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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18130

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18130


Tribunal administratif N° 18130 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18130 du rôle, déposée le 27 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Joram MOYAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Ukraine), de nationalité juive et de citoyenneté russe, e

t de son épouse, Madame …, née le … (Fédération de Russie), de nationalité et de citoyennet...

Tribunal administratif N° 18130 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18130 du rôle, déposée le 27 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Joram MOYAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Ukraine), de nationalité juive et de citoyenneté russe, et de son épouse, Madame …, née le … (Fédération de Russie), de nationalité et de citoyenneté russes, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 février 2004, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2004 par Maître Joram MOYAL pour compte des époux …-… ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en triplique ainsi désigné éposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2004 par Maître Joram MOYAL pour compte des époux …-… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joram MOYAL et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 2004.

Le 17 avril 2003, Monsieur … et son épouse, Madame … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Le 24 novembre 2003, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Le 9 janvier 2004, Madame …, incapable de parler à cause d’un cancer du larynx, versa une attestation écrite tenant lieu de rapport d’audition.

Par décision du 5 février 2004, envoyée par lettre recommandée le 10 février 2004, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées aux motifs qu’ils n'invoqueraient aucune crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social.

Le 10 mars 2004, les époux …-… firent déposer un recours gracieux contre cette décision.

Par décision du 26 avril 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision.

Le 27 mai 2004, les époux …-… ont fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 5 février 2004 et celle confirmative du 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation est dès lors irrecevable.

Le mémoire en triplique déposé le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif est à écarter des débats pour avoir été déposé après la prise en délibéré de l’affaire et sans demande afférente du tribunal.

Quant au fond, les demandeurs, reprochent d’abord au ministre un défaut de motivation de la décision du 5 février 2004.

En ce qui concerne le défaut de motivation soulevé par les demandeurs, force est de constater que ce moyen manque de pertinence. En effet, la décision du ministre de la Justice du 5 février 2004 est suffisamment motivée. Les faits tels que résumés dans la décision correspondent aux faits sous-jacents à la demande d’asile des demandeurs et les motifs de refus y sont énumérés. Le ministre a partant indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est fondé pour justifier son refus.

Quant au fond, les demandeurs se réfèrent aux faits tels que par eux relatés et estiment que ces faits sont suffisamment concluants pour fonder l’octroi du statut de réfugié. Ils font valoir que le ministre aurait détourné leurs déclarations et qu’il aurait omis de prendre en considération des incidents par eux relatés, notamment ceux ayant trait aux agressions anti-sémites. Ils ajoutent que le ministre, à cause d’une erreur d’interprétation, a retenu que sa détention dans une résidence du FSB (Federal Security Services) serait invraisemblable et fausse, alors qu’il résulterait des pièces versées que Monsieur … aurait été faussement accusé de trafic de drogues et détenu par le FSB à cause de ses activités politiques. Ils estiment qu’ils n’auraient pas pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne, dans la mesure où le FSB serait omniprésent en Russie.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En premier lieu on ne saurait retenir aucun reproche à l’encontre du ministre en ce qu’il n’aurait pas pris position sur des événements relatés par les demandeurs ou en ce qu’il aurait détourné le sens des déclarations faites. En effet dans la décision litigieuse, le ministre énumère les principaux incidents relatés par les demandeurs et y prend position dans la suite. A ce titre le ministre n’est pas tenu de reproduire in extenso les déclarations faites, le procès-verbal d’audition faisant partie intégrante du dossier administratif sur lequel le ministre a appuyé sa motivation. A cela s’ajoute que le mandataire des demandeurs a précisé dans son mémoire en réplique que « les insultes racistes et antisémites ne sont pas la cause de la fuite des époux mais constituent un effet adjoint aux activités de Monsieur … ».

Il résulte du rapport d’audition de Monsieur … qu’il a été directeur d’une association caritative avec le but de défendre les droits des invalides et les droits des minorités discriminées. Suite à son élection comme directeur de cette association, il fait état d’une agression de la part de personnes inconnues fin janvier 2001. Il fait état d’un deuxième incident, ayant eu lieu en juin 2001, où lors d’une manifestation organisée pour protester contre le licenciement de deux employés tchétchènes de la centrale nucléaire de Saint Petersbourg, il a été arrêté par la milice. Au cours de l’interrogatoire il relate qu’il a été battu et ensuite mis en détention préventive où il a été battu par des co-détenus. Il fait ensuite état d’un troisième incident se situant en novembre 2001 où il a été battu par des nationalistes au cours d’une manifestation. Il fait ensuite état d’un quatrième incident lors d’une fouille dans les bureaux de l’association, ayant eu lieu en mai 2002, où suivant ses déclarations il a été battu par la milice lors des interrogatoires.

En premier lieu c’est à juste titre que le ministre de la Justice a soulevé qu’il est curieux qu’une association reconnue pour s’occuper de la défense des droits des invalides puisse aussi intervenir dans la défense des minorités discriminées. Suite à ce point soulevé, les demandeurs se bornent à répéter que l’association caritative dont faisait partie Monsieur … se serait occupé des droits des invalides et des droits des minorités discriminées, sans autrement étayer cette simple affirmation, de sorte à ne pas utilement dissiper les doutes sur l’activité réelle de cette association.

Ensuite en ce qui concerne les agressions de la part de personnes inconnues, de co-détenus et de nationalistes, force est de constater que le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce le demandeur reste en défaut de prouver que les autorités en place encourageraient, voire toléreraient de tels actes.

En ce qui concerne les agressions de la milice, le demandeur relate lui-même qu’après avoir porté plainte auprès du procureur général il a été tranquille pendant une année. A cela s’ajoute qu’il n’est pas établi que ces actes ont été commis à cause de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un certain groupe social ou à cause des opinions politiques de Monsieur ….

Quant au dernier événement invoqué, ayant eu lieu durant les mois de mars et avril 2003, (transmission à Monsieur … d’informations compromettant le maire de Saint Petersbourg, cachette de ces informations dans une forêt, fausse accusation de trafic de drogues afin de se faire remettre les informations, arrestation par les agents du FSB, évasion de Monsieur … à l’aide d’un agent de la milice), force est de constater que le récit est peu plausible. On ne saurait pas non plus reprocher au ministre une erreur d’interprétation de cet événement, dans la mesure où le délégué du Gouvernement dans son mémoire en réponse invoque « l’accusation de trafic de drogues ». En plus c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement soulève que même en admettant le récit du requérant comme crédible, il se serait agi dans le chef de la milice d’une simple menace destinée à se faire remettre les documents que posséderait le demandeur et non pas d’une accusation en bonne et due forme. Pour le surplus il ne résulte d’aucune pièce versée au dossier, à part les dires afférents des demandeurs, que Monsieur … a été faussement accusé de trafic de drogues.

En ce qui concerne les soi-disant persécutions du FSB et la référence à un jugement allemand ayant retenu les persécutions exercées par le FSB, force est de constater que les demandeurs ne sauraient tirer aucun profit de ce jugement, étant donné que les faits à la base sont complètement différents de ceux relatés par Monsieur et Madame …. Il appartient au ministre d’analyser chaque situation individuelle et aux demandeurs de faire valoir une crainte de persécution laquelle doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, ils risquent de subir des persécutions. Or en l’espèce les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution.

De tout ce qui précède, il résulte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15.11.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18130
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18130 ?

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