La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18143

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 novembre 2004, 18143


Tribunal administratif N° 18143 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 18 novembre 2004

=============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions prises par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

----------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18143 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004 par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat Ã

  la Cour, assisté de Maître Florent GONIVA, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avo...

Tribunal administratif N° 18143 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 18 novembre 2004

=============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions prises par le ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

----------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18143 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004 par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, assisté de Maître Florent GONIVA, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Trèves (Allemagne), de nationalité allemande, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 janvier 2004 lui refusant l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et l’invitant à quitter le pays dans un délai de trente jours après notification de ladite décision, ainsi que d’une décision confirmative de rejet du même ministre du 30 mars 2004 prise suite à un recours gracieux introduit le 8 mars 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Florent GONIVA et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 14 janvier 2004, le ministre de la Justice prit à l’égard de Monsieur … un arrêté de refus d’entrée et de séjour pour le territoire du Grand-Duché de Luxembourg tout en l’invitant à quitter le pays dans un délai de trente jours après notification dudit arrêté. La décision est libellée de la façon suivante :

« Vu l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le procès-verbal no 141 du 30 août 2003 établi par la police grand-ducale ;

Vu le rapport no 525/2003 du 8 décembre 2003 établi par la police grand-ducale ;

1 Attendu que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence personnels légalement acquis ;

Attendu que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre l’ordre public ;

Arrête :

Art. 1er.- L’entrée et le séjour sont refusés au nommé …, né à Trèves, le 8 mars 1956, de nationalité allemande, demeurant à L-….

L’intéressé devra quitter le pays dans un délai de 30 jours après notification du présent arrêté, et en cas de détention, dans un délai de 30 jours après la mise en liberté ».(…) Le recours gracieux que Monsieur … a introduit à l’encontre de cette décision suivant courrier du 8 mars 2004 s’étant heurté à une décision confirmative de refus du même ministre du 30 mars 2004, il a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004, un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 14 janvier et 30 mars 2004.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit, lequel est également recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait entré légalement au Grand-Duché de Luxembourg et qu’une carte de séjour lui aurait été délivrée, qu’au courant de l’année 1991, il aurait été licencié par son employeur et qu’au courant de l’année 1997, suite à son divorce en Allemagne, il serait revenu au Luxembourg et vivrait depuis lors avec une dénommée R.C. dans la localité de …, mais qu’il se serait trouvé dans l’impossibilité de faire renouveler sa carte de séjour à défaut d’emploi et de logement.

Le demandeur estime plus particulièrement que le refus d’entrée et de séjour serait entaché d’illégalité pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que ladite interdiction de séjour serait de nature à troubler sa vie privée et l’empêcherait de poursuivre la relation qu’il entretiendrait avec Madame C. Pour le surplus, Monsieur … reproche aux décisions déférées de reposer sur une erreur manifeste d’appréciation de sa situation, alors qu’il serait faux d’affirmer qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence personnels dans la mesure où il exécuterait des travaux domestiques et de jardinage pour compte de Madame C., en contrepartie desquels il serait nourri et logé, et qu’il s’occuperait de surcroît du parc immobilier de sa mère à Trèves, qui le rétribuerait en fonction de ses démarches.

Finalement, le demandeur conteste encore qu’il représenterait un danger pour l’ordre et la sécurité publics, au motif qu’il n’aurait jamais caché sa résidence aux autorités luxembourgeoises et qu’il n’aurait jamais essayé de se soustraire auxdites autorités, d’autant plus qu’il n’aurait fait l’objet d’aucune condamnation pénale.

2Le délégué du gouvernement expose que le demandeur aurait bénéficié d’une carte d’identité d’étranger valable jusqu’au 31 août 1997 et qu’une commission rogatoire internationale envoyée par les autorités allemandes en 1997 pour abandon de famille n’aurait pu être exécutée à défaut de connaissance de l’adresse exacte de Monsieur …. Le représentant étatique précise plus particulièrement qu’il ressortirait d’un rapport de la police grand-ducale du 24 juillet 2002 que le demandeur aurait déclaré ne pas effectuer la déclaration d’arrivée obligatoire prévue par la loi à cause d’une procédure judiciaire pour abandon de famille et qu’il ressortirait d’un autre rapport de la police grand-ducale du 8 décembre 2003 qu’il continuerait à résider au pays sans avoir effectué la déclaration d’arrivée obligatoire.

