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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18119

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18119


Tribunal administratif N° 18119 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18119 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2004 par Maître Gilles SCRIPNITSCHENKO, avocat à la Cour, assisté de Maître Virginie MERTZ, avocat, l

es deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … 1975 à...

Tribunal administratif N° 18119 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, alias …, Schrassig contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18119 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mai 2004 par Maître Gilles SCRIPNITSCHENKO, avocat à la Cour, assisté de Maître Virginie MERTZ, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … 1975 à Arekova (Fédération de Russie), de nationalité et de citoyenneté russes, alias …, né le … 1979 à Janava (Lituanie), de nationalité lituanienne, détenu au Centre Pénitentiaire à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 25 février 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en sa plaidoirie.

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Le 23 octobre 2003, Monsieur …, alias …, introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 26 novembre 2003, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 25 février 2004, lui notifiée en mains propres le 2 mars 2004, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 octobre 2003 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 26 novembre 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Moscou début octobre 2003.

Vous auriez pris place dans un camion qui vous aurait déposé près de Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 23 octobre 2003.

Vous exposez que vous seriez orphelin et que vous auriez passé votre jeunesse dans un internat. A seize ans, après une dispute avec l’un de vos professeurs, on vous en aurait chassé. Vous auriez erré sans domicile fixe avant d’être recueilli par une dame IEGOROVA chez qui vous auriez vécu pendant dix ans.

Vous dites que vos ennuis proviendraient du fait que vous n’auriez jamais eu aucun papier d’identité. De plus, vous seriez juif. En effet, dès votre plus jeune âge, votre institutrice aurait déclaré que vous étiez juif. Tout le monde vous aurait donc traité comme tel. Ayant toujours vécu sans aucun papier d’identité, vous n’auriez jamais été appelé à l’armée. Il y a quatre ans, une personne que vous connaissiez vous aurait « cassé la tête » avec une batte de baseball. Vous auriez, en vain, porté plainte à la milice.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord tellement d’invraisemblances dans votre récit qu’il en devient peu crédible. Plus particulièrement, le fait que vous n’ayez aucun papier d’identité est peu crédible dans la mesure où vous étiez, forcément, inscrit à l’internat et à l’orphelinat et donc domicilié quelque part.

Quoiqu’il en soit, le fait de ne pas obtenir de papiers d’identité, si tant est que ce fait soit crédible, ne saurait constituer une persécution au sens de la Convention de Genève. Le fait d’avoir reçu un coup de batte de baseball sur la tête non plus, votre agresseur ne pouvant être assimilé à un agent de persécution au sens de la Convention précitée.

Il ressort de votre récit, dans la mesure où on peut y ajouter foi, que vous éprouvez davantage un sentiment d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, il résulte de notre dossier, et plus particulièrement des documents que vous avez oublié sur votre lieu de séjour et qui nous ont été transmis par le Commissariat du Gouvernement aux Etrangers, que vous viviez en France, avant de venir au Luxembourg.

Plus précisément, vous viviez à Caen, à l’association MULTINA, sous l’identité de …, originaire de Lituanie. Il est à noter que ceci expliquerait votre accent balte relevé lors de l’audition au ministère de la Justice, accent pour lequel vous ne pouviez donner aucune explication valable.

Or, je vous informe que l’article 6 f) du Règlement Grand Ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile dispose comme suit : « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

(…) ».

Il est évident que ce doute concernant votre identité, ajouté aux invraisemblances de votre récit jettent le discrédit sur votre histoire qui semble montée de toutes pièces.

Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

En conséquence, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par l’intermédiaire de son mandataire par lettre du 1er avril 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 26 avril 2004 à défaut d’éléments pertinents nouveaux. A noter que le demandeur refusa la notification de ladite décision au motif qu’elle n’était pas établie à son vrai nom, à savoir ….

Par requête déposée en date du 24 mai 2004, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 25 février et 26 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la décision déférée devrait être annulée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, au motif que ce serait à tort que le ministre de la Justice aurait basé sa décision sur l’article 6. f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile. En effet, non seulement il ne s’agirait pas en l’occurrence de l’article 6. f) mais de l’article 6. 1), mais en plus le demandeur aurait dans le cadre de son recours gracieux donné une explication satisfaisante relativement aux « invraisemblances » relevées par le ministre de la Justice, de sorte qu’en application de l’article 6. 3) dudit règlement, sa demande d’asile ne saurait être rejetée automatiquement pour fraude. Ainsi, il expose qu’il aurait été incarcéré le 18 février 2004 au Centre Pénitentiaire à Schrassig du chef d’usage de faux nom et d’infractions à la loi sur les étrangers et qu’il ferait l’objet d’une procédure d’extradition vers la Lituanie où il serait recherché pour participation à un vol de bois, organisé par la mafia locale. Or, les révélations qu’il pourrait être amené à faire dans le cadre de cette affaire mettraient sa vie en danger, ce qui expliquerait le dépôt d’une demande d’asile d’abord en France et puis au Luxembourg sous deux identités différentes.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Concernant d’abord le moyen tiré de l’article 6 du prédit règlement grand-ducal du 22 avril 1996, il échet de constater que s’il est vrai que le ministre de la Justice a indiqué la disposition de l’article de l’article 6. f) au lieu de l’article 6. 1), force est de retenir qu’il s’agit d’une erreur matérielle laquelle ne saurait porter à conséquence, étant donné que le ministre de la Justice a basé sa décision de refus non pas sur l’article 6. 1) du prédit règlement du 22 avril 1996, mais sur l’article 11 de la prédite loi du 3 avril 1996.

Concernant la justification du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 26 novembre 2003, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que la crédibilité et la véracité du récit du demandeur sont sérieusement ébranlées par les éléments du dossier relativement à l’utilisation de faux noms et de fausses qualités par lui, ainsi que par le changement de la version des faits telle que présentée lors de son audition devant l’agent du ministère de la Justice et dans le cadre de son recours contentieux, l’explication fournie par le demandeur n’étant pas de nature à justifier ses déclarations mensongères.

Or, à la lumière de cet état des choses et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des actes de persécution concrets que le demandeur a subis ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18119
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18119 ?

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