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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18413

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18413


Tribunal administratif N° 18413 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juillet 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18413 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Madame …, née le … (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, d...

Tribunal administratif N° 18413 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juillet 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18413 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 avril 2004 ayant porté refus de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 juin 2004 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 8 novembre 2004, en présence de Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK qui s’est rapportée au mémoire écrit et aux pièces déposées en date du 21 septembre 2004.

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Le 12 octobre 1999, feu Monsieur … et son épouse … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent de la gendarmerie grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus chacun séparément le 18 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié. Des auditions complémentaires eurent lieu dans le chef de feu Monsieur …… en date du 2 août 2002, ainsi que dans le chef de Madame … en date du 14 mai 2003.

Par décision du 15 avril 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié le 19 avril 2004, le ministre de la Justice informa Madame … que sa demande avait été rejetée comme non fondée au motif qu’il ne résulterait pas de ses allégations, qui ne seraient d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, qu’elle risquait ou risquerait d’être persécutée dans son pays d’origine pour l’un des motifs énumérés par l’article 1er, A, §2 de la Convention de Genève et que les motifs de persécution par elle allégués traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité. Le ministre a relevé en outre que les groupements d’Albanais par elle visés ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, de même qu’il ne ressortirait pas du dossier qu’il lui aurait été impossible de s’installer au Monténégro ou en Serbie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Le ministre a retenu finalement que la situation des minorités ethniques du Kosovo se serait améliorée depuis l’année 1999, de sorte qu’une persécution systématique à leur égard serait à exclure.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 19 mai 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice a pris une décision confirmative le 15 juin 2004, laquelle fut notifiée à Madame… par voie de courrier recommandé expédié le 18 juin 2004.

Par requête déposée en date du 16 juillet 2004, Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 15 avril et 15 juin 2004.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Kosovo, qu’elle appartiendrait à la minorité des Bochniaques, qu’elle aurait vécu avec son époux feu Monsieur ……, à … au Kosovo et que la vie de sa famille aurait basculé lorsque le 10 septembre 1999, sans préjudice quant à la date exacte, des inconnus se seraient introduits dans leur domicile en pleine nuit en leur ordonnant de quitter la maison dans les dix minutes et en y mettant le feu par la suite. Elle estime que cet événement serait à qualifier de persécution au sens de la Convention de Genève en ce sens que le couple aurait été menacé et qu’il y aurait eu atteinte incontestable à leur vie privée et à leur dignité. Elle expose ensuite que leur départ vers le Luxembourg aurait été motivé notamment par le fait que toute fuite interne aurait été rendue impossible en raison des fortes tensions ethniques dans toute l’ex-Yougoslavie, ainsi que du risque de subir à nouveau des persécutions en raison de leur origine ethnique et religieuse. La demanderesse, âgée de 61 ans, donne pour le surplus à considérer qu’en cas de retour au Kosovo elle se retrouverait toute seule depuis le décès de son époux le 2 novembre 2002, ce qui accentuerait encore davantage sa crainte d’être exposée à des persécutions en raison de son appartenance à la communauté bosniaque. Elle signale finalement que son ancienne maison aurait été détruite et que par ailleurs son état de santé physique et psychique ne lui permettrait pas d’envisager un retour dans son pays d’origine sans craindre pour sa vie.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours.

Il relève pour le surplus que le ministre de la Justice, dans son audition complémentaire du 14 mai 2003, suite au décès de l’époux de la demanderesse, lui avait suggéré d’aller rejoindre ses enfants qui se trouvent en Allemagne, respectivement en Slovénie, afin de ne pas rester toute seule, mais qu’à cette occasion la demanderesse, qui a par ailleurs affirmé ne pas demander l’asile, se serait contentée de répondre ne pas souhaiter rejoindre ses enfants.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, force est de relever que le seul événement invoqué par la demanderesse à l’appui de sa demande est l’incendie criminel de sa maison familiale ayant eu lieu en 1999. Or, cet événement, aussi tragique qu’il puisse être par ailleurs d’un point de vue personnel pour la demanderesse, s’inscrit dans le contexte général des tensions interethniques ayant marqué le Kosovo en 1999, sans pour autant rentrer dans les prévisions spécifiques de la Convention de Genève qui n’a pas pour objet de remédier d’une manière générale à des disparités de sécurité fréquentes en situation de guerre et d’après-guerre et qui sont souvent à la base d’une décision de migrer.

En effet, ni une situation de guerre, ni a fortiori une situation d’après-guerre ne caractérisent en elles-mêmes à suffisance une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et les éléments individuels invoqués en l’espèce n’emportent pas non plus la conviction du tribunal quant au caractère différentiel du risque invoqué par la demanderesse par rapport à celui encouru par une grande partie de la population dans son pays d’origine.

En effet, en l’absence de tout élément particulier susceptible d’exposer la demanderesse à un risque spécifique de persécution au sens de la Convention de Genève, le seul fait d’avoir fait l’objet d’une agression d’origine criminelle ne saurait être utilement retenu à lui seul pour justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé, sans que cette conclusion ne puisse être utilement énervée par les considérations avancées en cause tenant à l’état de santé et à la situation familiale de Madame…, étant donné que le seul fait de ne pas se voir reconnaître le statut de réfugié n’entraîne pas automatiquement le refoulement du demandeur d’asile vers son pays d’origine, puisque d’autres raisons que celles qui sont susceptibles de justifier la reconnaissance dudit statut peuvent le cas échéant amener le gouvernement luxembourgeois à ne pas procéder à un éloignement.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le tribunal est amené à statuer contradictoirement en l’espèce encore que le demandeur n’était pas représenté lors des plaidoiries de l’affaire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18413
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18413 ?

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