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10/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18347

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2004, 18347


Tribunal administratif N° 18347 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2004 Audience publique du 10 novembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18347 du rôle et déposée le 6 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité roumaine, demeurant à L-…, tendant ...

Tribunal administratif N° 18347 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 juillet 2004 Audience publique du 10 novembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18347 du rôle et déposée le 6 juillet 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité roumaine, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 26 avril 2004 lui refusant l’octroi d’un permis de travail en tant que « femme à tout faire » auprès de la société à responsabilité limitée … S.à r.l. établie à …, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre intervenue en date du 28 juin 2004 suite à un recours gracieux ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 8 novembre 2004, Maître Sibel DEMIR, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, s’étant rapportée au recours déposé.

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Par déclaration d’engagement datée au 15 mars 2004, la société … S.à r.l.

introduisit en faveur de Madame … une demande en obtention d’un permis de travail pour un emploi de « femme à tout faire ».

Par arrêté du 26 avril 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », rejeta cette demande « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

-

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place : 2645 ouvriers non qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

poste de travail non déclaré vacant par l’employeur -

recrutement à l’étranger non autorisé ».

Suite à un recours gracieux introduit en date du 10 juin 2004 par le mandataire de Madame …, le ministre prit une décision confirmative de refus datée du 28 juin 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2004, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation des deux décisions ministérielles précitées.

Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2003, v° recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

La loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère ne prévoit pas de recours au fond en la matière, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en annulation formé à l’encontre la décision ministérielle déférée est dès lors recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Le recours en réformation formulé à titre subsidiaire est en revanche irrecevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse critique les décisions ministérielles déférées en ce que celles-ci ne seraient pas motivées de manière suffisamment concrète.

Elle expose que ce serait à tort que le ministre lui a refusé le permis de travail sollicité, en invoquant la disponibilité de 2645 ouvriers non qualifiés, aucun élément ne permettant de conclure à la disponibilité effective et réelle de ces ouvriers pour occuper le poste vacant.

Elle relève à ce sujet qu’aucun des candidats assignés par l’Administration de l’Emploi ne se serait présenté au rendez-vous fixé.

Elle critique également le motif avancé par le ministre selon lequel aucune déclaration de vacance de poste préalable n’aurait été effectuée par l’employeur ainsi que le motif avancé relatif à la priorité à l’embauche à accorder aux ressortissants de l’Espace économique européen.

Il y a lieu de relever d’abord que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal, bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe en date du 6 juillet 2004.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu.

En ce qui concerne le moyen de la demanderesse relatif à l’absence de motivation adéquate et concrète de la décision ministérielle critiquée, il y a lieu de relever d’une part, que d’une manière générale, aucune disposition légale n'impose une motivation expresse de l'arrêté ministériel de refus d'une autorisation de travail. Il suffit, pour que l'acte de refus soit valable, que les motifs légaux aient existé au moment du refus, quitte à ce que l'administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l'administré, le cas échéant au cours d'une procédure contentieuse (voir Cour adm., 13 janvier 1998, n° 10241C du rôle, Pas. adm. 2003, V° travail, n° 36, et les autres références y citées).

D’autre part, force est de constater que les décisions ministérielles déférées se réfèrent bien, concrètement, à la situation du marché de l’emploi qui intéresse directement la demanderesse, en indiquant le nombre de personnes disposant de la même qualification que la demanderesse et se trouvant à la recherche d’un emploi, tout en énonçant trois motifs propres à la situation personnelle spécifique de la demanderesse, à savoir le fait que le poste de travail qu’elle entend occuper n’a pas préalablement été déclaré vacant par l’employeur et qu’elle a fait l’objet d’un recrutement à l’étranger non autorisé, ainsi que le fait qu’elle se trouve en situation irrégulière au Luxembourg.

Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse relatif au défaut de motivation des décisions ministérielles déférées est à rejeter.

