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17/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18823

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2004, 18823


Tribunal administratif N° 18823 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 17 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18823 du rôle et déposée le 8 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … (Nigeria), de nationa

lité nigériane, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situat...

Tribunal administratif N° 18823 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 17 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18823 du rôle et déposée le 8 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … (Nigeria), de nationalité nigériane, ayant été placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à 1. l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 18 octobre 2004 par laquelle il s’est déclaré incompétent pour connaître de l’examen de sa demande d’asile et l’a informé que la responsabilité du traitement de cette demande incombe à la République française ;

2. la réformation d’une décision du même ministre du 4 novembre 2004 ayant ordonné son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour la durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pascale HANSEN, en remplacement de Maître Daniel BAULISCH, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 novembre 2004.

Par décision du 18 octobre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a informé Monsieur … de ce qui suit : « Par la présente, j’accuse réception de votre demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentée oralement en date du 9 juillet 2004 et je regrette de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 16 §1c du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, ce n’est pas le Grand-Duché de Luxembourg, mais la République Française qui est responsable du traitement de votre demande d’asile.

Le Grand-Duché de Luxembourg n’étant pas compétent pour examiner votre demande, je regrette de ne pas pouvoir réserver d’autres suites à votre dossier. » Le 4 novembre 2004, le même ministre ordonna à l’encontre de Monsieur … une mesure de rétention administrative au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig en attendant son transfert vers la France.

Ladite décision de rétention est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport N° 15/1943/04/AR du 9 juillet 2004 établi par le Service de la Police Judiciaire, section Police des Etrangers et des Jeux ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

-

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 9 juillet 2004 ;

Considérant que les autorités françaises ont marqué leur accord de reprise en charge en date du 8 octobre 2004 ;

Considérant que le transfert sera organisé dans les meilleurs délais ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; » Par requête déposée le 8 novembre 2004, inscrite sous le numéro 18823 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision d’incompétence prévisée du ministre du 18 octobre 2004, ainsi qu’un recours en réformation à l’encontre de la décision du même ministre du 4 novembre 2004 ayant ordonné son placement pour la durée maximum d’un mois à partir de la notification.

Eu égard notamment aux délais d’instruction écourtés prévus par l’article 15, paragraphe 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère, le principe d’une bonne administration de la Justice s’oppose à ce que les deux recours distincts ainsi introduits, s’ils présentent certes un lien de connexité factuelle entrevue à partir de la situation du demandeur, soient toisés par un seul jugement, de sorte que le tribunal, après avoir soumis cette considération pour observation aux parties, limite le présent jugement dans un premier temps à l’analyse du recours introduit contre la décision de rétention administrative prise par le ministre en date du 4 novembre 2004 à l’encontre de Monsieur ….

L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, institue un recours au fond contre une décision de placement, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Ledit recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, pour autant qu’il est dirigé contre la décision de rétention administrative litigieuse, le demandeur conclut d’abord à l’incompétence du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration pour prendre cette décision, au motif que seul le ministre de la Justice serait investi de cette compétence par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée et qu’il n’appartiendrait pas au Grand-Duc, par voie d’arrêté grand-

ducal, de déroger à une loi ayant conféré compétence exclusive au ministre de la Justice en la matière.

A titre subsidiaire, il fait valoir que la décision litigieuse serait manifestement contraire aux critères fixés par la loi et la jurisprudence alors qu’un placement au sein du Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig devrait rester une mesure d’exception ne devant s’appliquer qu’en cas de nécessité absolue. Il conclut également au caractère disproportionné de la décision litigieuse, tant au regard de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée qu’au regard de sa situation personnelle. Le demandeur conclut finalement que la décision déférée ne serait pas motivée à suffisance de droit, sinon erronément motivée par des considérations totalement étrangères aux critères pouvant justifier un placement.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des ministères, pris en exécution de l’article 67 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-ducal modifiée du 9 juillet 1857 portant organisation du Gouvernement grand-

ducal, attribue compétence en la matière sous examen au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le premier moyen du demandeur basé sur l’incompétence de l’autorité ayant pris la décision litigieuse laisserait d’être fondé.

En deuxième lieu, quant aux contestations du demandeur relatives à la nécessité de la décision de rétention litigieuse, le représentant étatique fait valoir que dans le cas sous examen, au vu des éléments du dossier, tout porterait à croire que Monsieur … se serait soustrait à la mesure de transfert vers la France, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre a décidé de son placement. Il insiste pour le surplus sur le fait que le demandeur, placé en date du 4 novembre 2004, serait éloigné vers la France le 19 novembre 2004, de sorte que la durée de son placement ne saurait être considéré comme étant excessive.

