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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18246

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18246


Tribunal administratif N° 18246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par les époux … et … et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18246 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2004 par Maître Oliv

ier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …...

Tribunal administratif N° 18246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par les époux … et … et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18246 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gornja (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à Tucanje (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), ainsi que de leurs trois enfants mineurs … et ainsi que de leur fille majeure Madame …, née le … à Bérane(Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision ministérielle implicite de rejet de leur demande en obtention du statut de tolérance formée le 22 avril 2004, ainsi que d’une décision du ministre de la Justice leur communiquée oralement le 15 juin 2004 portant information de leur rapatriement vers leur pays d’origine ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 22 juin 2004 ayant débouté les époux … et …, ainsi que leurs enfants, de leur demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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A l’issue d’une procédure tendant à l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés qui s’est soldée par une décision négative définitive, suivant arrêt de la Cour administrative du 11 juillet 2002, les époux … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants 1mineurs Amela, …, ci-après dénommés les « consorts … », se plaignant de problèmes de santé dans le chef de Monsieur …, se sont adressés au ministre de la Justice pour solliciter le bénéfice du statut de tolérance provisoire sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg par application des dispositions de l’article 13 et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire.

En date du 8 septembre 2003, le ministre de la Justice prit une décision de la teneur suivante :

« Après réexamen de votre dossier et suite à l’avis du contrôle médical qui a conclu que Monsieur … est atteint d’une maladie d’une gravité exceptionnelle nécessitant la poursuite du traitement au Luxembourg pour une durée prévisible de 6 mois, j’ai décidé de vous accorder une tolérance provisoire conformément à l’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ;

2) d’un régime de protection temporaire.

Cette tolérance provisoire sera valable jusqu’au 15 février 2004, date à laquelle le ministère de la Justice procédera à une réévaluation de votre dossier. (…) ».

Le 22 avril 2004, le mandataire des consorts … adressa un courrier au ministère de la Justice dans lequel, certificat médical à l’appui, il porta à la connaissance de celui-ci que les problèmes de santé de Monsieur … auraient empiré et qu’il devrait selon toute probabilité faire l’objet d’une nouvelle intervention neurochirurgicale et demanda, par conséquent, la prolongation du statut de tolérance.

En dates des 11 et 15 juin 2004, les consorts … furent convoqués par le ministère de la Justice en vue de leur information sur les modalités d’un retour volontaire vers leur pays d’origine avec lequel ils ne marquèrent pas leur accord.

Lors de la deuxième réunion en date du 15 juin 2004, ils furent encore informés que les autorités luxembourgeoises procéderaient à leur rapatriement forcé, sans pour autant qu’un délai précis soit précisé.

N’ayant pas reçu de réponse à leur demande en obtention du statut de tolérance présentée le 22 avril 2004, les consorts … ont introduit, par requête déposée le 17 juin 2004, un recours en annulation contre la décision implicite de rejet dudit statut, ainsi que sa décision de rapatriement et par requête déposée le même jour, ils ont sollicité l’institution d’une mesure de sauvegarde consistant dans l’autorisation de rester au pays en attendant la solution du recours au fond.

Par ordonnance du 22 juin 2004, le président du tribunal administratif a débouté les consorts … de leur demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde.

Quant à la décision ministérielle implicite portant rejet de la demande en obtention du statut de tolérance Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière du statut de tolérance, tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, seul un recours en 2annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision ministérielle implicite portant rejet de la demande des consorts … en obtention du statut de tolérance formée le 22 avril 2004.

Aux termes de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucun décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».

La recevabilité d’un recours introduit sur base de l’article 4 (1), précité, s’analyse au jour du dépôt de la requête au greffe du tribunal administratif. En l’espèce, la demande en obtention du statut de tolérance a été introduite en date du 22 avril 2004 auprès du ministre de la Justice, de sorte qu’à la date de l’introduction du recours sous analyse – 17 juin 2004 – le délai de trois mois prévu par l’article 4 (1) précité n’était pas écoulé. Partant, les demandeurs n’étaient a priori pas, à la date d’introduction du recours, en présence d’une décision implicite de rejet, telle que prévue par la fiction inscrite au prédit article 4 (1).

