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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18253

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18253


Tribunal administratif No 18253 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18253 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem

bourg, au nom de Madame …, née le … à Yerevan (Arménie), agissant tant en son nom personnel qu’en cel...

Tribunal administratif No 18253 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18253 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Yerevan (Arménie), agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son enfant mineur …, les deux de nationalité arménienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 mars 2004, par laquelle ledit ministre a déclaré non fondée sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que de la décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 24 mai 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 21 mars 2003, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de son enfant mineur …, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvé par une loi du 20 mai 1953, et du protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 5 août 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 9 mars 2004, notifiée par pli recommandée du 23 mars 2004, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Arménie en 1989 pour aller vivre en Russie avec votre mère. Vous y seriez restée pendant quatre ans, puis vous seriez partie en Roumanie où vous seriez restée pendant deux ans. De là vous seriez allée en Bulgarie, pays que vous auriez quitté pour le Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 21 mars 2003.

Vous auriez successivement suivi votre mère en Russie, en Roumanie et en Bulgarie. Vous précisez que vous auriez obtenu un permis de séjour en Bulgarie, mais que celui-ci aurait expiré en 2001. Vous ignorez pourquoi votre mère n’a pas demandé les documents nécessaires à la prolongation de votre permis de séjour. En Bulgarie, vous dites avoir travaillé au noir dans un café.

Vous expliquez que vous auriez quitté l’Arménie car votre père était Azéri et qu’il y avait un conflit entre ces deux pays. Votre père serait reparti seul en Azerbaïdjan en 1989. Votre mère, elle, serait partie avec vous en Russie. Votre patronyme azéri vous exposerait à des dangers en Arménie.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que vous avez quitté l’Arménie en 1989 et que, si vous vous étiez vraiment sentie en danger en Arménie, vous auriez pu, en quittant ce pays, déposer une demande d’asile dans l’un des trois pays où vous dites avoir séjourné.

De plus, je constate que vous avez vécu de nombreuses années en situation régulière en Bulgarie. Vous ne prouvez pas qu’il vous aurait été impossible de régulariser définitivement votre situation dans ce pays.

Pour le surplus, la situation politique en Arménie a bien changé depuis 1989. S’il est vrai qu’il y a toujours des échauffourées entre les Azéris et les Arméniens, l’Arménie n’est pas en situation de guerre contre l’Azerbaïdjan. De plus, l’OSCE continue de jouer le rôle de médiateur entre les deux Etats. Rien ne prouve que vous risqueriez quoi que ce soit dans ce pays.

Je peux donc analyser vos dires en un sentiment d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Suite à un recours gracieux formulé par l’intermédiaire de son mandataire par lettre du 25 avril 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 24 mai 2004.

Par requête déposée au tribunal administratif en date du 18 juin 2004, Madame … a introduit un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 9 mars et 24 mai 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Madame … fait valoir qu’en 1989, lors du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, elle aurait dû quitter l’Arménie avec sa mère, en raison de leurs origines azéries et du fait que leur père serait reparti seul pour l’Azerbaïdjan. Elle précise qu’elle serait allée vivre avec sa mère d’abord pendant quatre ans en Russie, ensuite pendant deux ans en Roumanie et finalement en Bulgarie, avant de venir au Luxembourg avec son fils …, né en Bulgarie. Etant donné qu’ils seraient considérés par les autorités arméniennes comme « personnes indésirables » en raison de leur appartenance ethnique, un retour dans leur pays d’origine serait impossible.

En substance, Madame … reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’elle a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte qu’elle serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays , ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … lors de son audition en date du 5 août 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’elle reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la situation ethnique de la demanderesse, il y a lieu de relever d’abord que la seule appartenance à une minorité ethnique, en l’espèce la minorité azérie, est insuffisante pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de cette appartenance.

Or, les déclarations de la demanderesse, qui restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible se révèlent insuffisantes pour justifier qu’elle-même ou son enfant risquaient ou risquent, individuellement et concrètement, de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

A cela s’ajoute que les risques allégués par Madame … remontent à quinze ans et qu’elle n’a pas fourni la moindre explication convaincante quant au défaut de solliciter l’asile dans l’un des pays dans lesquels elle a vécu à partir de 1989, ni les raisons pour lesquelles elle n’a pas régularisé sa situation en Bulgarie, d’autant plus que son fils … y est né en 1999.

Il suit de ce qui précède que Madame … n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18253
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18253 ?

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