maître Sonja VINANDY au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2004 par le délégué du Gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sonja VINANDY et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 octobre 2004.

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En date du 10 juillet 2003 Monsieur …, détenteur d’une autorisation de faire le commerce de produits alimentaires et d’articles de ménage qui couvre les légumes, plantes et semences, s’adressa au ministre de la Santé pour solliciter son autorisation quant à la commercialisation par lui projetée des articles suivants :

« 1) Des Graines de chanvre de toutes les variations (toutes les variations qui sont commercialisées aux Pays-Bas).

2) Des champignons des espèces suivantes :

Copelandia Cyanescens Psilocibe Semilanceata Stropharia Cubensis Psylocybe Tapanensis 3) Des Plantes :

Lophorora Williamsii Trichocerus Pachanoi 4) Tous autres articles vendus aux Pays-Bas dans les magasins de type « smart shop » Par décision du 22 septembre 2003 le ministre de la Santé rencontra cette demande dans les termes suivants :

« a) quant aux graines de chanvre.

Le chanvre (cannabis sativa) est considéré comme stupéfiant du moment que son taux en THC (tétrahydrocannabinol) dépasse le taux de 0,3 % (règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974). Les plantes dont le taux en THC est inférieur au seuil précité servent notamment dans la fabrication de fibres textiles.

La commercialisation des stupéfiants, en l’occurrence le chanvre accusant en taux de THC supérieur à 0,3 %, est soumise à une autorisation spécifique du Ministre de la Santé. La réglementation prévoit notamment la tenue d’un registre. Comme, sauf erreur de ma part, il n’y a aucun emploi légal pour le chanvre titrant à plus de 0,3 % de THC, l’autorisation ministérielle pour ce type de produit devrait être refusée.

S’agissant d’éventuelles vertus thérapeutiques du produit, il faudrait de toute manière passer par la procédure prévue pour la mise sur le marché de médicaments.

Dès lors je vous saurais gré de préciser, éventuellement échantillons à l’appui, de quel type de chanvre il s’agit. Le simple renvoi aux produits commercialisés aux Pays-Bas n’est pas suffisant sous ce rapport, compte tenu surtout de la législation plus permissive en vigueur dans ce pays à l’égard des drogues dites douces.

a) quant aux champignons de quatre espèces déterminées Les quatre champignons visés dans votre demande ont un fort potentiel hallucinogène, susceptible de produire des effets néfastes. Cet effet provient de la présence de la substance psilocybine. Cette substance est énumérée parmi les substances psychotropes au règlement grand-ducal du 20 mars 1974 concernant lesdites substances. Cela étant les conditions restrictives de commercialisation relevées ci-

dessus pour le chanvre titrant à plus de 0,3 % de THC sont également applicables.

b) quant aux deux plantes plus amplement spécifiées dans la demande.

Lesdites plantes ont des vecteurs de mescaline, avec des propriétés analogues aux champignons magiques dont question ci-dessus.

La mescaline est à son tour classée substance psychotrope au prédit règlement grand-

ducal du 20 mars 1974.

Etant donné qu’une indication légale pour la vente des articles sous b) et c) n’est pas connue, je ne me vois pas en mesure d’accorder l’autorisation ministérielle prévue par les prédites réglementations.

c) quant aux articles généralement quelconques vendus aux Pays-Bas dans les magasins de type « smart shop ».

Faute de davantage de précisions dans votre demande je ne me vois pas en mesure de donner pour ces produits un accord de principe, équivalent pratiquement à un blanc seing, compte tenu aussi de la législation particulière des Pays-Bas dans certains domaines. » Le recours gracieux que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 22 décembre 2003 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 22 septembre 2003 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 9 janvier 2004, Monsieur …, par requête déposée en date du 8 avril 2004, a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 22 septembre 2003 et 9 janvier 2004.

Il y a lieu de relever liminairement que le demandeur a précisé que son recours ne porte pas sur le point des produits vendus dans les magasins du type « smart shop », de sorte que le volet afférent de la décision litigieuse est à considérer comme ne faisant pas l’objet du litige sous examen.

Le délégué du Gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’aucun texte légal n’habiliterait le tribunal à statuer quant au fond en la matière. La partie demanderesse s’est rapportée à prudence de justice à cet égard sans faire autrement état d’une base légale qui instituerait un recours au fond en la matière.

A défaut de disposition légale habilitant le tribunal à statuer en tant que juge du fond en la matière, le tribunal ne saurait en effet se déclarer compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation, non autrement critiqué sous ce rapport, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours Monsieur … fait valoir que les décisions litigieuses seraient le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit, qu’elles violeraient la loi et qu’elles seraient dénuées de base légale.

Avant de procéder à l’exposé des moyens, il y a lieu de relever liminairement que les parties au litige utilisent indistinctement les notions de graines et de semences, de sorte qu’en l’absence de différenciation alléguée comme portant à conséquence en l’espèce, le tribunal, par souci de cohérence, emploiera la seule notion de « semences », ceci conformément à la terminologie retenue au point 15 de la liste des stupéfiants établie par règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974.

