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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18157

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18157


Tribunal administratif N° 18157 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18157 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de M. …, prétendument né le … à Nema (Gambie), de nationalité gambienne, demeuran...

Tribunal administratif N° 18157 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18157 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, prétendument né le … à Nema (Gambie), de nationalité gambienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 26 février 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 26 avril 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivier LANG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 4 mars 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 3 octobre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 février 2004, notifiée par lettre recommandée du 2 mars 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté la Gambie pour vous rendre à pieds à Dakar au Sénégal, puis ensuite vous seriez allé en Mauritanie, et ensuite au Mali et enfin au Maroc. De ce pays vous seriez monté à bord d’un bateau pour arriver dans un endroit inconnu d’Europe.

Il résulte de vos déclarations que suite au décès de vos parents, un ami de votre père se serait occupé de vous. Celui-ci vous aurait forcé à assister aux meetings du parti UDP, étant donné qu’il serait un leader de ce parti. Cependant vous auriez refusé d’exécuter de tels ordres et en contrepartie vous auriez été jeté dehors, alors vous seriez allé chez des amis, puis vous auriez quitté la Gambie.

Vous ajoutez que si vous étiez resté chez cet homme, il vous aurait battu. Tel aurait déjà été le cas.

Vous soulignez que l’absence de logement, de nourriture et d’argent seraient votre problème et donc les raisons de votre départ de la Gambie, vous seriez resté des fois quatre jours sans manger, ainsi vous souffririez de cette situation.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

En effet, il convient de souligner que non seulement vous admettez n’avoir peur de rien par conséquent il n’existe aucune crainte de persécution, mais de plus, votre demande d’asile n’est basée que sur des motifs d’ordre matériel et personnel, or de telles considérations ne rentrent pas dans le cadre de la Convention de Genève. Par ailleurs, l’ami de votre père ne saurait constituer un agent de persécution au sens de la prédite Convention.

De plus, force est aussi de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Et en l’occurrence, il convient de souligner que vous avez délibérément menti quant à votre âge puisque le certificat médical daté du 18 novembre 2003 atteste le fait que vous n’êtes absolument pas mineur tel que vous le prétendez. A ce sujet, l’article 6 2b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Aussi concernant vos connaissances sur la Gambie, vous ne pouvez dire quelles sont les couleurs du drapeau et vous ne vous souviendriez plus de la monnaie, de telles constatations entraînent de sérieux doutes quant à votre origine gambienne. A cela s’ajoute les divergences entre le récit auprès du Service de Police Judiciaire et celui du rapport d’audition, en effet dans le premier vous déclarez avoir passé environ au moins 5 mois entre votre départ de la Gambie et celui du Maroc pour l’Europe, or au sein du deuxième, vous parlez de 2 mois et 3 semaines. De plus, vous seriez allé au Sénégal à pieds selon le rapport du Service de Police Judiciaire, par contre en voiture selon le rapport d’audition.

Il convient encore de relever qu’il est tout à fait improbable que vous sachiez lire et écrire, ne serait-ce qu’un peu, alors que vous dites ne jamais avoir été à l’école.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fonds définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire en date du 5 avril 2004 et une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 26 avril 2004, M. …, par requête déposée le 1er juin 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées du ministre de la Justice des 26 février et 26 avril 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours ayant également été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il expose que suite au décès de sa mère, il aurait été recueilli en bas âge par un dénommé Kemisin JAMEH, qu’il aurait dû suivre des réunions du parti politique UDP, mais qu’il se serait rapidement désintéressé de ces réunions, ce qui aurait incité cette personne à le maltraiter et à le jeter à la porte. Par la suite, il se serait retrouvé à la rue sans logement, ni nourriture, ce qui l’aurait incité à quitter la Gambie. Le demandeur expose encore qu’avant de rejoindre le Luxembourg, il aurait transité par le Sénégal, la Mauritanie, le Mali et le Maroc. Finalement, Monsieur … conteste avoir fait de fausses déclarations, notamment pour ce qui concerne son âge. Dans ce contexte, il fait état de ce que le certificat médical du 18 novembre 2003 ne serait pas absolument fiable, qu’il ne saurait justifier une remise en question de ses déclarations et il demande à ce que ledit certificat soit écarté des débats.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de retenir, même en faisant abstraction des déclarations de Monsieur … quant à son âge, que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible et qu’elles sont insuffisantes pour justifier qu’il risquait ou risque, individuellement et concrètement, de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.

Force est de constater que les craintes mises en avant par Monsieur … se rapportent exclusivement à un différend d’ordre privé l’opposant à la base à la personne qui l’avait recueilli et à la mauvaise situation économique en Gambie. Or, de simples considérations d’ordre privé qui ne se rapportent à un quelconque acte de persécution au sens de la Convention de Genève sont insuffisantes pour justifier un état de persécution et des considérations d’ordre matériel et économique ne constituent pas non plus un motif d’obtention du statut de réfugié (cf. trib. adm. 20 juin 2001, n° 12679 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 83).

La demande de Monsieur … tendant à voir écarter le certificat médical du 18 novembre 2003 est à rejeter comme étant superflue, étant donné qu’indépendamment de la question de son âge réel et de sa crédibilité, il n’a pas mis en avant des motifs valables en vue de l’obtention du statut de réfugié.

Il suit de ce qui précède que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18157
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18157 ?

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