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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18060

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18060


Tribunal administratif N° 18060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18060 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2004 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vushtrri (Kosovo/Etat de Serbie e...

Tribunal administratif N° 18060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18060 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2004 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Georges WEILAND, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Vushtrri (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 16 février 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 26 avril 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sonia DIAS VIDEIRA, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 21 octobre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 21 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 février 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Kosovo le 15 octobre 2003 pour vous rendre à Luxembourg où vous seriez arrivé le 21 octobre 2003. Vous auriez à plusieurs reprises changé de moyen de locomotion et ne pouvez pas donner d’indications quant au trajet emprunté.

Vous exposez que votre père aurait été malade mental. Pendant le conflit du Kosovo, votre père aurait pu circuler librement parce que les Serbes auraient connu son handicap.

Vers la fin de la guerre, les Albanais l’auraient accusé de collaboration avec les Serbes et l’auraient battu à mort. Dès votre retour d’Allemagne où vous auriez séjourné de novembre 1998 à août 2001, vous auriez à deux reprises réussi à échapper à des agressions, en novembre 2001 et en mars 2002. En janvier 2003, des personnes inconnues, probablement des Albanais, vous auraient attaqué et blessé. Vous pensez que ces agressions seraient liées au fait que votre père aurait été considéré comme un collaborateur pendant la guerre. Vous affirmez que la police aurait dressé un procès-verbal, mais vous ignorez les suites données à l’affaire.

Enfin, vous affirmez ne pas vous intéresser à la politique et admettez ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, les motifs que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève. En effet, des Albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécutions au sens de la Convention de Genève. Votre peur traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection. Vous avez d’ailleurs reconnu qu’un procès-verbal a été dressé après votre agression. A cela s’ajoute que le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les Albanais.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Kosovo ou ailleurs en République de Serbie Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 4 mars 2004 et à une décision confirmative de son refus initial prise par le ministre de la Justice le 26 avril 2004, M. …, par requête déposée le 17 mai 2004, a fait introduire un recours tendant en substance à la réformation, sinon à l’annulation des deux décisions prévisées du ministre de la Justice des 16 février et 26 avril 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile. Dans ce contexte, il soutient qu’il remplirait les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait d’être maltraité voire même tué par les Albanais de son village d’origine. Il précise qu’après son retour volontaire – d’Allemagne, où il a séjourné de 1998 à 2001 - au Kosovo, il aurait été agressé à trois reprises par des Albanais en raison du fait qu’ils considéreraient – à tort - son père comme ayant été un collaborateur des Serbes au cours de la guerre du Kosovo. Le demandeur insiste encore sur la mauvaise situation générale et les tensions interethniques persistantes et soutient que la MINUK et la KFOR ne seraient pas en mesure de le protéger efficacement.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, le demandeur, Albanais du Kosovo, fait essentiellement état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’autres membres de la population albanaise du Kosovo et, plus particulièrement, des Albanais de son village d’origine qui lui seraient hostiles et lui reprocheraient une prétendu collaboration de son père avec l’armée serbe.

Ainsi, si les agressions par des membres de la population albanaise à l’encontre du demandeur, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, il n’en reste pas moins que ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève.

Or, en l’espèce, le demandeur n’établit pas à suffisance de droit que les autorités chargées d’assurer la sécurité publique ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à son village d’origine au Kosovo et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18060
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18060 ?

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