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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18129

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18129


Tribunal administratif N° 18129 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18129 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalit

é serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’an...

Tribunal administratif N° 18129 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18129 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 16 février 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que confirmée par une décision du même ministre du 26 avril 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

Le 27 octobre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 1er décembre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 16 février 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 18 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de police judiciaire du 27 octobre 2003 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 1er décembre 2003.

Vous déclarez avoir quitté le Kosovo approximativement le 24 octobre 2003 à bord d’un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié en date du 27 octobre 2003. Vous ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté.

Depuis 1994 jusqu’à votre départ du Kosovo, vous auriez été membre actif du LDK et engagé dans l’armée UCK pendant la guerre du Kosovo. Vous retracez ensuite des évènements qui se seraient passés de 1997 à maintenant. En ce qui concerne plus particulièrement votre personne, vous auriez à plusieurs reprises été arrêté par des inconnus qui vous auraient maltraité et interrogé sur vos activités politiques. Après les élections communales de 2000, où le LDK serait sorti en grand vainqueur, vous auriez été arrêté et torturé par des personnes revendiquant leur adhésion à l’AKSh. En août 2003, vous auriez été menacé de mort et torturé. Vous auriez peur des deux partis politiques PDK et AAK ainsi que de l’AKSh.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je me dois tout d’abord de constater que lors de l’audition du 1er décembre 2003, vous avez nié avoir fait une demande d’asile dans un autre pays et ceci même sous une autre identité. Or, il résulte des informations en nos mains que vous avez déposé une demande d’asile en Belgique en date du 12 juillet 1995, demande qui a été refusée le 25 octobre 1995.

Mis à part votre séjour en Belgique, il ressort des informations en notre possession que vous avez été arrêté le 18 juin 2003 à l’aéroport de Düsseldorf en Allemagne et que vous avez quitté l’Allemagne volontairement en date du 24 juin 2003.

Par ailleurs, vous êtes resté en défaut de produire un certificat de résidence de la MINUK prouvant que vous auriez dernièrement vécu au Kosovo.

Vos mensonges relatifs à votre demande d’asile antérieure en Belgique et votre séjour antérieur en Allemagne entachent sérieusement la véracité et la crédibilité de vos déclarations.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. Tout d’abord, le fait d’avoir été agressé par des personnes inconnues ne saurait suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique et ce d’autant plus que des personnes inconnues ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. Dans un même ordre d’idées, il faut relever que l’AKSh est étroitement liée à l’ancienne UCK ce qui fait que votre récit concernant les tortures infligées par l’AKSh paraît peu plausible. Des membres de l’AKSh, organisation extrémiste, ne sauraient être considérés, eux non plus, comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. De plus, le LDK est actuellement parti politique au pouvoir au Kosovo de sorte qu’une crainte liée à l’appartenance à ce parti n’a pas lieu d’être.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou au Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 15 mars 2004, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire de l’époque, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 février 2004.

Par décision du 26 avril 2004, envoyée par lettre recommandée du même jour, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 16 février 2004.

Le 27 mai 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 16 février 2004, telle que confirmée sur recours gracieux du demandeur par une décision du même ministre du 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il serait venu au Luxembourg, au motif qu’il éprouverait une crainte raisonnable pour sa vie sans autrement préciser les faits motivant cette crainte. Il fait valoir que les persécutions dont il aurait été victime auraient entraîné des problèmes de santé nécessitant un internement au Centre Hospitalier Neuro-

Psychiatrique d’Ettelbruck. Enfin, il estime qu’il remplirait les conditions pour bénéficier de l’asile politique et il soutient que la décision ministérielle ne serait pas légalement justifiée, sinon résulterait d’une erreur d’appréciation manifeste.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40).

Or, il convient de relever de prime abord que la crédibilité du demandeur et la véracité de son récit sont sérieusement ébranlées par les contradictions et fausses déclarations relevées par le ministre de la Justice dans sa décision initiale de refus du 16 février 2004, notamment du fait d’avoir menti au sujet du dépôt d’une demande d’asile en Belgique en date du 12 juillet 1995, demande qui a été refusée le 25 octobre 1995, et au sujet d’un séjour en Allemagne en 2003 où il fut arrêté à l’aéroport de Düsseldorf du chef d’usage d’un faux passeport.

A la lumière de cet état des choses, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 1er décembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, lors de son audition, le demandeur a fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine, le Kosovo, pour éviter des persécutions en raison de son appartenance et de son activisme pour le parti politique LDK et son engagement dans l’UCK. Il expose plus particulièrement qu’il aurait été agressé à plusieurs reprises par des inconnus qui lui auraient reproché son activisme pour le LDK, qui l’auraient battu et interrogé sur ses activités politiques ainsi que sur d’autres membres de sa famille, également actifs dans le LDK. Il ajoute qu’après les élections communales de 2000, il aurait été arrêté, et battu jusqu’à en perdre connaissance par des personnes se vantant d’être membres de l’AKSh, et qu’en 2003, il aurait à nouveau été arrêté par des membres de l’AKSh qui l’auraient torturé et menacé de mort et qui ne l’aurait relâché que sous la condition qu’il les aide à arrêter son oncle, un haut fonctionnaire du LDK aux Etats-Unis.

Force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible. Ainsi, il ne ressort notamment d’aucun élément du dossier administratif que le demandeur ait effectivement été membre du LDK ou de l’UCK.

Pour le surplus, même à admettre que le demandeur connaîtrait des problèmes avec des adhérents de l’AKSh, ces derniers ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, leurs actes s’insérant dans un cadre de criminalité de droit commun, et le demandeur n’établit pas à suffisance de droit que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux Albanais du Kosovo, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pour le surplus, il convient encore de relever que les problèmes de santé dont le demandeur fait état, en versant un certificat médical à l’appui, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que ni les problèmes de santé en question ni encore la qualité des soins que peuvent assurer les médecins dans son pays d’origine, ne sont de nature à justifier dans le chef du demandeur une crainte de persécution au sens de ladite Convention (cf. trib. adm. 12 juillet 2001, n° 12812 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 80 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18129
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18129 ?

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