En ce qui concerne le fond, l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, tel que modifié par la loi du 12 février 1999 concernant la mise en œuvre du plan d’action national en faveur de l’emploi 1998, dispose dans ses deux premiers alinéas que « (1) Le recrutement de travailleurs non ressortissants de l’Espace Economique Européen dans les Etats non membres de l’Espace Economique Européen est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi.

(2) Dans ce cas, l’administration de l’Emploi peut, sur demande préalable, autoriser un ou plusieurs employeurs ou une organisation professionnelle d’employeurs, à recruter des travailleurs ».

Il y a lieu de constater que partant le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi, sauf l’exception où un ou plusieurs employeurs, sur demande préalable, ont été autorisés par cette administration à procéder eux-mêmes à un tel recrutement « pour compléter et renforcer les moyens d’action de l’administration, notamment lorsque le déficit prononcé de main-d’œuvre se déclare » (doc. parl. n° 1682, commentaire des articles, ad. art. 16).

La demanderesse reste en défaut d’établir qu’elle ait bénéficié d’une autorisation de séjour au moment où elle a déposé sa demande de permis de travail – la simple affirmation non autrement étayée selon laquelle elle aurait bénéficié à cette date d’un visa valable ne suffisant pas à cet égard pour énerver le motif explicite de la décision ministérielle confirmative du 28 juin 2004, de sorte qu’elle doit être considérée comme ayant été à cette date en situation irrégulière.

Dans la mesure où l’on ne saurait admettre qu’un travailleur qui séjourne irrégulièrement au pays puisse tirer avantage d’une telle situation illégale, et se voir considérer comme travailleur disponible sur le marché du travail interne pour ainsi contourner les contraintes administratives supplémentaires découlant de l’article 16 précité, c’est à bon droit que la demanderesse, à défaut de preuve d’un séjour régulier au pays, doit être considérée comme ayant été recrutée, sans autorisation, à l’étranger.

La méconnaissance de l’obligation légale dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est susceptible de sanctions pénales expressément énoncées à l’article 41 de la loi modifiée du 21 février 1976 précitée, lequel dispose notamment qu’est puni d’une amende de 500 à 25.000 € toute personne qui exerce une activité de recrutement de travailleurs à l’étranger sans être en possession de l’autorisation préalable prévue à l’article 16 de la même loi ou qui n’observe pas les conditions imposées dans ladite autorisation.

Au-delà du fait qu’une sanction pénale est prévue par l’article 41 prévisé, il convient d’analyser si le non-respect de la formalité préalable à l’emploi d’un travailleur étranger inscrite à l’article 16 (2) précité est de nature à justifier une décision de refus du permis de travail.

A cet égard, il a été décidé par la Cour administrative que l’article 16 (1) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et cela pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’œuvre occupée dans le pays, la Cour s’étant référée à cet égard aux documents parlementaires n° 1682 entrevus plus particulièrement à partir de leur exposé des motifs, pour conclure au caractère impératif de la règle de procédure sous examen (cf. Cour adm. 22 octobre 2002, n°s 14539C et 14967C du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, III. Permis de travail, n° 52, p.622).

Il s’ensuit que le motif de refus basé sur le recrutement à l’étranger non autorisé, au regard des considérations ci-avant fondées sur une jurisprudence constante de la Cour administrative, s’inscrit dans le cadre légal tracé par les dispositions de l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, en vertu desquelles seules « des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi », peuvent être invoquées pour motiver le refus du permis de travail, de sorte que le tribunal, statuant sur la légalité d’une décision de refus du permis de travail, est appelé à vérifier si les dispositions de l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, ont été observées.

Il se dégage des développements qui précèdent que l’arrêté ministériel litigieux est motivé à suffisance de droit et de fait par le seul constat vérifié en l’état du non-

respect de la formalité inscrite à l’article 16 (2) de la loi modifiée du 21 février 1976, précitée, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus en avant les autres motifs de refus invoqués à son appui, ainsi que les moyens y afférents.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 novembre 2004 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18347
Date de la décision : 10/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-10;18347 ?

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