Quant au fond, le représentant étatique entend réfuter le reproche d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif qu’un examen du dossier administratif susciterait des doutes quant à la condition d’une vie familiale effective de Monsieur … avec Madame C., d’autant plus que le demandeur utiliserait un papier à entête imprimé avec une adresse à Trèves et qu’il s’occuperait d’un parc immobilier situé en Allemagne. Pour le surplus, le demandeur et Madame C. auraient la possibilité de s’installer et de mener leur vie familiale dans un autre pays. Le délégué du gouvernement fait valoir ensuite que conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, l’autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui ne disposerait pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour au Luxembourg. Or, il ressortirait clairement du dossier que le demandeur n’aurait pas disposé de moyens d’existence personnels au moment de la prise de décision et que la preuve desdits moyens d’existence devrait être rapportée par la production d’un permis de travail certifiant que le demandeur peut légalement s’adonner à un travail au pays et que la prise en charge du demandeur par sa concubine respectivement sa mère ne saurait être suffisante pour remplir cette condition.

Finalement, il serait encore constant en cause que le demandeur n’aurait pas effectué la déclaration d’arrivée obligatoire pour les étrangers séjournant au pays et le dossier administratif prouverait clairement que Monsieur … n’aurait pas l’intention de faire cette démarche pour « diverses raisons ».

Il convient de prime abord de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 11, et autres références y citées). – En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (cf. trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 17, et autres références y citées).

Il échet de retenir en premier lieu que l’exigence d’un permis de travail certifiant que Monsieur … peut légalement s’adonner à un travail au Luxembourg n’est pas requise, tel que cela ressort de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, le demandeur étant ressortissant allemand.

D’autre part, Monsieur … ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 1er du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, à défaut d’avoir rapporté la preuve d’occuper une occupation salariée respectivement d’exercer une activité 3non salariée au Luxembourg, la simple affirmation qu’il exécuterait des travaux domestiques et de jardinage pour compte de Madame C. étant insuffisante à cet égard.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pouvant être refusé à l’étranger : « (…) qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 146, et autres références y citées).

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le demandeur disposait de moyens personnels suffisants au moment où la décision attaquée a été prise, étant précisé qu’il n’est pas prouvé à suffisance de droit que Monsieur … s’adonnait à un emploi salarié ou à une activité lui permettant de percevoir des revenus, tel que retenu ci-

avant. A défaut par Monsieur … d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels suffisants lui permettant de supporter personnellement les frais de son séjour au Luxembourg, étant précisé qu’une prise en charge soit par une tierce personne auprès de laquelle le demandeur déclare vivre, soit par sa mère, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels, il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’entrée et le séjour du demandeur sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur et tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale, dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 prérelaté de la Convention européenne des 4droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, force est de constater qu’il n’est pas établi qu’une vie familiale effective ait existé entre le demandeur et Madame C. dans la localité de …, étant donné que s’il ressort du procès-verbal no 141 du 30 août 2003 dressé par la police grand-ducale, circonscription régionale de Grevenmacher, unité de Wasserbillig, que le demandeur affirme résider depuis 1997 à … auprès de Madame C., il ressort cependant du procès-verbal dressé en date du 4 mai 2004 par la même unité de la police grand-ducale que le demandeur ne réside pas de façon continue dans ladite localité, fait qu’il a d’ailleurs confirmé dans ledit procès-verbal (« Er bestätigte freimütig, dass er auch weiterhin seine Einreise und sein Aufenthalt in Luxemburg und speziell in … nach seinem eigenem Gutdünken wahrgenommen habe »). A cela s’ajoute que le demandeur, dans le cadre de son recours gracieux a fait usage d’une adresse à Trèves et qu’il a déclaré s’occuper également du parc immobilier de sa mère, situé à Trèves.

Partant, il ne saurait être retenu que les décisions déférées auraient eu pour effet de porter atteinte à la vie privée et familiale de Monsieur …, étant donné que ce dernier n’a pas apporté un quelconque élément concret permettant d’établir l’existence d’une vie familiale effective au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la simple affirmation de vivre ensemble avec une autre personne étant insuffisante à cet égard.

A cela s’ajoute que le demandeur est en aveu d’être en séjour irrégulier au pays et de ne pas vouloir régulariser sa situation, attitude dénotant dans son chef la constance d’un état d’esprit peu respectueux des lois du pays, de sorte que c’est encore à tort que le demandeur se prévaut du caractère disproportionné d’une ingérence dans sa prétendue vie privée et familiale, étant donné que son comportement est constitutif d’un danger pour l’ordre public.

De tout ce qui précède, il résulte que les moyens fondés sur une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et sur une prétendue erreur manifeste d’appréciation quant à la situation personnelle du demandeur laissent d’être fondés.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

5 M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 18 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18143
Date de la décision : 18/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-18;18143 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award