La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2004 | LUXEMBOURG | N°17942

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2004, 17942


Tribunal administratif N° 17942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

================================

Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-----------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17942 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Monsieur …, né le … à Imo State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L...

Tribunal administratif N° 17942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 avril 2004 Audience publique du 15 novembre 2004

================================

Recours introduit par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-----------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17942 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Imo State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 janvier 2004, lui notifiée le 23 janvier 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 22 mars 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2004 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles litigieuses ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Florent GONIVA, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 17 décembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 9 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 21 janvier 2004, lui notifiée en mains propres le 23 janvier 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport de service de police judiciaire que vous auriez quitté le Nigeria par bateau le 10 novembre 2003, vous ne sauriez cependant pas où vous seriez arrivé, ensuite vous seriez monté à bord d’un véhicule sans pouvoir donner d’indication ni sur le conducteur ni sur le véhicule lui-même.

Il résulte de vos déclarations qu’une nuit des gens seraient venus brûler votre voiture et alors qu’ils se seraient dirigés vers votre maison vous vous seriez enfui dans les bois. Après minuit vous seriez ressorti afin d’aller voir et vous seriez tombé sur un de vos clients qui vous aurait informé du fait que votre boutique aurait explosé et qu’ils seraient à votre recherche.

Vous lui auriez alors expliqué que ces gens allaient vous tuer parce qu’ils prétendraient, à juste titre, que vous seriez homosexuel. Votre client vous aurait emmené à Lagos puis vous auriez pris un bateau. Vous auriez rencontré ensuite un homme blanc sur le bateau qui vous aurait emmené en voiture, puis il vous aurait payé un billet de train avec lequel vous auriez voyagé jusqu’ici.

Vous ajoutez que si ces gens, qui vous seraient inconnus, vous attrapaient, ils vous tueraient. Cependant vous précisez ne pas avoir montré ouvertement votre tendance sexuelle, ni jamais avoir eu de problèmes auparavant.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Pour le surplus, vous n’auriez subi aucune persécution ni mauvais traitement.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est cependant de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, il convient de relever les différentes contradictions et invraisemblances qui jettent de sérieux doutes quant à la crédibilité de votre récit. En effet, tout d’abord il est peu concevable que des personnes que vous ne connaîtriez même pas souhaiteraient vous tuer et vous rechercheraient, et ce pour une raison d’homosexualité alors que vous dites vous même ne pas avoir montré votre tendance sexuelle.

De plus, vous précisez lors de l’audition que vous auriez aussi pris un train pour venir au Luxembourg. Or, auprès du service de police judiciaire vous n’avez à aucun moment mentionné le train comme moyen de locomotion. A cela s’ajoute que vous dites être né à Imo State et que cela serait une ville, or aucune ville ne se nomme de cette façon au Nigeria, Imo State est un des Etats de ce pays. Il convient de relever encore qu’auprès de la police judiciaire vous avez donné comme nom JESEN …, or auprès de l’agent du ministère vous répondez au nom de ….

De plus, aucune preuve n’est apportée pour corroborer les faits allégués, mais de toutes façons, à supposer les faits établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, en l’espèce, le fait d’être homosexuel ne saurait à lui seul justifier une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

En outre, il ressort du rapport d’audition que vous n’avez subi aucune persécution ni mauvais traitement. En l’espèce vous prétendez craindre des personnes qui vous seraient inconnues. Cette crainte traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il ne faut pas oublier que ces personnes ne sauraient constituer des agents de persécution. Aussi et surtout, force est de constater que des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement peuvent être invoquées à l’appui d’une demande d’obtention du statut de réfugié si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. Or, il ressort du rapport de l’audition que vous n’avez pas requis la protection des autorités de votre pays, il n’est ainsi pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous protéger ou bien qu’elles encourageraient vos prétendus ennemis.

Par ailleurs, en l’espèce, vous n’apportez pas de raisons suffisantes pour lesquelles vous n’étiez pas en mesure de vous installer, le cas échéant, dans une autre région de votre pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Enfin, malgré la législation sur l’homosexualité, il convient de souligner qu’en pratique, au Sud du Nigeria, ces personnes ne présentent aucune crainte de persécution. En effet, il peut même être constaté par exemple l’existence de bars à fréquentation homosexuelle, de même qu’une organisation homosexuelle nommée « Alliance Rights » qui organise des séminaires et défend les droits des homosexuels nigérians.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 20 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 22 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 21 janvier 2004 et confirmative du 22 mars 2004 par requête déposée le 22 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, aux motifs que, d’une part, son récit serait parfaitement cohérent et il serait faux de retenir qu’il aurait menti notamment quant à son identité, les divergences dans la rédaction de ses nom et prénom s’expliquant par le fait qu’il ne saurait ni lire ni écrire et, d’autre part, que sa situation aurait été intolérable dans son pays d’origine, étant donné qu’il aurait légitimement craint de subir des sévices graves du fait de sa tendance homosexuelle, étant relevé qu’il aurait été attaqué dans son appartement par une « foule vociférante » et qu’il n’aurait pu s’échapper que de justesse et, comme l’homosexualité constituerait un délit dans son pays d’origine, il ne saurait espérer de l’aide de la part des autorités nigérianes.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant la véracité de l’ensemble de ses déclarations, le demandeur n’a pas fait état à suffisance de droit d’un état de persécution ou d’une crainte correspondant aux critères de fond définis par la Convention de Genève.

Ainsi, faisant état de sa crainte d’actes de persécution provenant de la société en général en raison de son homosexualité, le demandeur se prévaut d’actes de persécution émanant non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains éléments de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Les événements mis en avant par le demandeur revêtent en l’espèce certes un caractère condamnable, mais ne revêtent pas un caractère de gravité suffisant afin de valoir comme motif de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités en place encourageraient, voire toléreraient de tels actes, cette conclusion n’étant pas contredite par le seul fait que l’homosexualité serait susceptible de poursuites pénales dans le pays d’origine du demandeur, d’autant plus que le demandeur soutient lui-même ne jamais avoir affiché son homosexualité en public.

Il convient d’ajouter que le demandeur n’établit pas non plus qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 15 novembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17942
Date de la décision : 15/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-15;17942 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award