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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18088

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18088


Tribunal administratif N° 18088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18088 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M.

…, né le … à Pita (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réfor...

Tribunal administratif N° 18088 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18088 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pita (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 26 avril 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 23 septembre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu les 10 et 24 octobre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que votre père serait Imam et selon vos dires « intégriste de la charia ». Il aurait voulu que vous soyez comme lui et aurait voulu vous marier de force avec une fille de son choix, mais vous auriez refusé. Votre père vous aurait alors mis sous pression et vous aurait frappé. Vous auriez également eu une relation avec une autre fille que vous auriez voulu épouser, mais ce ne serait pas permis « avec les intégristes » et cette relation n’aurait pas été approuvée par votre père. On vous aurait vu avec cette fille et des personnes, vous ne précisez pourtant pas qui, l’auraient envoyée à une visite médicale et ils auraient ainsi su qu’elle serait enceinte. En juin 2003, vous auriez alors été emprisonné à la prison de Pita parce que vous auriez conçu un enfant hors mariage, fait que serait selon vous puni par la lapidation. Après deux semaines, vous auriez profité du fait que la porte de sortie de la prison n’aurait pas été bien fermée pour vous enfuir. Selon vos dires à six heures du matin, les personnes qui travailleraient à la prison de Pita ne seraient pas encore là et le seul gardien n’aurait pas fait attention. Le soir vous auriez pris un taxi pour Conakry.

En septembre 2003, après avoir vécu quelques mois à Conakry, vous auriez clandestinement pris un bateau en destination de la Belgique. Ensuite, vous auriez pris un train pour le Luxembourg, où vous avez déposé une demande d’asile en date du 23 septembre 2003. Le billet de train vous aurait été financé par une personne que vous auriez rencontré en Belgique. Vous n’auriez rien payé pour tout votre voyage en Europe et vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Vous ne seriez pas resté à Conakry parce que vous n’y auriez pas de soutien et parce que vous seriez recherché dans tout le pays. Vous auriez peur de vous faire tuer. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique ou d’avoir des activités politiques.

Il y a tout d’abord lieu de relever qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Il y a tout d’abord lieu de noter que la charia n’est pas appliquée en Guinée comme vous le prétendez pourtant. Ainsi, vous n’y auriez pas pu être lapidé pour avoir conçu un enfant hors mariage. Le fait de concevoir des enfants hors mariage n’est par ailleurs pas pénalement puni par la peine de mort en Guinée et il est improbable que vous auriez été emprisonné pour ce seul fait. Il est peu crédible que des filles non mariées et en couple soient enlevées par des personnes pour être soumises à un test médical afin de vérifier qu’elles soient enceintes. Votre fuite de prison n’est également pas très convaincante. Il est en effet difficilement concevable que vous auriez pu vous fuir [sic] aussi facilement de prison en trouvant une porte ouverte et qu’il n’y aurait eu qu’un seul gardien tôt le matin. Il en va de même pour le fait que vous n’auriez rien payé pour votre voyage en Europe. A cela s’ajoute que vous n’avez que de faibles connaissances sur la Guinée.

Toutes ces constatations nous font douter que votre récit corresponde à la réalité.

Même en supposant vos dires comme étant vrais, force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions au sens de la Convention de Genève. Le fait que votre père aurait voulu que vous seriez « intégriste », qu’il vous aurait fait de la pression et vous aurait frappé ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié étant donné que votre père ne saurait être considéré comme agent de persécution. Il en va de même du fait qu’il n’aurait pas approuvé votre relation avec cette fille, des problèmes familiaux ne constituant pas des motifs de persécution au sens de la Convention de Genève. Force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions par le gouvernement guinéen. Votre demande traduit plutôt l’expression d’un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 21 mai 2004, M. … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision prévisée du ministre de la Justice.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il conteste que son récit serait incohérent et soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait connu des problèmes avec son père qui aurait voulu le forcer à devenir Imam et à épouser une fille de son choix, deux choses auxquelles il se serait refusé, et parce qu’après avoir mis enceinte une autre fille, chrétienne, avec laquelle il n’a pas été marié, il aurait été emprisonné et risquerait d’être jugé et condamné à la peine de mort. Le demandeur relève encore la mauvaise situation générale régnant dans son pays ainsi qu’un état d’instabilité politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, il y a lieu de relever liminairement que, sur base des invraisemblances par lui relevées et ci-avant retranscrites, le ministre de la Justice a relevé à juste titre que le récit du demandeur est difficilement crédible, plus particulièrement en ce qui concerne les circonstances entourant son emprisonnement et les prétendus risques de persécution encourus.

Si, rien qu’à la lumière de cet état des choses et compte tenu du défaut d’un quelconque élément de preuve tangible relativement à des persécutions concrètes que le demandeur aurait subies ou des risques réels afférents, le récit du demandeur n’est pas de nature à dégager l’existence d’un risque réel de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, il s’y ajoute que même en en faisant abstraction, les problèmes du demandeur avec son père sont essentiellement à considérer comme des problèmes d’ordre personnel, son père ne pouvant être considéré comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’un risque de persécution par les autorités guinéennes en raison d’une relation interconfessionnelle et la conception d’un enfant hors mariage reste à l’état de simple allégation.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18088
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18088 ?

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