Concernant le moyen ayant trait à l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement, c’est à juste titre que le représentant étatique se prévaut de l’arrêté grand-ducal du 7 août 2004 portant constitution des Ministères, publié au Mémorial A n° 147 en date du 11 août 2004, pris en exécution de l’article 76 de la Constitution et de l’arrêté royal grand-

ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du gouvernement grand-ducal, attribuant compétence au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

En effet, l’article 76 de la Constitution autorise le Grand-Duc à régler l’organisation de son Gouvernement. Il résulte de ce texte que le Grand-Duc peut librement créer les ministères et faire la répartition des départements ou des affaires ministérielles entre les ministres (voir Pierre MAJERUS, L’Etat luxembourgeois, éd. 1983, page 162). En matière d’organisation du gouvernement cette disposition constitutionnelle confère au Grand-Duc un pouvoir réglementaire direct et autonome en disposant que le Grand-Duc règle l’organisation de son gouvernement. Ce pouvoir est donc indépendant de la cause d’ouverture fondamentale des règlements qui est l’exécution des lois. L’octroi de ce pouvoir autonome par la Constitution procède de l’idée de la séparation des pouvoirs : l’organe gouvernemental doit être indépendant à l’égard du Parlement; pour cette raison, il doit pouvoir déterminer en pleine indépendance son organisation intérieure. Dans le domaine circonscrit par la notion de l’ « organisation du Gouvernement », le Grand-Duc exerce un pouvoir discrétionnaire et originaire; les règlements fondés sur l’article 76 de la Constitution sont donc, dans leurs domaines, des actes équipollents aux lois (voir Pierre PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1978, n° 95, page 152).

Il s’ensuit que le prédit arrêté du 7 août 2004, ayant force de loi, a modifié la législation en matière d’« entrée et de séjour des étrangers » en ce sens que la compétence ministérielle revient au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, de sorte que le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité à la base de la décision de placement est à rejeter (cf. trib. Adm. 25.8.2004, no. 18582 du rôle).

Concernant le moyen tiré d’une absence d’indication suffisante des motifs dans la décision déférée, il y a lieu de relever qu’il appert à l’examen du libellé de la décision litigieuse que, loin de reprendre des prétendues formules de style qui seraient simplement reprises de la loi, l’arrêté ministériel, par lequel a été ordonné la rétention administrative, énonce expressément la base légale sur laquelle le ministre a fondé sa décision, ainsi que les faits que le demandeur est dépourvu de moyens d’existence personnels légalement acquis, se trouve en séjour irrégulier au pays et que, ayant déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 9 juillet 2004, une demande de reprise en charge a été adressée aux autorités françaises lesquelles ont marqué leur accord de reprise, de sorte que son transfert sera organisé.

Il s’ensuit que la décision déférée a été dûment motivée par une énonciation suffisante des éléments de droit et de fait se trouvant à sa base.

Le moyen tiré d’une motivation insuffisante, voire d’une absence d’indication des motifs est partant à rejeter.

Concernant ensuite le moyen basé sur la considération que seule une absolue nécessité justifierait une mesure de rétention administrative, force est de constater qu’aucune condition afférente n’est inscrite dans la loi, l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972, en disposant que « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 (de la loi du 28 mars 1972) est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois », exige clairement la réunion de deux conditions légales sousjacentes à une décision de placement :

1) d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la loi du 28 mars 1972 2) l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait.

A défaut de contestations avancées en cause relativement à la réunion de ces deux conditions légales, le tribunal, tenu de toiser un litige dans le cadre des seuls moyens avancés en cause par le demandeur, sauf le cas échéant ceux d’ordre publics qui seraient à soulever d’office, constate que la décision litigieuse n’a pas été utilement énervée quant à sa régularité par les moyens présentés en cause.

Quant au moyen basé sur le caractère prétendument disproportionné de la décision litigieuse tant au regard des exigences de la loi qu’au regard de la situation personnelle de Monsieur ABEDISI, force est encore de constater qu’en l’absence d’arguments concrets tenant à la situation spécifique du demandeur, avancé en cause pour sous-tendre ce moyen en fait, aucune illégalité de la décision litigieuse ne saurait en être dégagée.

En effet, la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence éventuelle de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présente en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce entrer dans les prévisions de la définition des « retenus » tels que consacrés à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen basé sur le caractère disproportionné, non autrement spécifié, de la décision litigieuse laisse encore d’être fondé.

Au vu de l’ensemble des développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens présentés à l’appui du recours, entrevus à partir du seul volet relatif à la décision de rétention administrative litigieuse du 4 novembre 2004, le recours en réformation laisse d’être fondé et le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme pour autant qu’il est dirigé contre la décision du 4 novembre 2004 ordonnant le placement du demandeur ;

au fond le déclare non justifié et en déboute dans cette même mesure ;

condamne le demandeur aux frais pour le volet de l’instance ainsi toisé ;

réserve le recours et les frais pour le surplus ;

fixe l’affaire à l’audience publique du lundi, 13 décembre 2004, à 9.00 heures, pour fixation.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18823
Date de la décision : 17/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-17;18823 ?

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