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18/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18138

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 novembre 2004, 18138


Tribunal administratif N° 18138 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2004 Audience publique du 18 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18138 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie

ur …, né le … à Mitrovica (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

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Tribunal administratif N° 18138 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2004 Audience publique du 18 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18138 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2004 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mitrovica (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 février 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie ADLOFF, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 1er décembre 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 9 janvier 2004, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 février 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 18 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez été demandeur d’asile en Allemagne de 1994 au 7 novembre 2002, date à laquelle vous avez été rapatrié au Kosovo. Le 20 novembre 2003, vous auriez de nouveau quitté le Kosovo à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté. Vous avez déposé votre demande d’asile le 1er décembre 2003.

Vous dites être en possession d’une carte d’identité délivrée par la MINUK et d’un passeport, qui se trouveraient au Kosovo. Or, à ce jour, vous êtes resté en défaut de produire ces papiers d’identité à l’appui de votre demande d’asile.

Pendant près d’un an, de novembre 2002 à novembre 2003, vous déclarez avoir vécu au domicile de votre oncle du côté albanais de Mitrovica/Kosovo. Vous seriez propriétaire d’un terrain du côté serbe de Mitrovica. Vous auriez souhaité vous rendre sur ce terrain quand des Serbes auraient ouvert le feu sur vous, vous contraignant à rebrousser chemin. Votre peur des Serbes serait doublée d’une peur des Albanais, ces derniers ne vous accepteraient pas et vous insulteraient du fait que vous n’auriez pas grandi au Kosovo, ni combattu à leurs côtés pendant le conflit au Kosovo.

Vous ajoutez vouloir travailler au Luxembourg.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Concernant votre situation au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Le fait de vous être prétendument exposé à des tirs d’armes en vous rendant du côté serbe de Mitrovica et votre peur des Serbes ne sauraient suffire pour fonder à eux seuls une demande en obtention du statut de réfugié politique. Par ailleurs, votre peur des Albanais qui vous auraient régulièrement injurié à cause de votre absence lors de la guerre du Kosovo n’est pas d’une gravité suffisante et ne saurait davantage justifier une telle demande. Votre demande traduit l’expression d’un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute que ni des habitants serbes, ni des Albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Il n’est par ailleurs pas établi que la police aurait été dans l’impossibilité de vous fournir une protection adéquate.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Le Kosovo doit être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécution pour les Albanais.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou de la République de Serbie Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Force est de constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 17 mars 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 26 avril 2004, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2004, un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles de refus des 16 février et 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire du Kosovo, de confession musulmane, avoir vécu de 1994 à novembre 2002 en Allemagne et par la suite de nouveau au Kosovo auprès de son oncle à Mitrovica. Il expose plus particulièrement être propriétaire d’un terrain du côté serbe de Mitrovica, mais qu’il ne pourrait s’y rendre au motif que les Serbes auraient ouvert le feu sur lui. Pour le surplus, il ne serait pas non plus accepté par les Albanais, étant donné qu’il n’aurait pas grandi au Kosovo, ni combattu à leurs côtés pendant la guerre du Kosovo. Au vu de cette situation, il se serait résigné à quitter son pays d’origine pour venir se réfugier au Luxembourg.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 9 janvier 2004, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, lors de son audition, le demandeur a essentiellement dit craindre des personnes inconnues qui auraient tiré sur lui lorsqu’il se serait rendu du côté serbe de la ville de Mitrovica, de sorte que sa crainte des Albanais ne s’analyse pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de simples particuliers, lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’autre part, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate, étant donné qu’il se dégage des propres déclarations du demandeur, telles que relatées dans le compte-rendu d’audition, qu’il n’a pas concrètement recherché une protection de la part desdites autorités.

Par ailleurs, à supposer réelle la menace pesant sur lui, le demandeur, en tant qu’Albanais du Kosovo, ne soumet aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de la région du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 18 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18138
Date de la décision : 18/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-18;18138 ?

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