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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18123

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18123


Tribunal administratif N° 18123 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18123 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2004 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tskhinvali (Géorgie), déclar

ant être tant de nationalité géorgienne (ossète) que russe, demeurant actuellement à L-…, tendant ...

Tribunal administratif N° 18123 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18123 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2004 par Maître Barbara NAJDI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tskhinvali (Géorgie), déclarant être tant de nationalité géorgienne (ossète) que russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que confirmée par le même ministre par une décision du 26 avril 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sébastien RIMLINGER en remplacement de Maître Barbara NAJDI, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 22 août 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 10 octobre 2003, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 décembre 2003, envoyée par courrier recommandé du 22 décembre 2003 et notifiée en mains propres en date du 11 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 10 octobre 2003.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Vous exposez que votre père, qui aurait été journaliste, se serait fait tuer il y a six ans parce qu’il aurait été en possession d’une cassette, audio ou vidéo, compromettante.

Votre frère aurait aussi été blessé à cette occasion. On vous aurait recherché par la suite pour obtenir cette cassette.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate d’abord que l’enregistrement de la cassette, ayant été fait par votre père, est forcément antérieur au décès de celui-ci, donc date d’au moins six ans. Il me semble peu plausible que le contenu de cette cassette soit encore d’une actualité tellement brûlante que vous soyez toujours recherché à cause d’elle.

De plus, des personnes armées, non autrement précisées, ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci d’autant plus que vous reconnaissez n’avoir pas porté plainte contre eux.

Quant à votre prétendue impossibilité de vous établir dans une autre région de Géorgie ou en Fédération de Russie, elle est peu crédible au regard de ce qui précède.

Je constate donc qu’aucune de vos assertions, à les supposer établies, ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 8 mars 2004, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2003.

Par décision du 26 avril 2004, envoyée par lettre recommandée du même jour, le ministre de la Justice confirma sa décision négative du 15 décembre 2003.

Le 27 mai 2004, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2003.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait quitté sa ville d’origine de Tshinvali en Géorgie, au motif que sa vie y aurait été en péril. Il expose plus particulièrement que son père aurait été journaliste à la chaîne de télévision KD-TV et que dans le cadre de son travail, il aurait réalisé il y a six ans un documentaire sur le trafic de drogues à l’occasion duquel il aurait enregistré une scène d’un trafic dans lequel seraient impliqués des policiers et que l’on verrait ces mêmes policiers exécuter un civil.

Lesdits policiers ayant appris lors de leur arrestation l’existence de ladite cassette, ils seraient venus trouver sa famille à la maison et auraient tué son père et grièvement blessé son frère. Sa famille aurait ensuite pris la fuite, mais lui-même serait toujours recherché à cause de cette cassette et que même avant son départ, il aurait encore fait l’objet de poursuites, de sorte qu’il aurait pris peur de subir le même sort que les membres de sa famille. Il précise qu’il n’aurait pas pu porter plainte vu l’implication de policiers dans l’affaire.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 10 octobre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de subir le même sort que son père qui aurait été tué il y a six ans en raison d’un enregistrement compromettant en sa possession. Depuis lors, le demandeur serait également recherché par les mêmes personnes.

Or, abstraction faite des incohérences relevées par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse entre le récit présenté par le demandeur lors de son audition devant l’agent du ministère de la Justice et celui présenté, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, tenant notamment au fait que lors de son audition, le demandeur a déclaré être poursuivi par des « bandits » ou des « gens armés », alors que dans la requête introductive d’instance il l’aurait été par des policiers, il convient de relever que les déclarations du demandeur relativement à des actes d’intimidation ou de vengeance restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible et qu’elles sont insuffisantes pour justifier qu’il risquait ou risque, individuellement et concrètement, de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.

En effet, même à admettre leur véracité, force est de constater que non seulement les prétendus faits remontent à au moins six ans, mais en plus les auteurs desdits actes de persécution constituent des criminels de droit commun et ne sauraient en tant que tels être considérés comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Or, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. En ce qui concerne la notion de protection de la part du pays d’origine, elle n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf.

Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Géorgie ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate, ni a-t-il allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, le demandeur a affirmé ne pas avoir porté plainte.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine de Tskhinvali et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Géorgie, ou en Fédération de Russie où vit sa mère, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18123
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18123 ?

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