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10/11/2004 | LUXEMBOURG | N°18213

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2004, 18213


Tribunal administratif N° 18213 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2004 Audience publique du 10 novembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18213 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2004 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au

nom de Madame …, née le … (Fédération de Russie), de nationalité juive et de citoyenneté r...

Tribunal administratif N° 18213 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2004 Audience publique du 10 novembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18213 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2004 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Fédération de Russie), de nationalité juive et de citoyenneté russe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 avril 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 24 mai 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 8 novembre 2004, Maître Renaud LE SQUEREN, en remplacement de Maître Philippe STROESSER, s’étant rapporté au recours introduit par la demanderesse, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK s’étant ralliée aux écrits de la partie publique.

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Le 7 avril 2003, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Elle fut encore entendue en date du 30 octobre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 9 avril 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 13 avril 2004, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande avait été rejetée au motif que les explications fournies seraient peu plausibles et qu’elle n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux introduit par le mandataire de Madame … par courrier du 28 avril 2004, le ministre de la Justice prit une décision confirmative datée du 24 mai 2004, qui lui fut notifiée par courrier recommandé expédié le même jour.

Madame … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée en date du 11 juin 2004.

Le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours subsidiaire en annulation.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre subsidiaire, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, Madame … fait exposer qu’elle aurait été contrainte de quitter la Russie en raison de son appartenance ethnique et suite aux engagements politiques de son frère. Elle précise à ce sujet qu’elle aurait été persécutée par des individus qui rechercheraient son frère.

Elle conteste encore l’appréciation faite par le ministre de la plausibilité des motifs de persécution avancés par elle et estime que la charge de la preuve de l’inexactitude des faits par elle relatés appartiendrait au ministre.

En substance, la demanderesse reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’elle a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande d'asile, doit partant procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 9407 et 9806, Pas. adm. 2003, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 40, p.185, et les autres références y citées).

Or, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef d’une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet de l’audition de Madame … telle que retenue au procès-verbal versé aux débats qu’elle aurait été abordée en 2002 à …, ville russe située au nord-est de Sibérie, par deux caucasiens, qu’elle aurait identifié par après comme étant des tchétchènes, et qui lui auraient montré une photographie de son frère, militaire, en présence de cadavres de tchétchènes qu’il aurait tués. Les deux individus en question auraient recherché son frère pour venger ces morts, mais, ne le trouvant pas, auraient agressé la demanderesse. Madame … relate ainsi que des tchétchènes auraient fait irruption dans son domicile pour la frapper, puis qu’elle aurait fait l’objet d’une tentative de kidnapping de la part de tchétchènes pour finalement, après s’être réfugiée à Moscou, avoir à nouveau été agressée par des tchétchènes qui lui auraient volé son sac.

Il résulte de ce récit, à le supposer crédible, que la demanderesse fait l’objet d’une vendetta de la part de tchétchènes à cause de faits commis par son demi-frère contre d’autres tchétchènes vraisemblablement au cours d’opérations militaires.

Force est dès lors de constater que les persécutions dont fait état la demanderesse relèvent de la délinquance de droit commun, mais qu’il ne s’agit cependant pas de persécutions, ou plutôt d’un événement justifiant une crainte de persécution, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.

Enfin, à supposer que la demanderesse ait effectivement été persécutée en Russie par des tchétchènes, ce qui demeure à l’état de simple allégation, une telle menace n’émanerait pas des autorités du pays, mais de tiers, de sorte qu’il appartient de surcroît à la demanderesse de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

La demanderesse n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, ses affirmations relatives à la corruption de la police restant à l’état de pure allégation.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 novembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18213
Date de la décision : 10/11/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-11-10;18213 ?

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