Le tribunal est cependant amené à retenir, au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, que les demandeurs, du fait de leurs convocations pour les 11 et 15 juin 2004 par le ministère de la Justice en vue de déterminer les modalités pratiques d’un retour dans leur pays d’origine, mesure incompatible avec une hypothétique décision de leur accorder le statut de tolérance, se trouvaient en date du 15 juin 2004 confrontés à une décision ministérielle refusant – implicitement mais nécessairement - l’admission au statut de tolérance.

En d’autres termes, il résulte de ces circonstances particulières, desquelles se dégage sans ambiguïté la volonté du ministre de la Justice de ne pas leur accorder le statut de tolérance, que les demandeurs se trouvaient bien, à la date d’introduction du recours, en présence d’une décision de rejet de la demande en obtention du statut de tolérance, certes implicite, mais néanmoins matérialisée par des mesures concrètes, de sorte que le recours, par ailleurs introduit dans les formes de la loi, doit être déclaré recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que l’état de santé de Monsieur … déclinerait fortement et s’opposerait à un retour dans son pays d’origine, au motif qu’il devrait faire prochainement l’objet d’une nouvelle opération neurochirurgicale. Les demandeurs estiment plus particulièrement que ledit état de santé nécessite la poursuite du traitement au Luxembourg et ne serait pas conciliable avec un voyage de retour dans leur pays d’origine, d’autant plus que Monsieur … n’y retrouverait pas les soins adaptés à la gravité exceptionnelle de sa maladie.

Dans ce contexte, les demandeurs s’interrogent encore sur les compétences effectives du médecin du contrôle médical de la Sécurité Sociale, tant d’un point de vue légal, que d’un point de vue technique, pour se prononcer sur l’importance de la pathologie médicale de Monsieur … et sur la compatibilité de cette pathologie avec un rapatriement dans son pays d’origine, d’autant plus qu’aucun texte légal ne donnerait compétence audit médecin pour émettre des avis sur lesquels le ministre de la Justice s’appuierait au moment de prendre ses décisions. Finalement, les demandeurs sollicitent, pour autant que de besoin, l’institution d’une expertise médicale et technique contradictoire sur la possibilité dans le chef de Monsieur … de se faire efficacement soigner dans son pays d’origine.

3Le délégué du gouvernement estime, en ce qui concerne la situation médicale de Monsieur …, que les certificats médicaux versés au dossier n’établiraient pas une aggravation certaine de l’état de santé de ce dernier. Le représentant étatique relève plus particulièrement qu’aucun des certificats médicaux versés ne se prononcerait contre un rapatriement en avion de Monsieur … et que son suivi médical pourrait se faire en Serbie-Monténégro, étant donné que la pathologie mise en avant, à savoir les suites d’une hernie discale opérée, serait assez courante et qu’un traitement serait accessible dans le pays d’origine des demandeurs. Etant donné que l’état de santé de Monsieur … se serait stabilisé, voir amélioré depuis 2003, le ministre de la Justice aurait à bon droit décidé de ne pas proroger le statut de tolérance sollicité.

Au titre de l’article 13, alinéa 1er de la loi précitée du 3 avril 1996, lorsque le statut de réfugié a été refusé, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère et l’alinéa 3 du prédit article prévoit une exception à ce principe « si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre de la Justice peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé ».

S’il est dès lors vrai que la maladie d’un demandeur d’asile débouté et la qualité des soins médicaux dans son pays d’origine sont, le cas échéant, susceptibles de constituer une circonstance de fait rendant l’exécution matérielle d’un éloignement impossible et, par conséquent, de nature à justifier que l’intéressé soit admis à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au moment où la circonstance de fait aura cessé, force est de constater qu’en l’espèce, le ministre de la Justice n’a pas méconnu l’article 13 (3) de la loi précitée du 3 avril 1996. En effet, il ressort des différents certificats médicaux versés que Monsieur … suit des visites médicales régulières suite à une hernie discale opérée au courant de l’année 1999 et que son état de santé ne s’est pas aggravé après le 15 février 2004, date d’expiration de la première décision de tolérance provisoire.