Concernant d’abord les semences de chanvre, le demandeur précise avoir sollicité l’autorisation de commercialiser des semences de chanvre de toutes les variétés existantes. Il fait valoir que c’est à tort que le ministre soutient que la commercialisation de ces semences serait soumise aux mêmes conditions restrictives d’importation, de détention et de commercialisation que la vente des substances médicamenteuses et des stupéfiants, étant donné que la Convention unique sur les stupéfiants faite à New York le 30 mars 1961, approuvée par une loi du 28 avril 1976, ci-après désignée par « la Convention unique », précise notamment dans son article 1er sous b) que « le terme cannabis désigne les sommités florifères ou fructifères de la plante de cannabis (à l’exclusion des graines et des feuilles qui ne sont pas accompagnées des sommités) dont la résine n’a pas été extraite, quelque soit leur application ». Il relève en outre que les semences de chanvre ne figureraient pas sur la liste jaune de la Convention unique, de sorte qu’elles ne sauraient être considérées comme tombant sous le champ d’application de celle-ci et ne sauraient dès lors être considérées comme des stupéfiants avec toutes les conséquences s’en dégageant en ce qui concerne leur commercialisation. Le demandeur fait préciser que la Convention unique ne ferait à cet égard pas de distinction entre les différentes variations de semences de chanvre, de sorte que le raisonnement du ministre basé sur un taux supérieur ou inférieur à 0,3 % THC, devrait être écarté comme étant sans caractère pertinent, ceci d’autant plus que conformément à l’article 28 de la Convention unique, elle ne s’appliquerait pas à la culture de la plante de cannabis exclusivement à des fins industrielles (fibres et semences) ou pour des buts horticulturaux.

Sur base de ces considérations le demandeur conclut au caractère illégal du règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974 établissant la liste des stupéfiants en ce qu’il considère que les semences de chanvre constituent des stupéfiants dont le commerce est prohibé, alors que la « yellow list » qui lierait le Luxembourg en tant que norme supérieure ne comprend pas les semences de chanvre.

Dans un deuxième ordre d’idées le demandeur fait valoir que le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974 dépasserait les prérogatives du pouvoir exécutif par rapport au principe notamment de la légalité des peines et de celui de la séparation des pouvoirs en ce qu’il permet au pouvoir exécutif de déterminer discrétionnairement, sans vote de la chambre des députés et en l’absence de normes internationales, n’importe quel produit comme stupéfiant, avec toutes les conséquences au niveau des poursuites et répressions pénales, ce qui serait contraire à l’article 14 de la Constitution.

Le demandeur fait valoir ensuite que ledit règlement grand-ducal du 26 mars 1974 violerait l’article 11 (6) de la Constitution qui garantit notamment la liberté du commerce, le droit au travail et l’exercice de la profession libérale, ainsi que le travail agricole, en ce qu’il opérerait une restriction à ces droits fondamentaux, restriction qui relèverait pourtant de la seule compétence du pouvoir législatif et qui serait de surcroît d’interprétation stricte. Il signale plus particulièrement à cet égard qu’à l’époque de la modification constitutionnelle de 1948, le souci de la chambre des députés aurait été de réserver au pouvoir législatif le droit de restreindre la liberté du commerce et d’exclure en quelque sorte l’intervention directe du gouvernement à ce niveau, ceci afin de garantir au mieux ce droit fondamental.

Il rappelle dans ce contexte qu’aucun traité international, ni aucune loi formelle au Luxembourg n’interdiraient la vente libre des semences de chanvre de quelque variation que ce soit à des fins ornementales ou horticulturales et que de surcroît d’autres textes autoriseraient sans restriction la culture du chanvre à ces mêmes fins. Le demandeur se réfère à cet égard à la directive 2002/57/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation des semences de plantes oléagineuses et à fibres, telle qu’elle a été modifiée par la directive 2003/45/CE de la Commission du 28 mai 2003 qui préciserait qu’elle ne s’appliquera pas à la commercialisation de semences oléagineuses uniquement à usage ornemental.

Le demandeur complète son argumentation en se référant au traité instituant l’Union économique Benelux et des actes connexes signé à La Haye le 3 février 1958 tel qu’il a été adopté en droit interne, et plus particulièrement à son article 3.1, pour soutenir que la circulation des marchandises sans distinction d’origine, de provenance ou de destination entre les territoires des hautes parties contractantes est exempte de toute prohibition ou entrave d’ordre économique et financier, notamment de restriction quantitative, qualitative ou de change, tandis que l’article 6 du prédit traité irait encore plus loin en précisant que les Etats signataires veillent en commun à ce qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune disposition de droit public, notamment d’ordre sanitaire, n’entravent indûment la libre circulation, étant entendu que le terme « indûment » devrait s’interpréter de façon restrictive.

Concernant toujours le même traité Benelux, le demandeur signale qu’il est prévu dans son article 7 que les parties veillent à ce qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune autre disposition de droit public ne faussent sur leurs territoires les conditions de concurrence, tandis que l’article 10 relativement aux mesures transitoires, tout en prévoyant la possibilité de maintenir en vigueur certaines entraves à la libre circulation des marchandises appliquées au moment de l’entrée en vigueur du traité de l’Union économique Benelux, précise que le comité des ministres devra établir la liste de ces entraves et y mettre progressivement fin dans un délai ne pouvant dépasser cinq ans.

