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17/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18738

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 novembre 2004, 18738


Tribunal administratif N° 18738 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2004 Audience publique du 17 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18738 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour,

inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à ...

Tribunal administratif N° 18738 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2004 Audience publique du 17 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18738 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à Gaza et de nationalité israélienne, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 juin 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée, ainsi que de la décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 septembre 2004 intervenue sur recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en sa plaidoirie.

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Le 18 mai 2004, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu le 10 juin 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 15 juin 2004, envoyée par courrier recommandé expédié le 14 juillet 2004, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations à la Police Judiciaire que, de 1972 à 1987, vous auriez vécu au Liban avec votre mère. Vous auriez quitté le Liban en 1987 pour aller en Turquie et de là en Italie. Vous auriez alors vécu dans différents pays d’Europe avant de demander l’asile au Luxembourg le 18 mai 2004.

A l’agent du Ministère de la Justice, vous exposez que vous auriez quitté la Palestine, où vous seriez né, à l’âge de onze ans (donc en 1980) avec un proche de votre famille. Avec cette personne, vous auriez vécu au Liban. A l’âge de quinze ans, vous seriez parti vivre seul en Tunisie. De là, vous seriez parti en Europe où vous auriez vécu trois ans en France et puis un peu en Italie, en Allemagne et aux Pays-Bas. Vous n’avez déposé aucune demande d’asile dans ces pays.

Vous dites avoir disposé d’une carte d’identité et d’un passeport libanais authentiques mais on vous les aurait volés en France lors du cambriolage du studio que vous partagiez avec trois Tunisiens.

En ce qui concerne vos problèmes, ils se résument à un problème d’héritage. Lors de votre séjour aux Pays-Bas, vous auriez fait la connaissance d’un homme, Mohamed KHALIL, qui vous aurait proposé de travailler avec lui. Vous auriez alors entendu dire que cet homme était votre demi-frère et vous en auriez eu la confirmation à la façon dont il se comportait avec vous. Vous dites avoir connaissance de documents concernant l’héritage de votre mère et les propriétés de votre père au Liban. Vous vous seriez alors senti menacé par votre demi-frère et ses acolytes. Vous auriez alors quitté les Pays-Bas pour le Luxembourg où vous auriez déposé une demande d’asile sur le conseil de certaines connaissances. Ceci vous ferait gagner un peu de répit avant d’aller retrouver votre père en Suisse (…) et lui demander des explications quant à l’existence de ce Mohamed KHALIL qui serait son fils et votre demi-frère.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er, A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis pas la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matières d’asile ».

Je relève d’abord, outre quelques contradictions entre vos auditions au Service de Police Judiciaire et au Ministère de la Justice, que votre nationalité est sujette à caution puisque, né à Gaza, vous devriez être Palestinien mais que, ayant eu une carte d’identité et un passeport libanais, il est possible que vous soyez Libanais.

Quoi qu’il en soit, votre demande d’asile ne correspond à aucun des critères de la Convention de Genève puisque vous n’aviez aucun problème ni en Palestine, ni au Liban, ni dans aucun autre pays où vous avez séjourné. Vos problèmes d’héritage n’entrent pas non plus dans le cadre de cette Convention. Vous reconnaissez d’ailleurs avoir déposé votre demande d’asile, sur conseil de tiers, pour vous stabiliser quelque part en attendant de partir voir votre père en Suisse.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de cette décision, Monsieur … fit introduire par le biais de son mandataire un recours gracieux formulé par lettre datée du 6 août 2004.

Par décision du 20 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma la décision initiale de refus du ministre de la Justice du 15 juin 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée le 19 octobre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des deux décisions ministérielles des 15 juin et 20 septembre 2004.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours en réformation, au motif qu’un recours au fond ne serait pas prévu en la matière, tout en se rapportant à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours tel que dirigé contre la décision confirmative du 20 septembre 2004 attribuée erronément au ministre de la Justice.

Il ressort des éléments du dossier, notamment de la décision ministérielle précitée du 15 juin 2004, que le ministre compétent s’est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour en connaître (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm.

2004, V° Recours en réformation, n° 5, et autres références y citées).

Le recours en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles litigieuses ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En ce qui concerne la question de l’indication erronée de l’auteur de la décision déférée du 20 septembre 2004, il convient de relever que celle-ci est correctement identifiée par sa date, son objet et son destinataire et produite ensemble avec le recours, de sorte qu’elle n’a pas porté préjudice aux droits de la défense, la partie étatique ne s’étant pas méprise sur l’objet du recours : il en résulte que l’erreur relevée par le délégué du gouvernement ne saurait entraîner l’irrecevabilité du recours.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre a rejeté sa demande d’asile comme étant manifestement infondée, alors qu’il aurait décrit les motifs à l’appui de sa demande estimant remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime, tout en relevant le caractère « farfelu » du récit du demandeur, que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, et que le recours de celui-ci laisse d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 107 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 105 et autres références y citées).

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, tels qu’ils se dégagent du rapport d’audition susvisé du 10 juin 2004, force est de constater qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. - En effet, il appert du compte rendu de son audition, que le demandeur a en substance exprimé avoir connu des problèmes d’ordre familial, notamment en raison d’une question de succession concernant des terres au Liban. Si le demandeur a affirmé lors de son audition avoir été menacé et poursuivi aux Pays-Bas par son demi-frère dont il ignorait l’existence, il importe de relever que le demandeur a lui-même déclaré qu’il n’avait pas d’autres problèmes que ceux avec son prétendu demi-frère et que sa demande d’asile était motivée par le désir de « gagner un peu de temps de répit avant de contact[er] (…) [s]on père en Suisse ». Il a pareillement déclaré ne pas avoir subi de persécutions (« J’ai posé ma demande d’asile mais cela n’a rien à voir ni avec la politique ni avec la guerre ni avec rien de tout cela, j’ai posé ma demande comme cela, on verra ce que cela va donner » [sic]).

Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur … reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le ministre a valablement pu retenir que sa demande d’asile ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile sous examen comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 17 novembre 2004, par le vice-président en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18738
Date de la décision : 17/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-17;18738 ?

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