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15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18026

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 18026


Tribunal administratif Numéro 18026 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18026 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skopje (Macédoine), de nationalité macédonienne,

demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la J...

Tribunal administratif Numéro 18026 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2004 Audience publique du 15 novembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18026 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skopje (Macédoine), de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 27 janvier 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 5 avril 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 13 mars 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 8 mai 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 janvier 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport de la Police Judiciaire du 13 mars 2003 que grâce à l’aide de passeurs, vous auriez quitté Skopje/Macédoine le 11 mars 2003 à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 13 mars 2003, date du dépôt de votre demande d’asile. En ce qui concerne le trajet emprunté, vous indiquez avoir traversé la Croatie et la Slovénie mais ne pouvez donner de plus amples indications quant au trajet restant.

Vous déclarez avoir quitté votre village natal Skopje/Macédoine le 11 mars 2003 pour des raisons matérielles, étant sans travail dans votre pays, et par peur de l’UCK. En février 2003, vous auriez été forcé de rejoindre l’UCK. Lors d’une journée de repos en mars 2003, vous auriez décidé de ne plus retourner au camp. Vous admettez ne pas avoir subi de persécutions personnelles de la part de l’UCK. En tant que bochniaque en Macédoine, vous auriez peur des albanais de l’UCK et des macédoniens. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Je me dois tout d’abord de constater que lors de l’audition du 8 mai 2003, vous niez avoir eu un visa pour le Luxembourg ou un autre Etat membre de l’Union européenne. Or, il résulte des informations en nos mains que vous avez obtenu un visa Schengen délivré par l’ambassade d’Allemagne à Skopje avec une validité du 20 juillet 2000 au 3 septembre 2000.

L’article 6 b) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile ».

Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Votre mensonge relatif à l’obtention antérieure d’un visa Schengen entache sérieusement la véracité et la crédibilité de vos déclarations.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même à supposer les faits que vous invoquez établis, il ne résulte pas de vos allégations, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Des raisons économiques ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Par ailleurs, votre peur des albanais et des macédoniens traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un vague sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ni les albanais, ni les macédoniens ne sauraient être assimilés à des agents de persécution au sens de la convention précitée.

Pour le surplus, je vous informe que, depuis les élections législatives du 15 septembre 2002, la situation politique s’est stabilisée en Macédoine. L’OSCE a d’ailleurs déclaré que les élections s’étaient déroulées de façon libre et loyale. Huit formations de tous bords, politique et ethnique, sont actuellement représentées au Parlement. La Macédoine ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie de Macédoine pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 25 février 2004, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Le 5 avril 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 6 mai 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus des 27 janvier et 5 avril 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de Macédoine et de religion musulmane. Il soutient avoir quitté son pays parce que sa sécurité n’y serait pas garantie. Dans ce contexte, il fait essentiellement état de pressions et de menaces émanant de membres de l’« ANA », « l’UCK de Macédoine », qui l’auraient poussé à rejoindre les rangs de l’armée nationale albanaise de Macédoine, tout en précisant que les autorités en place ne sauraient pas le protéger efficacement. Il fait en outre état de ce que les autorités en place risqueraient de le considérer comme un insoumis parce qu’il aurait refusé d’accomplir son service de réserviste au sein de l’armé régulière macédonienne.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève, de ne pas avoir pris position par rapport à ses craintes envers les membres de l’ « ANA » et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever la déclaration mensongère du demandeur relativement à l’obtention d’un visa pour un autre pays de la communauté européenne, étant donné qu’il se dégage du dossier administratif qu’il a bénéficié d’un visa Schengen délivré par l’ambassade d’Allemagne à Skopje pour la période du 20 juillet 2000 au 3 septembre 2000, les connaissances de la langue allemande constituant un indice supplémentaire quant à un séjour du demandeur, par ailleurs nié par ce dernier, en Allemagne et de retenir que les mensonges et incohérences dans les déclarations d’un demandeur d’asile ne sont pas de nature à conforter la crédibilité de son récit, élément d’appréciation d’autant plus important que des éléments de preuve matériels font défaut.

Ceci étant, les motifs de persécution allégués, en substance vagues et non autrement circonstanciés et non confortés par un quelconque élément de preuve tangible, même à les supposer vrais, sont insuffisants pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

En effet, concernant le premier et principal motif de persécution dont le demandeur fait état, à savoir ses craintes envers les structures paramilitaires albanaises, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Macédoine, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

En ce qui concerne la deuxième crainte exprimée par le demandeur, relativement à sa prétendue insoumission, le tribunal constate que le refus ministériel est justifié par le fait que ni l’état d’insoumission ni le risque d’une condamnation à une peine disproportionnée par rapport à la gravité de pareille infraction ne sont établis à suffisance de droit.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18026
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;18026 ?

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