Considérant qu’il serait un fait que les semences de chanvre de toutes sortes sont en vente non réglementée aux Pays-Bas à des fins ornementales ou horticulturales et qu’elles ne figurent nullement sur la liste des stupéfiants dans ce pays, le demandeur conclut que le règlement grand-ducal précité du 6 mars 1974, en ce qu’il interdit un produit qui est en vente dans un autre Etat Benelux, violerait le traité Benelux, norme de droit supérieure, et serait de ce fait encore invalide.

Concernant ensuite les champignons et autres plantes décrites dans la demande à la base du litige sous examen, le demandeur conclut au caractère parfaitement erroné du raisonnement tenu par le ministre en faisant valoir que seules les substances mescaline et psilocybine et leur vente seraient interdites, voire réglementées par notamment un règlement grand-ducal du 20 mars 1974 sur les substances psychotropes et la Convention sur les substances psychotropes de Vienne du 21 février 1971, ceci conformément à la liste dite « green list » annexée à cette convention, et non pas les plantes ou champignons qui contiennent ces substances d’une façon naturelle. Il se réfère à cet égard au commentaire des articles de la Convention de 1971 pour soutenir que le terme « substance » ne viserait pas les champignons et plantes.

Le demandeur entend en déduire que la commercialisation de ces champignons et plantes qui n’ont reçu aucune préparation, ni transformation et qui sont donc frais, ne serait interdite par aucun texte de loi, ni national, ni international. Les décisions litigieuses violeraient partant encore à cet égard les principes de libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’Union européenne respectivement sur le territoire des Etats Benelux et se heurteraient de surcroît à l’article 11. (6) de la Constitution.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les produits concernés par la demande de Monsieur … relèveraient de restrictions de commercialisation et de détention établies, tant en droit national qu’international dans un but de protection de la santé publique et de lutte efficace contre le trafic illicite de substances psychotropes. Tout en admettant, en ce qui concerne le cannabis, que seules les sommités fleuries et fructifères de la plante sont concernées par la Convention unique et non ses feuilles et semences, le représentant étatique souligne que l’esprit général de ce texte aurait été de poser une norme minimale acceptable au niveau international, afin de lutter efficacement contre le fléau de la toxicomanie et non un texte de libre échange, de sorte que chaque pays garderait compétence pour étendre les restrictions de contrôle et de commercialisation au-delà des exigences minimales de cette Convention. Il renvoie à cet égard à l’article 39 de la Convention unique relatif à l’application de mesures nationales de contrôle plus sévères que celles qu’exige la Convention, ainsi qu’à son article 31 qui, dans un même ordre d’idées, consacrerait l’applicabilité de la réglementation du pays de destination et non de celle du pays d’origine concernant les règles de transit dans un pays tiers, tout en signalant que conformément aux dispositions de l’article 28 de la Convention unique, les parties gardent compétence pour adopter les mesures qu’elles estiment nécessaires pour empêcher l’abus des feuilles de cannabis. Il relève que c’est précisément à cette fin que le Luxembourg, tout comme par ailleurs la France, la Belgique et de nombreux autres pays, a complété sur son territoire le texte international en étendant l’interdiction au cannabis dans son ensemble, y compris les feuilles, les semences et la résine, à l’exception des espèces avec un taux de THC inférieur à 0,3 %, lesquelles sont en vente libre.

Concernant ensuite la Convention de Vienne du 21 février 1971 sur les substances psychotropes, le délégué du Gouvernement fait valoir qu’à l’instar de la Convention unique, elle réserve le droit d’étendre les restrictions de contrôle et de commercialisation au-delà du domaine de la Convention à travers les dispositions de son article 23 relatif à l’application de mesures de contrôle plus sévères que celles qu’exige la Convention.

Quant au droit national, le délégué du Gouvernement relève que la loi modifiée du 19 février 1973 précitée habilite le Grand-Duc à réglementer la fabrication, la vente et la conservation de substances médicamenteuses, ainsi que l’importation, le commerce et la fabrication ou la culture de stupéfiants ou de plantes pouvant servir à la production de telles substances, tout en mettant un place un arsenal juridique répressif particulier. Concernant plus particulièrement les semences de chanvre, il se réfère au point 15 du règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974 précité qui procède à une classification du chanvre en fonction de son taux en THC pour soutenir que contrairement au chanvre, y compris ses semences, extraits, résines et teintures à faible taux en THC (« stupéfiants » de la part du ministre de la Santé, les variétés accusant un taux en THC supérieur à 0,3 % sont classées « stupéfiants » par ledit règlement grand-ducal d’exécution, de sorte à ne pouvoir être importés que moyennant autorisation préalable du ministre de la Santé, étant constant par ailleurs qu’eu égard à la dangerosité des stupéfiants, ces autorisations ne seraient délivrées que s’il est vérifié que le requérant peut établir que la destination finale du produit stupéfiant s’inscrit dans une finalité légalement admissible, c’est-à-dire une finalité médicale ou scientifique, à l’exclusion du marché de la toxicomanie.

Quant au moyen ayant trait au système des réserves à la loi, le délégué du Gouvernement estime qu’en l’espèce la réserve constitutionnelle serait satisfaite en ce que la loi tracerait les grands principes en la matière en habilitant le Grand-Duc à procéder au classement des substances visées par la loi du 19 février 1973 précitée, le pouvoir réglementaire étant habilité seulement à déterminer par voie de règlement grand-ducal les stupéfiants ou substances psychotropes concernés. Dans la mesure où il serait indubitable que le chanvre est une plante à effet psychotrope, il ne saurait dès lors, de l’avis du représentant étatique, être question d’un usage arbitraire de cette habilitation par le pouvoir réglementaire.

