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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18223

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18223


Tribunal administratif N° 18223 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18223 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour

, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épo...

Tribunal administratif N° 18223 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par les époux … et …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18223 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, les deux de nationalité serbo-monténégrine, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 mars 2004 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

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En date du 10 février 2004, « la famille … », après s’être vu refuser la reconnaissance du statut de réfugié au Grand-Duché de Luxembourg, ainsi que la régularisation de leur situation, introduisirent par le biais de leur mandataire une demande en autorisation de séjour « sur base du regroupement familial » auprès du ministre de la Justice. Dans ladite demande, ils firent état du mariage de leur fille aînée Anisa … avec Monsieur …, mariage contracté en date du 14 novembre 2003 devant l’officier de l’état civil à Rumelange, et du fait que Monsieur … bénéficierait d’une autorisation de séjour au Luxembourg.

Par lettre du 11 mars 2004, le ministre de la Justice informa le mandataire des demandeurs de ce qui suit :

« Comme suite à votre courrier du 10 février 2004, par lequel vous sollicitez l’autorisation de séjour en faveur de Monsieur et Madame …-…, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

1 En effet, l’autorisation de séjour ne saurait être délivrée alors que les intéressés ne disposent pas de moyens d’existence personnels conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui dispose que la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence suffisants permettant à l’étranger d’assurer son séjour au Grand-Duché indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Par conséquent, les intéressés qui se trouvent en séjour irrégulier, sont invités à quitter le pays sans délai ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 juin 2004, les époux … et … ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 11 mars 2004.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme les demandeurs ont pris position par écrit par le fait de déposer leur requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

En ce qui concerne tout d’abord le recours en réformation, introduit en ordre principal, il échet de constater que le tribunal est incompétent pour en connaître dans la mesure où il n’existe aucune disposition légale prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’autorisation de séjour. Seul un recours en annulation a partant pu être formé.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs invoquent en premier lieu l’absence de motivation de la décision déférée en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que le seul motif de refus invoqué par le ministre de la Justice reposerait sur le défaut de moyens personnels suffisants et qu’il ne prendrait pas position quant à la demande tendant à obtenir une autorisation de séjour sur base du regroupement familial, tel que sollicitée dans la demande du 10 février 2004.

Il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

Cependant la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste en la suspension des délais de recours. La décision reste valable, et l’administration peut produire ou compléter ses motifs postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance. Etant donné qu’en l’espèce, la décision déférée se trouve motivée et que le délégué du gouvernement a encore utilement complété ladite motivation en cours de 2procédure contentieuse, le moyen relatif à l’absence de motivation de la décision est à rejeter comme étant non fondé, le bien-fondé de ladite motivation étant à apprécier dans le cadre de l’examen au fond du recours.

Quant au fond, les demandeurs exposent que leur enfant Anisa …, née le 30 juillet 1983 à Bérane, s’est mariée en date du 14 novembre 2003 avec Monsieur … et que leur enfant respectivement leur beau-fils travailleraient et bénéficieraient des papiers de séjour nécessaires et qu’ils seraient « parfaitement à même de financer le reste de la famille (…) dans le cadre du regroupement familial ».

Le délégué du gouvernement expose en premier lieu que les demandeurs, accompagnés de leurs quatre enfants, seraient arrivés au Grand-Duché de Luxembourg en date du 30 avril 1999, que le statut de réfugié leur aurait été refusé en date du 12 juillet 2001, de même qu’une demande d’autorisation de séjour dans le cadre de la procédure dite de régularisation des étrangers en situation irrégulière et qu’ils auraient été invités à quitter le Luxembourg.

Concernant la demande sous examen, le représentant étatique souligne qu’il n’existerait pas dans la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers, 2) le contrôle médical des étrangers, 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère une disposition légale spécifique concernant le regroupement familial des étrangers non originaires d’un pays membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen, que les demandeurs omettraient d’indiquer la base légale applicable et la disposition légale qui aurait été violée en l’occurrence et qu’à défaut de preuve de moyens d’existence personnels, l’engagement pris par un tiers serait insuffisant en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour. Finalement, le délégué du gouvernement estime encore que les demandeurs omettraient d’indiquer comment un jeune couple pourrait prendre en charge une famille composée de cinq personnes.

Il convient de prime abord de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué (cf. trib. adm. 11 juin 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 9, et autres références y citées). – En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (cf. trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2003, V° Recours en annulation, n° 14, et autres références y citées).

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 134, et autres références y citées).

En l’espèce, le tribunal constate qu’il ne ressort ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui lui ont été fournis, que les époux …-… disposaient de moyens personnels suffisants au moment où la décision attaquée a été prise.

3 A défaut par ceux-ci d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels suffisants leur permettant de supporter personnellement les frais de leur séjour au Luxembourg, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agit d’un membre de la famille comme en l’occurrence, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels, il s’ensuit que c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée par les demandeurs sur base de ce seul motif.

Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par les demandeurs et tiré de la violation du droit au regroupement familial.

Dans la mesure où une demande de regroupement familial, comme faisant partie du droit au respect de la vie privée et familiale, se réfère nécessairement à l’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la demande des époux …-… est encore à examiner au regard de cette base légale, même si celle-ci n’a pas été expressément invoquée à l’appui de leur recours contentieux, dans la mesure où elle se trouve néanmoins être implicitement visée dans la requête introductive d’instance, en ce que il y est fait référence au droit au regroupement familial des demandeurs avec leur fille Anisa … respectivement leur beau-fils …, légalement établis au Luxembourg.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale, dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 prérelaté de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif et pour ne pas être contesté par le représentant étatique qu’Anisa …, fille des demandeurs s’est mariée en date du 14 novembre 2003 avec Monsieur … et que ledit couple bénéficie de cartes d’identité d’étrangers.

Toutefois, force est de constater que les demandeurs restent muets sur les liens existants au moment de l’introduction de leur demande avec leur fille Anisa et ils restent en 4défaut de rapporter un quelconque élément concret permettant d’établir l’existence d’une vie familiale effective au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

A défaut de faire état d’un obstacle majeur rendant impossible leur retour dans leur pays d’origine avec leurs trois enfants, le ministre de la Justice a valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sans méconnaître la protection accordée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, même abstraction faite de la considération quant à la possibilité matérielle d’une prise en charge par Anisa … et son mari du restant de la famille composée de cinq personnes.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à déclarer non fondé et partant les demandeurs sont à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18223
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18223 ?

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