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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18473

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18473


Numéro 18473 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18473 du rôle, déposée le 29 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, assisté de Maî

tre Stéphane ZINE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,...

Numéro 18473 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18473 du rôle, déposée le 29 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Stéphane ZINE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lagatore (Monténégro, Etat de Serbie-

Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Bérane (Monténégro, Etat de Serbie-

Monténégro), les deux de nationalité serbo-monténégrine, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2004 retenant que le Luxembourg n’est pas responsable du traitement de leur demande d’asile et que cette responsabilité incombe au Royaume du Danemark;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 août 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie à l’audience publique du 25 octobre 2004.

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Le 21 mai 2004, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, agissant tant en leur nom propre qu’en celui de leurs enfants mineurs … …, désignés dans la suite par les « consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Il se dégage du rapport du 24 mai 2004 relatif à cette audition que la banque de données EURODAC avait révélé que les consorts … avaient déjà déposé une demande d’asile le 13 janvier 2004 en Norvège et le 9 mars 2004 en Suède. Il résulte encore des déclarations des époux …-… qu’ils avaient déjà soumis une demande d’asile au Danemark après avoir quitté le Monténégro le 11 avril 2000, que cette demande avait été rejetée et qu’ils auraient quitté le Danemark après un séjour de trois ans et neuf mois sous la menace d’un rapatriement par les autorités danoises.

Par requête du 30 juin 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par le « ministre », soumit aux autorités danoises une demande de reprise des consorts …, demande qui fut reçue positivement par lesdites autorités suivant courrier du 9 juillet 2004.

Le 12 juillet 2004, le ministre prit à l’égard des consorts … une décision d’incompétence en retenant que le Luxembourg n’est pas responsable du traitement de leur demande d’asile et que cette responsabilité incombe au Royaume du Danemark. Le même jour, il prit à l’encontre des époux …-… deux arrêtés de refus d’entrée et de séjour.

Par courrier du 23 juillet 2004, le ministre informa les époux …-… de ce qui suit :

« J’ai l’honneur de vous informer qu’au cours de l’instruction de vos demandes d’asile, il est apparu que conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, le Luxembourg n’est pas responsable du traitement de votre demande d’asile. En revanche, cette responsabilité incombe à un autre Etat membre de l’Union européenne, à savoir le Royaume du Danemark.

Par conséquent, nous souhaitons que vous vous rendiez dans l’Etat membre en question, afin d’y voir traiter vos demandes d’asile.

Le Gouvernement souhaite que vous puissiez dans les prochains jours organiser votre départ.

Pour toute question relative à ce départ, n’hésitez pas à vous renseigner, soit auprès du Bureau d’accueil pour demandeur d’asile (Tél : 478 45 65), soit auprès du Commissariat du Gouvernement aux Etrangers (Tél : 478 65 29).

Le départ est prévu pour le mardi 3 août à 9h30. Rendez-vous est fixé à l’adresse suivante :

Ministère de la Justice Bureau d’accueil pour demandeurs d’asile 3ième étage Adresse : 5-7, rue Joseph Junck L-1839 Luxembourg En cas d’absence au rendez-vous indiqué ci-dessus, je tiens d’ores et déjà à vous prévenir que le Gouvernement sera obligé d’organiser un départ forcé ».

Le transfert des consorts … vers le Danemark eut lieu le 3 août 2004, date à laquelle ils reçurent notification de la décision d’incompétence et des arrêtés de refus d’entrée et de séjour du 12 juillet 2004.

Par requête déposée le 29 juillet 2004, les époux …-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision d’incompétence du 23 juillet 2004.

Alors même que les demandeurs concluent principalement à l’annulation de la décision déférée et seulement subsidiairement à sa réformation, le tribunal est tenu de vérifier d’abord l’existence d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’ouverture d’un recours de pleine juridiction emporte l’irrecevabilité du recours principal en annulation.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la présente matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire. Le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 23 juillet 2004 est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs estiment d’abord que la décision critiquée serait contraire à l’article 32 de la Convention de Genève prohibant l’expulsion d’un demandeur d’asile se trouvant régulièrement sur le territoire d’un Etat signataire, sauf pour les raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.