Il relève pour le surplus que la loi d’habilitation ne limiterait pas la délégation concédée pour procéder au classement en tant que stupéfiant à l’existence d’une incrimination en vertu d’un texte de droit international.

Quant au classement du chanvre au niveau communautaire, le délégué du Gouvernement relève que le critère retenu tant en droit communautaire qu’en droit national est un critère de santé publique consistant à distinguer le cannabis dépourvu de propriétés stupéfiantes dangereuses de celui à potentiel stupéfiant, seul ce dernier étant prohibé. Il se réfère à cet égard à un arrêt récent de la Cour de Justice des Communautés européennes (affaire Hammersten, 16 janvier 2003, C/462/01) ayant reconnu la distinction reposant sur la teneur en substances inébriantes du produit récolté.

Le délégué du Gouvernement conclut pour le surplus à l’absence d’effet direct des articles invoqués du traité Benelux, ainsi que des conventions internationales relatives aux stupéfiants, lesquels ne sauraient fonder un droit subjectif à faire valoir directement à l’encontre de la réglementation nationale. A titre subsidiaire, il rappelle que le but des conventions en matière de stupéfiants ne serait pas de fixer un cadre à la libre circulation des stupéfiants, mais tout au contraire de définir un minimum de prohibition à intégrer en droit national par chaque Etat adhérant, sous réserve de la possibilité spéciale d’instaurer un régime plus complet. Ainsi, tout en admettant que les classements international et luxembourgeois, voire européen ne sont certes pas identiques, il estime qu’ils ne seraient pas pour autant contradictoires, car ils seraient issus d’une même perspective de santé publique et non de marché. Quant au classement des graines de chanvre aux Pays-Bas, le délégué du Gouvernement fait valoir que la charge de la preuve du droit étranger incomberait à celui qui l’invoque, mais qu’en l’espèce le contenu de la législation néerlandaise n’aurait pas été établi par la partie demanderesse. Il conteste pour le surplus formellement que les graines de chanvre d’espèces autres que celles classées d’après le droit luxembourgeois soient de jure en vente libre aux Pays-Bas.

Concernant finalement les champignons dits « magiques » et plantes hallucinogènes nommément désignés dans les demande et décision déférées, le délégué du Gouvernement fait valoir que les champignons des espèces visées contiennent les substances psychotropes suivantes : « Copelandia Cyanescens (Psilocybin) ; Psilocibe Semilanceata (Psilocybin, Psilocin et Baeocystin) ; Stropharia Cubensis (Psilocybin, Psilocin, DMT et Serotonin) ;

Psylocybe Tapanensis (Psilocybin) », et que l’effet psychodysleptique de ces champignons et plantes serait avéré et décrit dans la littérature scientifique comme étant proche de celui du LSD quoique généralement de plus courte durée dans le temps. De même, les cactées Lophophora Williamsi et Trichocereus pachanoi seraient de forts vecteurs de mescaline, c’est-à-dire d’un alcaloïde classé comme psychotrope et ayant des effets qualitativement analogues à ceux du LSD, pouvant durer jusqu’à douze heures. Il signale que la consommation de ces cactées et champignons entraînerait des troubles sensoriels et neurologiques et pourrait mener auprès des consommateurs à des comportements irrationnels (sauts de la fenêtre souvent observés) et des effets secondaires persistants (effets secondaires neurologiques, schizophrénie ; troubles de la vue persistants etc) largement documentés dans la littérature scientifique, de même que leur consommation pourrait mener à des comportements dangereux pour autrui (inaptitude à la conduite automobile ; comportement agressif en état d’extrême anxiété etc).

Il relève finalement que compte tenu des problèmes d’identification des champignons et plantes concernés et étant donné l’apparition relativement récente d’un véritable marché noir afférent, ces espèces ne feraient pas encore l’objet d’un classement par espèce dans la législation de la plupart des pays européens.

Quant au classement desdites substances, il relève qu’en droit luxembourgeois, les substances psychotropes Psilocybine, Psilocin, Mescaline et DMT font l’objet d’un classement en tant que substances psychotropes prohibées en vertu du règlement grand-ducal modifié du 20 mars 1974 précité, qui correspondrait à l’intégration en droit national des exigences découlant pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg de la Convention de Vienne de 1971 sur les substances psychotropes prévisée de 1971. Il relève que c’est à tort que le demandeur fait plaider à cet égard que le terme « substance » utilisé dans ce contexte ne viserait pas les champignons ou plantes qui contiennent une substance classée d’une façon naturelle et se réfère à cet égard au premier point e) de la Convention de 1971 qui dispose que « L’expression « Substance psychotrope » désigne toute substance, qu’elle soit d’origine naturelle ou synthétique, ou tout produit naturel des Tableaux I, II, III ou IV. » Il signale en outre que s’il est certes vrai que dans certains pays la législation exclut – eu égard à des traditions locales ancestrales – certaines plantes ou champignons, tel n’est pas le cas au Luxembourg. Ainsi, pour la mescaline contenue dans les cactées visés par la demande de Monsieur …, seuls les adeptes de la Native American Church aux Etat-Unis et au Canada auraient eu l’autorisation exceptionnelle de consommer ces cactées pendant des nuits de prières et de louange, suivant une tradition rituelle ancienne, s’agissant cependant de cas de figure spécifiquement envisagés par ladite Convention de Vienne de 1971 dans son article 32 (4) in fine.