Dans un certificat du 19 janvier 2004, le docteur F.P. fait état d’un « traitement conservateur afin d’éviter dans la mesure du possible une nouvelle intervention chirurgicale.

Néanmoins en cas d’échec du traitement conservateur une cure chirurgicale de cette hernie n’est pas exclue à court ou à moyen terme ».

Dans un certificat médical du 20 avril 2004, le même docteur F.P. exclut de nouveau pour le moment toute intervention chirurgicale, tout en préconisant des traitements et contrôles médicaux réguliers.

Dans un certificat médical daté au 14 mai 2004, le docteur A.B. certifie « des séquelles sévères d’une discopathie lombaire » et estime que « tout déplacement peut se rendre extrêmement pénible ».

Finalement, il convient encore de relever que Monsieur … suit depuis le 27 septembre 2004 un traitement au Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation à raison de trois séances d’une demie-journée par semaine.

Lesdits certificats médicaux, décrivant l’état de santé de Monsieur … au courant de l’année 2004, ne sont pas en contradiction avec les avis dressés en dates des 19 février 26 4avril 2004 par le médecin de l’administration du contrôle médical de la Sécurité Sociale, par examen des certificats médicaux établis, estimant que Monsieur … ne présente pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d’origine. En effet, s’il ressort des différents certificats médicaux versés par les demandeurs que Monsieur … souffre toujours des suites de son opération de 1999, toujours est-il que toute nouvelle opération est à exclure pour le moment et que le patient doit uniquement suivre un traitement conservateur et des séances de rééducation.

Pour le surplus, il ne ressort d’aucun élément de preuve tangible qu’il serait impossible d’assurer les soins requis par Monsieur … dans son pays d’origine, de sorte que la décision ministérielle est légalement fondée et que les demandeurs sont à débouter de leur recours, sans que le tribunal ne juge nécessaire de devoir recourir à l’avis d’un expert tel que sollicité par les demandeurs au dispositif de leur requête introductive.

Dans ce contexte, les doutes mis en avant par les demandeurs quant aux compétences légale et technique du médecin du contrôle médical de la Sécurité Sociale, et la prétendue illégalité de la décision de rejet en résultant, sont à abjuger, étant donné que le ministre de la Justice peut toujours avoir recours à l’avis d’un spécialiste, sans être lié par ledit avis, le tout sous le contrôle du juge administratif s’il est appelé à statuer.

Quant à la décision du 15 juin 2004 informant les demandeurs de la décision de principe de leur rapatriement Les demandeurs soutiennent encore, par référence à l’article 14 (3) de la loi du 28 mars 1972, précitée, que le rapatriement exposerait Monsieur … à une menace grave pour sa vie et qu’il ne saurait partant faire l’objet d’un rapatriement forcé.

Le représentant étatique est d’avis que les développements des demandeurs concernant ledit article 14 (3) seraient superflus, au motif que la vie ou la liberté de Monsieur … ne seraient nullement menacées en cas de retour dans son pays d’origine et que l’affirmation qu’il subirait de graves dommages corporels pendant le trajet serait purement gratuite et ne saurait sérieusement correspondre à la réalité.

Etant donné que les demandeurs se contentent uniquement de faire état d’un risque grave de dommages corporels pendant le trajet de retour en Serbie-Monténégro et d’un risque, non autrement établi, de ne pas pouvoir bénéficier, dans ledit pays d’un traitement médical adéquat, le renvoi de Monsieur … dans son pays d’origine ne saurait être constitutif d’une menace grave pour sa vie.

Comme relevé ci-avant, l’article 13, alinéa 1er de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit que lorsque le statut de réfugié a été refusé, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972, à moins qu’il ne puisse bénéficier du statut de tolérance prévu à l’alinéa 3 du même article.

Or, non seulement il résulte des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu refuser le statut de tolérance sollicité par les demandeurs, de sorte que les demandeurs se trouvent dans une situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, mais les demandeurs restent encore en défaut d’établir un quelconque motif, distinct de la question de l’obtention du statut de tolérance, susceptible de tenir en échec leur éloignement par application de la loi modifiée du 28 mars 1972.

5 Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle d’éloignement est légalement fondée et que les demandeurs sont partant également à débouter sur ce point de leur recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18246
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18246 ?

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