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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18155

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18155


Tribunal administratif N° 18155 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18155 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Makhatchkala (République du Daguestan/Fédération de Russi

e), de nationalité daguestanaise et de citoyenneté russe, demeurant actuellement à L-…, te...

Tribunal administratif N° 18155 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18155 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Makhatchkala (République du Daguestan/Fédération de Russie), de nationalité daguestanaise et de citoyenneté russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 février 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme non fondée, ainsi que de la décision confirmative du 26 avril 2004 prise par ledit ministre suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 14 octobre 2002, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en dates des 19 février et 7 avril 2003 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 19 février 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 26 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition d’un agent du ministère de la Justice des 19 février et 7 avril 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays le 10 octobre 2002. Vous seriez d’abord allé en bus à Moscou et de là, vous auriez poursuivi votre voyage jusqu’au Luxembourg, mais vous ne pouvez pas donner plus de précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 14 octobre 2002.

Ayant poursuivi des études supérieures, vous n’auriez pas fait votre service militaire.

Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique, mais d’une association de jeunes appelée UNION.

Vous exposez que, au Daguestan, il y aurait une vague d’antisémitisme. Vous auriez été journaliste de radio et de télévision. Vous dites avoir fondé « l’UNION DES TRADUCTEURS DES ŒUVRES LITTERAIRES AU DAGUESTAN ». Vous expliquez que, pendant vos études universitaires, vous auriez été agressé à cause de vos origines juives et de vos prises de position en faveur de l’indépendance du Daguestan. Vous auriez dû aussi vous acquitter d’une importante somme d’argent pour pouvoir passer vos examens. Après vos études, vous auriez été engagé comme journaliste à RADIO CARAVAN. Vous auriez proposé d’y créer une émission d’analyse politique, mais cette initiative aurait eu pour effet de faire fermer la station de radio. Aussitôt après, vous auriez été engagé comme présentateur à la télévision. Parallèlement, vous auriez entamé un troisième cycle en philosophie à Moscou. Malheureusement, vous n’auriez pas obtenu de permis de résidence dans la capitale. Vous auriez publié, en 2000, une brochure que vous auriez essayé, en vain, d’écouler en 2001, sur le campus universitaire. Vous auriez aussi organisé des rencontres de jeunes dans votre immeuble. En mai ou en juin 2001, vous auriez été menacé et frappé alors que vous faisiez la distribution de vos brochures.

A votre sortie d’hôpital, vous auriez été sélectionné pour participer à un stage aux USA.

A votre retour des USA, vous auriez publié un livre qui n’aurait pas plu aux islamistes du Daguestan. En mars 2002, vous auriez organisé un meeting à Makhatchkala. Vous auriez été arrêté et placé 72 heures en garde-à-vue. Vous précisez n’y avoir subi aucune violence physique. Une infection neurologique contractée auparavant serait réapparue et vous [aurait] contraint à une hospitalisation. Vous auriez profité de ce repos forcé pour écrire des articles sur votre séjour aux USA. Vous auriez aussi écrit trois missives pour demander qu’on vous protège, l’une au Procureur Général, les autres au Président du Conseil d’Etat et au Président Poutine lui-même. A votre sortie d’hôpital, des agents de la milice daguestanaise vous auraient agressé en exhibant vos lettres et vous auriez dû retourner à l’hôpital. Vous ajoutez que, malgré vos problèmes, vous auriez toujours bénéficié du soutien du directeur du Journal NOVOE DELO qui aurait tenté de publier l’un de vos essai « Le Roi Nu », essai critiquant indirectement le Président Poutine. Suite à cela, vous auriez entendu dire que vous étiez en danger ; les islamistes et le gouvernement chercheraient à vous éliminer. Vous auriez alors préparé votre départ.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que, d’après vous, aucun mandat de recherche n’a été lancé contre vous. Des gens auraient simplement demandé à vos voisins où vous étiez. Vous vous dites recherché, mais rien n’étaye cette assertion.

En ce qui concerne les persécutions dont vous avez fait état, je note d’abord que vous avez été sélectionné pour un voyage aux USA en 2001, ce qui laisse à penser que vous n’étiez pas aussi mal vu des autorités que vous voulez bien le dire. D’ailleurs, si vous aviez réellement été persécuté à ce moment-là, vous auriez eu la possibilité de demander l’asile aux USA. Il est aussi curieux que, en 2002, presque simultanément, vous demandiez la protection du Président Poutine, et que vous le critiquiez dans l’une de vos œuvres, qui ne fut pas publiée, d’ailleurs.

Finalement, vous n’avez avancé aucun argument valable prouvant votre impossibilité de vous installer en Fédération de Russie, ailleurs qu’au Daguestan.

Vous dites seulement vous sentir étranger en Russie, ce qui ne saurait constituer un argument valable. Actuellement, toute incitation à la haine raciale est punie en Russie et Evgeny SATANOVSKY, Président du Congrès Juif a reconnu que l’antisémitisme n’était plus d’actualité.

J’en conclus qu’il résulte de vos dires que vous éprouvez un sentiment d’insécurité plutôt qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formé par le mandataire de M. … suivant courrier du 1er avril 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma le 26 avril 2004 sa décision initiale du 19 février 2004 dans son intégralité.

Le 1er juin 2004, M. … a introduit un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 19 février et 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité daguestanaise et de citoyenneté russe, originaire de la ville de Makhatchkala au Daguestan, de profession journaliste, et qu’au mois d’octobre 2002, il aurait quitté le Daguestan affirmant que « ma vie et (…) ma liberté y étaient en danger ». Il reproche au ministre de la Justice une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Il fait valoir plus particulièrement qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de « la vague d’anti-sémitisme au Caucase ». Dans ce contexte, il expose qu’il aurait été agressé en tant qu’étudiant en raison de ses origines juives et de ses convictions politiques pour l’indépendance du Daguestan. Il ajoute qu’il aurait travaillé par la suite en tant que journaliste de radio et de télévision et qu’il aurait publié des brochures et un livre qui n’auraient pas plu, ni aux islamistes, ni aux autorités locales qui l’auraient arrêté et placé en garde à vue pendant 72 heures. Pour le surplus, il aurait été battu à plusieurs reprises parce qu’il avait distribué des tracts à caractère politique. Il se serait finalement résigné à quitter son pays d’origine après avoir appris que tant les islamistes que le gouvernement chercheraient à le liquider en raison de ses idées politiques.

En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays , ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40).

En l’espèce, il ressort de l’examen des déclarations faites par M. … lors de ses auditions des 19 février et 7 avril 2003, telles que celles-ci sont relatées dans le compte-

rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la crainte de persécution du demandeur en raison de ses « origines » juives, il convient de remarquer qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de prime abord de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par le moindre élément de preuve tangible.

Pour le surplus, en ce qui concerne les craintes de persécution mises en avant par le demandeur émanant de milieux islamistes, s’agissant de persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, il y a lieu de relever qu’elles ne sauraient en tout état de cause être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’assurer une protection adéquate. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions. Or, en l’espèce les vagues craintes mises en avant par le demandeur pour illustrer ses craintes de persécution personnelles ne revêtent pas une gravité suffisante pour pouvoir être utilement rattachés à l’un des critères d’éligibilité du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Finalement, les risques allégués par Monsieur … se limitent exclusivement à la ville de Makhatchkala et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie du Daguestan ou de la Fédération de Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf.

trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18155
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18155 ?

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