Dans son mémoire en réplique le demandeur relève qu’il résulterait clairement de la législation néerlandaise sur les stupéfiants (article 3 A, liste 2, de l’Opium Act) que les graines de chanvre ne sont point considérées comme des stupéfiants. Il signale par ailleurs qu’il serait évident qu’il se propose de vendre des graines de chanvre dans un but strictement ornemental, sa demande tendant exclusivement à ces fins, étant donné que d’après les textes luxembourgeois et européen une autre commercialisation ne serait pas autorisée. Le demandeur développe pour le surplus ses moyens invoqués dans le cadre de sa requête introductive d’instance, tout en signalant plus particulièrement concernant les champignons et autres plantes, que d’après le commentaire officiel de l’article 32 (4) de la Convention de Vienne de 1971, ce ne seraient pas les plantes en tant que telles qui sont inscrites au tableau I, mais seulement certaines substances produites par ces plantes et qu’ainsi la culture des plantes qui donnent des substances psychotropes ne serait pas soumise à contrôle par la Convention de Vienne.

Dans son mémoire en duplique le délégué du Gouvernement relève que tous les produits visés par la demande litigieuse seraient bien connus pour leurs effets psychotropes avérés, de sorte que l’on ne devrait pas se méprendre sur les intentions réelles du sieur …, dont l’allégation avancée dans son mémoire en réplique relativement aux fins purement ornementales escomptées constituerait par ailleurs une prétention nouvelle, absente dans la procédure non contentieuse et passée sous silence tant dans le recours gracieux que dans sa requête introductive d’instance. Il insiste encore sur la finalité poursuivie par la législation en la matière qui s’inscrirait dans un souci de santé publique en vue d’endiguer le plus efficacement possible la suppléance du marché de la toxicomanie par la création d’une sorte de périmètre de sécurité incluant les graines de plantes à potentiel enivrant. Quant aux prétendus buts ornementaux invoqués par le demandeur, il signale qu’ils pourraient tout aussi bien être satisfaits moyennant recours à des graines de plantes à faible taux de THC, sans risque d’abus. Il maintient et réitère pour le surplus l’argumentation exposée en réponse à la requête introductive d’instance.

Conformément aux dispositions de l’article 1er, b) de la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, le Grand-Duc est investi du pouvoir de réglementer, le collège médical entendu, « l’importation, l’exportation, la fabrication, le transport, la détention, la vente et l’offre en vente, la délivrance ou l’acquisition, à titre onéreux ou à titre gratuit, et l’usage des stupéfiants, des cultures et toxines bactériennes, des substances toxiques, soporifiques, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques, ainsi que la culture des plantes dont ces substances peuvent être ».

Conformément aux dispositions de l’article 7 de la même loi, il revient également au Grand-Duc de déterminer par voie de règlement grand-ducal les stupéfiants et substances toxiques, soporifiques ou psychotropes dont l’usage de manière illicite ou encore l’usage personnel, le transport, la détention ou l’acquisition à titre onéreux ou à titre gratuit seront passibles des sanctions pénales énoncées.

Concernant ces mêmes substances visées à l’article 7 de la loi modifiée du 19 février 1973, ainsi que les préparations de ces substances, le règlement grand-ducal d’exécution du 19 février 1974 précise dans son article 2, deuxième alinéa qu’à l’exception des personnes visées à l’alinéa 1er sous 1), en l’occurrence les pharmaciens tenant officine ouverte au public, « nul ne peut vendre ou offrir en vente les substances ou préparations visées à l’article 1er, s’il n’en a pas reçu l’autorisation préalable du ministre de la Santé. » Estimant que les semences de chanvre que souhaite mettre en vente le demandeur constituent des substances ou préparations visées à l’article 1er dudit règlement grand-ducal du 19 février 1974, le ministre a refusé de délivrer l’autorisation préalable requise au vœu de l’article 2, deuxième alinéa prérelaté, au motif qu’aucune indication légale pour la vente de ces articles ne serait connue, étant entendu que le refus d’autorisation litigieux concerne uniquement les variétés titrant à plus de 0,3 % de THC.

A l’appui de cette conclusion, le ministre s’est référé aux dispositions de l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974 établissant la liste des stupéfiants qui énumère sous son point 15, tel que modifié par règlement grand-ducal du 9 janvier 1998, en tant que stupéfiant au sens de la loi modifiée du 19 février 1973 précitée et pour l’application du règlement grand-ducal modifié du 19 février 1974, précité les « plantes de chanvre indien (cannabis sativa var-indica), ainsi que les semences, extraits, teintures et résines de la même plante, à l’exception des variétés énoncées à l’annexe du présent règlement, qui ne sont pas considérées comme stupéfiants, à condition que leur poids de THC (tétrahydrocannabinol) par rapport au poids d’un échantillon porté à poids constant ne soit pas supérieur à 0,3 % ».