L’article 32 de la Convention de Genève ne saurait néanmoins trouver application en l’espèce, étant donné qu’il vise exclusivement l’hypothèse de l’expulsion d’un réfugié et que la décision d’incompétence prise par le Luxembourg ne saurait être qualifiée de décision d’expulsion au sens de l’article 32 précité. En effet, par mesure d’expulsion, il y a lieu d’entendre une mesure de police administrative ayant pour objet d’enjoindre à un étranger de quitter le territoire. Alors que cette mesure a simplement pour but de reconduire un étranger à l’une des frontières nationales, la décision d’incompétence du Luxembourg prise conformément aux engagements internationaux légalement pris par le Luxembourg, constitue la première des décisions par lesquelles le Luxembourg transmet, en accord avec l’autorité destinataire, un dossier à cette autre autorité, en vue de son traitement, dont le corollaire nécessaire et indispensable constitue la remise de l’intéressé par les autorités nationales aux autorités étrangères compétentes. Il ne s’agit donc pas d’une simple mise hors de la frontière nationale, mais d’une décision d’incompétence et de remise à une autorité étrangère suivant une procédure légalement prévue (trib. adm. 18 mars 1998, n° 10501, confirmé par arrêt du 16 juin 1998, n° 10667C, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 4).

Les demandeurs s’emparent ensuite de l’article 3 de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990 et approuvée par une loi du 20 mai 1993, ci-après désignée par la « Convention de Dublin », et de l’obligation pour les Etats signataires d’examiner les demandes d’asile présentées à la frontière ou sur leur territoire pour soutenir qu’en l’espèce, l’Etat luxembourgeois n’aurait pas poursuivi la procédure de demande d’asile jusqu’à son terme en dépit de l’obligation découlant de l’article 3 précité.

Ce moyen laisse d’être fondé dans la mesure où ledit article 3, s’il comporte certes dans son paragraphe 1er l’obligation de principe visée par les demandeurs, dispose dans son paragraphe 2 que « cette demande est examinée par un seul Etat membre conformément aux critères définis par la présente convention. Les critères énumérés aux articles 4 à 8 s’appliquent dans l’ordre dans lequel ils sont présentés ». Il découle de cette disposition que seul un Etat membre à la Convention de Dublin est compétent pour l’examen d’une demande d’asile conformément aux critères établis par cette Convention et qu’un Etat membre n’est pas légalement tenu d’examiner au fond chaque demande d’asile lui soumise mais est en droit de vérifier sa compétence par rapport à celle d’un autre Etat membre découlant de la Convention de Dublin.

Les demandeurs se prévalent ensuite de l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, qui interdirait toute décision avant que le demandeur d’asile concerné n’ait été entendu, audition qui n’aurait pas été accomplie en l’espèce.

Le tribunal constate à cet égard que la décision attaquée a été prise sur base de l’article 7 de la loi prévisée du 3 avril 1996 qui dispose que « si, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, un autre pays est responsable de l’examen de la demande, le ministre de la Justice sursoit à statuer sur la demande jusqu’à décision du pays responsable sur la prise en charge ». Or, l’article 10 de la même loi entend limiter son champ d’application aux décisions à prendre sur pied de ses articles 8 et 9, conformément à la volonté du législateur qui a voulu appliquer des règles procédurales différentes aux demandes visées par l’article 8, par opposition à celles visées par l’article 7 de la loi, en spécifiant que le demandeur doit être entendu dans les seuls cas visés par les articles 8 et 9 de la loi (cf. doc. parl. 3806-11, page 10, point 3.4.). Le moyen afférent des demandeurs laisse partant d’être fondé.

Il y a pareillement lieu de rejeter le moyen des demandeurs tiré d’un manque de précision de motivation et d’un défaut d’indication des voies de recours, étant donné que ces carences ne sont pas de nature à emporter l’annulation d’une décision, mais comportent la seule conséquence que le délai de recours ne commence pas à courir.

Les demandeurs invoquent finalement l’article 10 in fine du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un Etat tiers, et estiment qu’au vu de leur séjour dans plusieurs autres Etats membres durant plus de cinq mois, le Luxembourg, en tant que dernier pays de séjour, serait responsable pour l’examen de leur demande d’asile.

Le moyen est à rejeter à un double titre. En effet tout d’abord, le règlement CE n° 343/2003 prévisé n’est pas applicable entre le Danemark et les autres Etats membres, relation qui reste régie par la Convention de Dublin conformément aux articles 1er et 2 du protocole sur la position du Danemark annexé au Traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne. Ensuite, l’article 10 in fine dudit règlement désigne clairement comme Etat responsable celui dans lequel le demandeur d’asile a séjourné en dernier lieu durant au moins cinq mois, hypothèse non vérifiée en l’espèce dans le chef du Grand-Duché de Luxembourg.

Il convient de relever que le tribunal n’est pas amené à se prononcer sur l’allégation des demandeurs « qu’en tout état de cause, il y a lieu de suspendre la mesure d’expulsion au sens de l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 dans l’attente de la décision du tribunal », étant donné qu’elle n’a pas été reprise comme demande au dispositif de la requête introductive.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18473
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18473 ?

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