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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18306

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18306


Numéro 18306 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18306 du rôle, déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Daniel BA

ULISCH, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de...

Numéro 18306 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18306 du rôle, déposée le 28 juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, assisté de Maître Daniel BAULISCH, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Adapazari (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 mai 2004 portant confirmation, sur recours gracieux, de la décision dudit ministre du 7 avril 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Daniel BAULISCH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2004.

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Le 19 novembre 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 18 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 7 avril 2004, notifiée par courrier recommandé du 9 avril suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous étiez aide-cuisinier sur un cargo, le FATMA ANA.

Vous auriez profité d’un mouillage en Espagne pour quitter le bateau et venir au Luxembourg où vous avez déposé votre demande d’asile le 19 novembre 2003.

Vous exposez que vous auriez fait votre service militaire de 1991 à 1992.

Vous exposez que vos problèmes en Turquie sont liés à votre confession alaouite, qui est une dissidence de l’Islam. Les alaouites seraient très mal vus car ils seraient toujours accusés de pratiquer des orgies à l’occasion de leurs réunions de prières. La police aurait l’habitude de les emmener pendant quelques heures au commissariat avant de les libérer. Vous auriez aussi subi ce genre de garde-à-vue. Vous n’auriez pas été maltraité pendant ces séjours au poste de police, mais humilié. En 1993, votre groupe de prière aurait été accusé d’ « activités immorales en groupe » mais vous auriez tous été relaxés, à charge d’arrêter vos « activités ». Vous auriez fini par aller prier à Istanbul où la communauté alaouite est plus importante.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

L’appartenance à la minorité religieuse n’entraîne pas d’office l’application de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que les problèmes que vous avez eu avec les policiers de votre ville, si désagréables soient-ils, ne suffisent pas pour fonder une persécution entrant dans le cadre de la Convention de Genève. Je note aussi que vous reconnaissez n’avoir pas eu de problèmes lors de vos réunions de prières à Istanbul. Vous auriez donc pu vous installer dans cette ville pour vous rapprochez de vos lieux de culte.

J’en conclu que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité, mais qui ne peut fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il est à constater d’ailleurs que la situation des droits de l’homme est en train de s’améliorer considérablement en Turquie, les autorités souhaitant se conformer aux exigences de la Communauté Européenne pour obtenir le statut de pays candidat. La liberté de religion est en général respectée en Turquie. Les Alaouites forment une minorité religieuse de plusieurs millions de personnes et ne font pas l’objet de persécution systématique.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 4 mai 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 27 mai 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle confirmative du 27 mai 2004 par requête déposée le 28 juin 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait éprouvé d’énormes problèmes dans son pays d’origine du fait de sa religion alaouite. Il expose plus particulièrement qu’un jour les membres de sa communauté auraient éteint la lumière dans le local où ils s’étaient réunis pour la prière afin d’empêcher un étranger à l’extérieur de les observer, que cet étranger aurait ensuite répandu la rumeur que les Alaouites auraient éteint la lumière pour cacher des orgies en famille et que depuis lors les gens se méfieraient d’eux à tel point qu’ils appelleraient régulièrement la police en prétendant que les Alaouites organiseraient des orgies en groupe. En conséquence de cette méfiance des gens, il aurait lui-

même été embarqué à deux reprises au commissariat où les policiers lui auraient reproché de pratiquer l’adultère, voire l’inceste pour n’être relâché que le lendemain après avoir été forcé de signer un document avouant qu’il avait commis des adultères. Le demandeur ajoute qu’il aurait encore été arrêté trois ans plus tard suite à une plainte déposée contre lui pour des « activités immorales en groupe » et qu’il aurait même été conduit à une « juridiction supérieure » pour y être jugé sur les faits reprochés. Le demandeur conclut sur base de ces faits que sa situation spécifique laisserait supposer dans son chef un danger pour sa personne subsistant encore à l’heure actuelle, de manière que le ministre aurait dû lui reconnaître le statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 18 février 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les deux arrestations par la police auxquelles le demandeur se réfère datent de 1990 et de 1993 et elles ont eu lieu à chaque fois dans le village d’origine du demandeur qui a indiqué lors de son audition qu’il se serait déplacé depuis lors périodiquement à Istanbul où il y aurait une grande communauté alaouite afin de pratiquer sa religion, étant donné qu’il n’aurait plus osé participer à une prière collective dans son village. Même si le demandeur s’est encore prévalu, lors de son audition, d’une attitude défavorable des autorités locales, il n’a pas fait état d’actes concrets de la part des autorités qui seraient d’une gravité suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié. Il y a encore lieu de retenir que les faits concrets invoqués par le demandeur se limitent à sa région d’origine et qu’il a par contre été en mesure de pratiquer librement sa religion à Istanbul, de manière que le demandeur reste en défaut de justifier les motifs pour lesquels il n’aurait pas pu s’établir à Istanbul du moment qu’il estimait sa liberté religieuse affectée dans sa région d’origine. En effet, la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18306
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18306 ?

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