Le demandeur estime que c’est à tort que le ministre a considéré les graines/semences de chanvre comme étant des stupéfiants avec toutes les conséquences s’en dégageant en ce qui concerne leur commercialisation, étant donné que la Convention unique s’opposerait à cette interprétation en ce qu’elle précise que le terme cannabis désigne uniquement les sommités florifères ou fructifères de la plante de cannabis, à l’exclusion notamment des semences, et que cette définition, issue d’une norme d’essence supérieure au règlement grand-

ducal modifié du 26 mars 1974, serait de nature à tenir en échec la classification en tant que stupéfiant opérée au niveau national.

Si les parties sont certes en accord pour admettre que la liste nationale des stupéfiants, en ce qu’elle comporte expressément les semences des plantes de chanvre indien accusant un taux de THC supérieur à 0,3 %, va au-delà de ce qui est désigné par le terme de cannabis dans le cadre de la Convention unique, leurs prises de position divergent relativement aux conséquences s’en dégageant en l’espèce ; tandis que le demandeur estime que seule la définition de la Convention unique lui serait opposable en tant que norme supérieure, le représentant étatique insiste de son côté sur la faculté pour le législateur national d’adopter une approche plus restrictive en la matière sur le plan interne.

Il se dégage de l’esprit général de la Convention unique que c’est en vue de prévenir et de combattre la toxicomanie que les Etats parties se sont engagés mutuellement à observer certaines mesures de contrôle, sans pour autant restreindre leurs compétences nationales respectives en la matière en ce sens que par rapport aux substances non directement visées par la Convention unique, les Etats parties seraient obligés d’adopter une attitude libérale. La Convention traduit tout au contraire clairement l’intention de maintenir dans le chef des Etats parties la liberté d’adopter, au-delà des mesures faisant l’objet de la Convention, leurs propres mesures nationales de contrôle excédant le cas échéant en sévérité celles qu’exige la Convention unique.

C’est en effet à juste titre que le délégué du Gouvernement se réfère à cet égard aux dispositions de l’article 39 de la Convention unique pour conclure au caractère minimal des mesures de contrôle instituées, ledit article disposant que « nonobstant toute disposition de la présente Convention, aucune partie ne sera, ou ne sera censée être, empêchée d’adopter des mesures de contrôle plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention, et notamment d’exiger que les préparations du tableau III ou les stupéfiants du tableau II soient soumis aux mesures de contrôle applicables aux stupéfiants du tableau I, ou à certaines d’entre elles, si elles le jugent nécessaire ou opportun pour la protection de la santé publique ».

Il importe également de relever dans ce contexte que l’article 22 de la Convention unique prévoit expressément la possibilité pour une partie intéressée d’interdire la culture de la plante de cannabis lorsque, à son avis, cette interdiction est la mesure la plus appropriée pour protéger la santé publique et empêcher que des stupéfiants ne soient détournés vers le trafic illicite, de même qu’elle prévoit dans son article 28 que « les parties adopteront les mesures qui peuvent être nécessaires pour empêcher l’abus des feuilles de la plante de cannabis ou le trafic illicite de celles-ci. » Dans la mesure où l’extension de l’obligation de solliciter une autorisation ministérielle pour la commercialisation des semences de variétés de cannabis dont le taux en THC dépasse 0,3 % constitue une mesure préventive, destinée à écarter toute possibilité de cultiver ou de reproduire la plante de cannabis, loin de se heurter à la Convention unique, épouse la finalité générale de celle-ci consistant à combattre le fléau de la toxicomanie, même si elle traduit une approche plus catégorique que celle ayant pu trouver un accord commun nécessairement égal au plus petit dénominateur commun dans le cadre de l’élaboration de cette même Convention, étant entendu que la possibilité d’adopter des mesures de contrôle plus strictes sinon des restrictions plus étendues quant à leur objet que celles qui sont prévues par la Convention unique est clairement dégageable de la lecture combinée de ses articles 22 et 28, semble l’article 39 prévisés.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen du demandeur basé sur la définition du terme « cannabis » par la Convention unique n’est pas de nature à énerver la légalité des décisions litigieuses dans leur premier volet relatif aux variétés de semences de chanvre dépassant un taux en THC de 0,3 %.

Le demandeur s’empare ensuite des dispositions de l’article 14 de la Constitution pour soutenir que le Grand-Duc aurait en l’espèce dépassé les prérogatives du pouvoir exécutif par rapport au principe notamment de la légalité des peines, ainsi que de celui non écrit de la séparation des pouvoirs.

L’article 14 de la Constitution dispose que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi », de sorte qu’un règlement grand-ducal, pris en exécution d’une loi ne peut en effet établir une peine si la loi cadre ne contient aucune disposition afférente.

Conformément aux dispositions de l’article 7,A, 1. de la loi modifiée du 19 février 1973 précitée, « seront punis d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251,- à 2.500,- €, ou de l’une de ces peines seulement, ceux qui auront, de manière illicite, en dehors des locaux spécialement agréés par le ministre de la Santé, fait usage d’un ou de plusieurs stupéfiants ou d’une ou de plusieurs substances toxiques, soporifiques ou psychotropes déterminées par règlement grand-ducal ou qu’ils les auront, pour leur usage personnel, transportées, détenues ou acquises à titre onéreux ou à titre gratuit ».

