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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18169

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18169


Tribunal administratif N° 18169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18169 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2004 par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, avocat, les deux inscrites au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Grozny (Tchétchénie/Fédé...

Tribunal administratif N° 18169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18169 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2004 par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, assistée de Maître Aurore GIGOT, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Grozny (Tchétchénie/Fédération de Russie), de nationalité tchétchène et de citoyenneté russe, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 mai 2004, confirmative d’une décision du même ministre du 26 mars 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Sonia DIAS, en remplacement de Maître Deidre DU BOIS, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 2 janvier 2003, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En dates des 6 mai, 1er août 2003 et 12 mars 2004, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 mars 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 2 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et les rapports d’audition des agents du Ministère de la Justice des 6 mai 2003, 1er août 2003 et 12 mars 2004.

Vous exposez que vous auriez quitté la Tchétchénie en 1995 pour vivre à Veliki Novgorod en Fédération de Russie. Vous auriez quitté Novgorod le 25 décembre 2002 pour aller à Saint-Péterbourg, puis à Minsk et à Brest. De là, vous auriez poursuivi votre voyage jusqu’à Varsovie et ensuite un passeur vous aurait emmené au Luxembourg, mais vous ne pouvez donner aucune précision quant à ce tronçon de votre trajet.

Vous auriez été exempté du service militaire pour cause de maladie.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous exposez que vous auriez quitté la Tchétchénie à cause de la guerre. En effet, vous dites avoir été pris entre deux feux, l’armée russe et des paramilitaires tchétchènes. Vous vous seriez installé alors à Novgorod à partir du 26 septembre 1995. En février 2002, il y aurait eu des manifestations anti-Tchétchènes à Novgorod.

Le 1er mars de la même année, votre frère et vous auriez été agressés. La police, après avoir acté votre premier interrogatoire, vous aurait demandé de modifier vos réponses. Vous vous seriez plaint au Parquet de ce comportement mais vous n’auriez obtenu aucun appui. Votre épouse se serait faite agresser le 25 mai 2002. Vous auriez encore été agressé à Pskov en juillet 2002. De nouvelles agressions auraient eu lieu en septembre au marché. Votre frère aurait été frappé et serait décédé. Votre femme serait décédée le 15 décembre 2002 des suites d’un problème cardiaque. Vous auriez alors décidé de quitter le pays.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il résulte des renseignements en notre possession que vous êtes connu aux Pays-Bas sous l’identité de S., de nationalité iraquienne et qui se serait trouvé aux Pays-Bas en janvier 2000. Interrogé à ce sujet vous avez nié.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Le fait d’avoir nié que vous vous trouviez aux Pays-Bas en janvier 2000 sous une autre identité laisse planer un doute sur votre réelle identité. Votre mauvaise connaissance de la langue russe telle qu’elle a pu être constatée par l’interprète et par l’agent procédant à l’audition étaye le fait que vous n’êtes sans doute ni Russe ni Tchétchène.

Votre demande repose donc sur une fraude délibérée et constitue un recours abusif aux procédures d’asile.

Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 23 avril 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 6 mai 2004, Monsieur … a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2004, un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle confirmative du 6 mai 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielles critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur conteste les motifs invoqués pour lui refuser le statut de réfugié et en particulier l’affirmation qu’il aurait antérieurement présenté une demande d’asile aux Pays-Bas sous le nom de « S. », de nationalité irakienne, et il estime que le ministre de la Justice aurait fait une mauvaise application de la Convention de Genève et aurait méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Il relève en particulier que le demandeur aurait nié un séjour antérieur aux Pays-Bas, que la prise d’empreintes digitales aurait prouvé que le demandeur serait connu sous deux identités et que ce dernier n’aurait apporté aucune preuve quant à sa véritable identité et sa présence en Tchétchénie au courant de l’année 2000, de sorte que ce serait à juste titre que le ministre de la Justice aurait conclu à une fraude avérée dans le chef du demandeur.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 6, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Le même article 6 précise dans son alinéa 2, d) que tel est notamment le cas lorsque le demandeur a « délibérément omis de signaler qu’il avait précédemment présenté une demande dans un ou plusieurs pays, notamment sous de fausses identités ».

Les cas énumérés à l’article 6, alinéa 2, sub a) à g) constituent non pas des conditions supplémentaires à remplir dans le chef d’un demandeur d’asile pour voir sa demande d’asile considérée comme manifestement infondée au sens de l’alinéa 1er du même article, mais traduisent des illustrations de ce que le législateur a envisagé d’une manière plus générale à l’alinéa 1er de l’article 6 prévisé, de sorte que le demandeur d’asile qui range dans une des hypothèses plus particulièrement envisagées à l’alinéa 2 de l’article 6 peut en principe automatiquement être considéré comme ayant présenté une demande d’asile manifestement infondée au sens de l’alinéa 1er de l’article 6, sans que le ministre n’ait besoin d’établir au-delà des éléments caractérisant le cas pertinent énuméré à l’alinéa 2 de l’article 6, également le caractère frauduleux de l’objectif de la demande lui adressée, celui-ci se dégageant précisément des éléments constitutifs des différents cas plus particulièrement envisagés (trib. adm. 5 février 2001, n° 12469a du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 93, p.198).

Or, en l’espèce il ressort du dossier administratif que le demandeur avait précédemment séjourné aux Pays-Bas et y avait présenté une demande d’asile sous le nom de « S. » et que les deux interprètes, présentes lors des auditions respectives du demandeur en date des 6 mai 2003 et 12 mars 2004, ont attiré l’attention de l’agent du ministère de la Justice sur le fait que Monsieur … ne maîtrisait qu’approximativement la langue russe. A cela s’ajoute que le demandeur est lui-même en aveu de ne pas parler le tchétchène.

A partir du moment où il est établi que le cas d’un demandeur d’asile correspond à l’un des cas plus particulièrement envisagés à l’alinéa 2 de l’article 6, le demandeur ne peut éviter que sa demande ne soit automatiquement rejetée qu’en donnant, en application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 6, une explication satisfaisante relative à la fraude lui reprochée.

Force est cependant de constater que le demandeur ne fournit aucune explication, mais se contente de contester la réalité des renseignements transmis par les autorités néerlandaises d’après lesquelles il a antérieurement présenté une demande d’asile aux Pays-Bas sous une autre identité. De telles contestations ne sauraient cependant énerver cette conclusion non ambiguë, se dégageant de la vérification par comparaison des empreintes digitales. Pour le surplus, cette conclusion se trouve encore corroborée par la mauvaise connaissance de la langue russe par Monsieur …, de sorte que la demande d’asile sous analyse repose sur une fraude délibérée et constitue un recours abusif aux procédures d’asile.

La demande subsidiaire de Monsieur … visant à voir ordonner une nouvelle prise de ses empreintes digitales est à rejeter, alors que le demandeur omet de fournir au tribunal le moindre élément de nature à mettre en évidence une défaillance au stade de la première comparaison effectuée.

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a pu considérer que la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour reposer sur une fraude délibérée.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre, les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ; Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18169
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18169 ?

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