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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18584

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18584


Numéro 18584 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18584 du rôle, déposée le 23 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né en … à Ghazney (Afghanistan), de nat...

Numéro 18584 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18584 du rôle, déposée le 23 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né en … à Ghazney (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mars 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative implicite du même ministre suite au silence par lui observé face à son recours gracieux du 22 avril 2004;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2004.

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Par courrier de son mandataire du 18 février 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du 25 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, une audition complémentaire ayant eu lieu le 15 juillet 2004.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 23 mars 2004, notifiée par courrier recommandé du 25 mars suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Iran, où vous séjourniez, pour la Turquie. Avec l’aide d’un passeur vous auriez poursuivi votre voyage jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié au Luxembourg le 18 février 2004.

Vous exposez que votre père aurait été un Taliban et il serait décédé il y a cinq ans. A sa mort, vous seriez parti vous installer en Iran. Vous auriez vécu en Iran où vous auriez travaillé comme aide-maçon. Ensuite, vous seriez reparti en Afghanistan mais vous dites que les membres du parti WAHTAT essayeraient d’y prendre le pouvoir et qu’ils seraient pire encore que les Talibans.

Selon vous, il n’y a aucun avenir dans ce pays, sauf à rejoindre la parti WAHTAT ou à faire du trafic de drogues. Par ailleurs, des gens, sans doute des membres de ce parti, vous auraient recherché pour vous enrôler à votre retour en Afghanistan.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que le fait que vous n’ayez, selon vous, pas d’avenir dans votre pays d’origine, ne saurait être assimilé à une persécution telle que réclamée par la Convention de Genève.

Quant au fait que des gens, sans doute membres du parti WAHTAT auraient cherché à vous enrôler dans leur rang, ne saurait, pas non plus, être assimilé à une persécution au sens de la Convention précitée. Je note que vous n’avez jamais subi de persécution caractérisées, ni en Afghanistan ni en Iran.

S’il est vrai que la situation est encore confuse en Afghanistan, surtout dans les petits villages, la situation des grandes villes, comme Kaboul est stabilisée actuellement. De plus, le Président Hamid KARZAÏ a promulgué le 4 janvier 2004 la nouvelle Constitution qui vient d’être votée par la Loya Jirga. Celle-ci instaure un régime présidentiel et un parlement bicaméral. Quant à la drogue, il faut noter que l’Afghanistan a adopté un plan stratégique pour éradiquer ce fléau avec l’aide des autres pays, dont les Etats-Unis et l’Europe.

Ceci mis à part, je constate qu’il ne résulte pas de votre dossier que vous n’auriez pas pu rester en Iran où vous aviez même trouvé du travail.

Vous n’alléguez donc aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 22 avril 2004 n’ayant pas été rencontré par une décision ministérielle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle expresse du 23 mars 2004 et celle implicite de rejet de son recours gracieux par requête déposée le 23 août 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire de l’Afghanistan, reproche au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Il fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine parce qu’il aurait été approché par des membres du parti « Wahtat » pour rejoindre leurs rangs, mais que ce parti ne serait « autre qu’une nouvelle composante des Talibans cherchant au travers d’une certaine « apparente respectabilité » à reconquérir le pouvoir en Afghanistan ». Le demandeur ajoute que son père et son frère auraient été tués par des Talibans au moment d’être enrôlés de force par ces derniers et qu’il risquerait de subir le même sort en cas de retour. Il soutient que les autorités en place en Afghanistan ne contrôleraient pas l’ensemble du pays dont de nombreuses parties resteraient sous le contrôle des Talibans qui seraient même très actifs dans la capitale, de manière que lesdites autorités ne seraient pas en mesure de lui fournir une protection appropriée.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions en dates des 25 février et 15 juillet 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans les compte-

rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de relever d’emblée que lors de son audition complémentaire du 15 juillet 2004, le demandeur a avancé sur plusieurs points des versions différentes des faits par rapport à son audition initiale. Ainsi, il a révisé sa déclaration initiale que son père et son frère auraient été des Talibans en précisant qu’ils n’auraient pas été des Talibans, mais qu’ils auraient été tués par ces derniers au moment d’être enrôlés de force par eux. En outre, c’est seulement lors de son audition complémentaire que le demandeur a affirmé avoir participé au début de l’année 2003 comme membre du groupe « Harekat » à des combats armés dans sa région d’origine contre le mouvement « Wahtat » et qu’il aurait été capturé par ces derniers. Pareils revirements et contradictions sont de nature à affecter la crédibilité globale du récit du demandeur.

En outre, même en admettant la réalité des faits tels qu’exposés par le demandeur, c’est à juste titre que le ministre a retenu que, même si « la situation est encore confuse en Afghanistan » et qu’une protection du demandeur contre les agissements des Talibans en raison de son refus de s’associer à leurs idées politiques ne soit pas assurée dans sa région d’origine, la situation est stabilisée dans les grandes villes et que le demandeur, restant en défaut de prouver que le défaut de protection s’étendrait sur tout le territoire afghan, n’avance pas des raisons suffisantes qui l’empêcheraient de s’installer dans une région de son pays d’origine sous contrôle des autorités officielles afghanes, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18584
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18584 ?

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