Il se dégage du libellé de la disposition légale prérelatée que ce n’est pas le règlement grand-ducal modifié du 26 mars 1974 précité qui établit des peines, mais bien la loi cadre modifiée du 19 février 1973, laquelle relègue au pouvoir réglementaire uniquement le pouvoir de déterminer les stupéfiants ou substances toxiques, soporifiques ou psychotropes concernées.

Force est encore de constater que cette disposition habilitante n’est pas de nature à investir le pouvoir réglementaire d’un blanc-seing pour rendre l’usage de n’importe quel produit passible de sanctions pénales, étant donné que seuls des stupéfiants ou substances toxiques, soporifiques ou psychotropes sont susceptibles d’être déterminées à cette fin par voie de règlement grand-ducal.

Dans la mesure où le demandeur reste en l’espèce en défaut d’établir, voire d’alléguer sérieusement que les variétés de chanvre accusant un taux de THC dépassant 0,3 % susceptibles d’être cultivées à partir des semences litigieuses ne comportent pas de substances toxiques, soporifiques ou psychotropes, le moyen de l’anti-constitutionnalité du règlement grand-ducal du 26 mars 1974 précité, entrevu à partir de l’article 14 de la loi fondamentale, laisse encore d’être fondé, étant entendu que la distinction plus généralement mise en avant par le demandeur entre les semences et les plantes susceptibles d’être cultivées à partir de ces semences laisse d’être pertinente dans ce contexte. En effet, tel que relevé par le mandataire du demandeur à l’audience, le vendeur de semences n’est pas maître de l’usage qui en est concrètement fait par les acheteurs, de sorte que la potentialité de voir cultiver à partir des semences litigieuses la plante servant à la production de cannabis est bien réelle et que partant toute discussion relativement à cette distinction relève de l’artifice.

Concernant ensuite le principe invoqué de la séparation des pouvoirs, force est encore de constater qu’il est de l’essence même du système institutionnel luxembourgeois que le pouvoir législatif puisse conférer à l’exécutif compétence pour réglementer en détail l’exécution de la loi, l’article 36 de la loi fondamentale conférant expressément au Grand-Duc le pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois. Il s’ensuit que le moyen afférent, par ailleurs non autrement développé, n’est pas de nature à énerver les décisions litigieuses.

Le demandeur fait valoir ensuite que le règlement grand-ducal prévisé arrêtant la liste des stupéfiants violerait l’article 11 (6) de la Constitution qui garantit la liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif, en ce sens qu’il opérerait clairement une restriction au niveau de la liberté du commerce, mais que toute restriction afférente relèverait pourtant de la seule compétence du pouvoir législatif.

Si le Grand-Duc, en déterminant conformément au mandat lui conféré par le législateur, les produits qui sont à considérer comme stupéfiants, contribue certes à concrétiser l’arsenal juridique mis en place pour réglementer, voire restreindre ou interdire le cas échéant la commercialisation des semences de chanvre litigieuses, et participe ainsi à la mise en place des dispositions dérogatoires au principe constitutionnel de la liberté du commerce, il n’est cependant pas moins constant que cette dérogation globalement considérée trouve sa source dans la loi même du 19 février 1973 précitée, qui a pour objet notamment la lutte contre la toxicomanie et exprime clairement l’intention du législateur de voir réglementer par le Grand-Duc tant l’usage que la vente et l’offre en vente des stupéfiants, de sorte que la restriction à la liberté du commerce, seule visée par le demandeur, est à considérer comme étant établie dans le respect de la garantie mise en place par l’article 11 (6) de la Constitution.

Cette conclusion ne saurait par ailleurs être énervée par la considération qu’aucun texte de droit international n’interdirait la vente de semences de chanvre et que d’autres textes autoriseraient même sans restriction la culture du chanvre à des fins ornementales ou horticurturales, étant donné d’abord que d’une manière générale l’absence d’interdiction au niveau international n’est pas de nature à restreindre la souveraineté nationale dans le sens d’un empêchement à l’interdiction des mêmes produits ou substances en droit national ;

ensuite concernant les instruments de droit international invoqués en l’espèce, il y a lieu de constater qu’ils couvrent des domaines bien déterminés, étrangers quant à leur objet à la finalité de lutte contre la toxicomanie à la base de la législation nationale applicable, de sorte qu’aucune contrariété susceptible d’énerver la légalité des décisions litigieuses ne saurait en être dégagée en l’espèce à partir du moyen proposé.

Le demandeur conclut finalement à une violation par le règlement grand-ducal précité du 26 mars 1974, des principes mis en place par le Traité Benelux, en ce qu’il interdit un produit qui serait pourtant librement en vente dans un autre Etat contractant.

Or, tel que relevé ci-avant, ledit règlement grand-ducal s’inscrit dans une approche de prévention en matière de santé publique et plus particulièrement dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie, de sorte qu’en l’absence de coordination des politiques de santé publique dans le cadre de l’Union économique Benelux, le dispositif législatif et réglementaire critiqué par le demandeur ne saurait être considéré comme entravant indûment la libre circulation au sens de l’article 6 du Traité instituant l’Union économique Benelux. En effet, même à admettre qu’il y ait une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l’article 3, 1. dudit traité, celle-ci se justifierait amplement pour les raisons de santé publique mises en avant par le ministre et explicitées en cours d’instance contentieuse par le délégué du Gouvernement.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’absence d’autres moyens avancés en cause susceptibles d’énerver la légalité des décisions litigieuses, le recours laisse d’être fondé dans son premier volet concernant les semences de chanvre de toutes les sortes.

