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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18135

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18135


Tribunal administratif N° 18135 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18135 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kline E Epermë (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nati

onalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une d...

Tribunal administratif N° 18135 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18135 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Kline E Epermë (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 février 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2004 par Maître Frank WIES en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 28 octobre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 14 janvier 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 16 février 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 18 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez été témoin oculaire d’un accident de circulation qui se serait produit le 17 août 2003. Le lendemain, vous auriez déposé votre témoignage au poste de police à Skenderaj/Kosovo. Fin septembre 2003, deux inconnus se seraient présentés à votre domicile et vous auraient accusé d’avoir accablé l’un des leurs comme étant responsable de la mort de plusieurs personnes dans l’accident. Ils auraient menacé d’arranger l’affaire à leur manière avant de repartir.

Quelques jours après cette visite inopinée, vous auriez appris la mort d’un certain Gjefdet que vous connaissiez et qui aurait été menacé par ces mêmes inconnus. Dès l’annonce de la mort de Gjefdet, vous vous seriez précipité pour quitter au plus vite le Kosovo. Vous auriez en effet peur d’être tué.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, de simples craintes hypothétiques d’être tué en votre qualité de témoin oculaire d’un accident de circulation ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. Les menaces dont vous faites état ainsi que votre peur, ne sont pas de nature et de gravité suffisante pour fonder une demande d’asile politique, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Les auteurs des menaces, dont vous ignorez l’identité, ne sauraient par ailleurs être considérés comme agents de persécutions au sens de la prédite Convention. En outre, force est de constater que vous n’avez pas demandé la protection des autorités sur place et il ne ressort pas du dossier que ces autorités auraient refusé de vous protéger ou seraient dans l’incapacité de ce faire.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou ailleurs en République de Serbie Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Soulignons également que vous n’apportez pas la preuve d’avoir effectivement vécu au Kosovo, même si vous disposez d’un acte de naissance et d’une carte d’identité établis par la MINUK, l’établissement de tels documents ne nécessitant pas la présence physique au Kosovo.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 16 mars 2004, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 février 2004.

Par décision du 26 avril 2004, envoyée par lettre recommandée en date du 27 avril 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 16 février 2004.

Le 28 mai 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 16 février et 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo et qu’il aurait dû quitter sa ville d’origine Skenderaj en raison de menaces dont il aurait été victime et auxquelles il risquerait d’être exposé en cas de retour dans son pays d’origine.

Il expose plus particulièrement qu’en date du 17 août 2003, il aurait été témoin oculaire d’un accident de la circulation à Skenderaj et que lorsqu’il aurait fait sa déposition quant au déroulement exact de l’accident au poste de la police à Skenderaj, il aurait fait la connaissance d’un dénommé Gjefdet. Il précise qu’au début du mois de septembre 2003, il aurait revu le dénommé Gjefdet qui l’aurait informé que deux hommes « s’intéresseraient » à lui en relation avec sa déposition et qu’un mois plus tard, il aurait reçu la visite de deux inconnus à son domicile qui l’auraient menacé à cause de sa déposition. Ayant appris quelques jours plus tard la mort de Gjefdet, il aurait pris peur de subir le même sort que le dénommé Gjefdet et décida de quitter le Kosovo. Tout en admettant qu’il n’aurait pas porté plainte, il fait valoir, en se référant au rapport de l’UNHCR établi en date du 30 mars 2004, que la situation serait telle au Kosovo que les gens auraient peur de témoigner, de sorte que les crimes y seraient perpétrés en toute impunité, d’autant plus que les forces internationales en place ne seraient pas en mesure d’offrir une protection adéquate à la population. Enfin, il conclut que ce serait à tort que le ministre de la Justice aurait conclu dans son chef à l’existence d’une possibilité de fuite interne.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur l’incapacité des autorités étatiques à lui assurer une protection adéquate, laquelle serait à l’origine de la crainte justifiée de persécutions dans son chef et que le ministre de la Justice n’aurait pas établi que la situation au Kosovo se serait améliorée à cet égard. Il estime plus particulièrement que ce serait à tort que le ministre s’est référé à l’existence d’une possibilité de fuite interne dans son chef, étant donné que le rapport de l’UNHCR établi au mois d’août 2004 conclurait que les possibilités d’absorption de la Serbie-Monténégro de personnes originaires du Kosovo seraient épuisées.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 14 janvier 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, il ressort tant du rapport d’audition du 14 janvier 2004 que de la requête introductive d’instance, que le demandeur se dit menacé par des individus inconnus, suite à une déposition qu’il aurait fait à la police en relation avec un accident de la circulation dont il aurait été témoin. Il précise qu’il aurait actuellement peur de retourner dans son pays d’origine, au motif qu’il craindrait d’être tué par lesdites personnes. Or, de tels agissements relèvent d’une criminalité de droit commun, laquelle, quelle que soit la gravité et le caractère condamnable desdits actes, à les supposer établis, ne saurait justifier à elle seule un état de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il s’y ajoute que, si le demandeur tend en outre certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. Il en résulte que le demandeur reste en défaut d’établir l’incapacité des autorités en place de lui assurer une protection adéquate.

Enfin, le demandeur n’a pas indiqué, ni au cours de son audition par un agent du ministère de la Justice ni dans sa requête introductive d’instance qu’il aurait eu des problèmes liés à ses opinions politiques ou religieuses ou en raison de l’appartenance à un groupe social ou national.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18135
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18135 ?

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