Concernant ensuite les champignons et plantes décrits dans la demande de Monsieur … du 10 juillet 2003 à la base des décisions ministérielles litigieuses, le demandeur entend tirer argument du fait que seules les substances mescaline et psilocybine seraient respectivement interdites et réglementées notamment par le règlement grand-ducal modifié du 20 mars 1974 sur les substances psychotropes et la Convention sur les substances psychotropes faite à Vienne le 21 février 1971, de sorte que la commercialisation des champignons et des plantes qui contiennent ces substances d’une façon naturelle, à l’instar de ceux faisant l’objet des décisions litigieuses, ne serait interdite ni par un texte de loi nationale, ni au niveau international. Il fait valoir ensuite que dans ces circonstances une restriction afférente serait contraire à l’article 11 (6) de la Constitution et réitère pour le surplus dans ce contexte les moyens ci-avant examinés relativement à la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’Union européenne ainsi que sur le territoire des Etats Benelux.

Les parties sont en accord pour admettre que les champignons et plantes litigieux constituent des produits naturels qui contiennent des substances psychotropes, dont plus particulièrement les substances mescaline et psilocybine, expressément énoncées à l’annexe du règlement grand-ducal modifié du 20 mars 1974 concernant certaines substances psychotropes, de sorte que ces substances, conformément aux dispositions de l’article 1er dudit règlement grand-ducal, tombent sous les dispositions de l’article 7 de la loi modifiée du 19 février 1973 précitée.

Conformément aux dispositions de l’article 3 du même règlement grand-ducal du 20 mars 1974, « nul ne peut fabriquer, détenir, vendre ou offrir en vente, délivrer ou acquérir à titre onéreux ou gratuit, les substances ou préparations visées à l’alinéa précédent, s’il n’en a obtenu l’autorisation préalable du ministre de la Santé publique ».

Afin de décider de l’applicabilité ou non de cette disposition réglementaire en l’espèce, il y a partant lieu de déterminer si les champignons ou plantes contenant une substance psychotrope peuvent valablement être considérés à cet effet de la même façon que la substance psychotrope elle-même.

En l’absence de spécification afférente dans le cadre du règlement grand-ducal du 20 mars 1974 précité, le tribunal ne peut que constater que les substances litigieuses, en ce qu’elles sont naturellement contenues dans les champignons et plantes concernés, tombent sous le champ d’application dudit règlement grand-ducal, sous peine d’en méconnaître la portée. Les substances en question faisant en effet partie intégrante des produits naturels litigieux, l’exclusion de ces derniers du champ d’application du règlement grand-ducal modifié du 20 mars 1974 précité reviendrait à en méconnaître les termes pourtant clairs et précis, étant entendu que les substances concernées sont visées indistinctement, sans considération de la façon - à l’état naturel ou autre - dont elles se présentent.

Cette conclusion ne saurait être énervée par l’argumentation du demandeur basée sur les dispositions de la Convention sur les substances psychotropes faite à Vienne le 21 février 1971, étant donné d’abord que cette Convention a exclusivement pour objet l’assujettissement de certaines substances à des mesures de contrôle internationales, de sorte à laisser intact le pouvoir souverain des Etats parties à cette Convention de prévoir le cas échéant sur leur propre territoire national des mesures de contrôle plus strictes. En effet, à l’instar de ce qui a été relevé ci-avant au sujet de la Convention unique, c’est encore à juste titre que le délégué du Gouvernement a signalé que la Convention de Vienne de 1971 confère expressément aux parties la possibilité d’appliquer des mesures de contrôle plus strictes ou plus sévères que celles qu’exige la Convention de Vienne, en ce qu’elle dispose en son article 23 que « les parties pourront adopter des mesures de contrôle plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention si elles le jugent opportun ou nécessaire pour la protection de la santé et de l’intérêt publics. » Dans la mesure où il ne fait pas de doute que le texte réglementaire critiqué invoqué à la base des décisions litigieuses s’inscrit dans une optique de protection de la santé en ce qu’il a pour objet de réglementer notamment la mise en vente de substances psychotropes, l’argumentation de la partie demanderesse basée sur la Convention de Vienne de 1971, dût-

elle s’avérer pertinente quant au fond, n’est en tout état de cause pas susceptible d’énerver la légalité des décisions litigieuses faute d’incidence directe sur la situation de droit national sous cet aspect.

Quant aux moyens basés sur une violation alléguée de l’article 11 (6) de la Constitution, ainsi que du droit communautaire et du traité Benelux, ils sont également à écarter comme étant non fondés pour les motifs plus amplement exposés au sujet des semences de chanvre, transposables mutatis mutandis, l’argumentation non autrement circonstanciée du demandeur par rapport aux champignons et plantes sous examen n’appelant pas d’autre analyse à ce sujet.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours n’étant fondé en aucun de ses moyens, il laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le dit non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2004 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

Schmit Delaporte 15


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17874
Date de la décision : 22/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-22;17874 ?

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