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11/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17923

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2004, 17923


Tribunal administratif N° 17923 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17923 du rôle et déposée le 19 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dobrina (Macédoine), de nationalité...

Tribunal administratif N° 17923 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17923 du rôle et déposée le 19 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Dobrina (Macédoine), de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-… tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 janvier 2004, notifiée le 29 janvier 2004, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 mars 2004, suite à un recours gracieux introduit le 25 février 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 22 octobre 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut encore entendu le 13 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 27 janvier 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

«Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 22 octobre 2003 que vous auriez quitté Skopje le 21 octobre 2003 à bord d’une voiture. Vous auriez traversé la frontière bulgare à pied. A Sofia vous auriez pris une autre voiture qui vous aurait emmené jusqu’au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 22 octobre 2003.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le même jour. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez d’origine albanaise et que vous auriez vécu dans un quartier à Skopje avec que peu de familles albanaises. Vous auriez été provoqué et humilié à plusieurs reprises par des macédoniens, surtout par des jeunes.

Vous dites que la cohabitation entre albanais et macédoniens ne serait pas possible. On aurait également tiré à deux reprises sur votre maison. Vous auriez à chaque fois porté plainte auprès de la police et la deuxième fois un policier vous aurait dit d’aller au Kosovo ou en Turquie et de ne pas revenir avec une plainte pareille. Vous vous seriez ensuite plaint de ce policier auprès d’un autre commissariat et le policier en question aurait eu un avertissement. Ce dernier vous aurait convoqué à deux reprises au commissariat mais, vous ne vous seriez pas présenté. Vous auriez alors décidé de quitter le pays.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, force est de constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève. Les provocations et humiliations ne sont pas d’une gravité telle qu’elles puissent justifier une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Des voisins macédoniens ou de jeunes macédoniens ne sauraient par ailleurs être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Le comportement du policier sus-mentionné est certes condamnable, mais il ne saurait également pas suffire pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est par ailleurs de constater qu’une situation de paix s’est établie dans la région suite au désarmement de l’UCK par les troupes de l’ONU. On assiste également au dénouement de la crise au niveau politique par l’amendement de la Constitution macédonienne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 25 février 2004, Monsieur … introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 janvier 2004.

Par décision du 11 mars 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que le ministre de la Justice aurait commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, au motif que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son chef au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Skopje en Macédoine, de nationalité macédonienne, de confession musulmane et d’origine albanaise, et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison du fait qu’une cohabitation entre les Albanais et les Macédoniens n’y serait pas possible. Il expose plus particulièrement qu’il aurait été provoqué et humilié à de nombreuses reprises par de jeunes macédoniens, membres de formations spéciales de la police se nommant « Les Tigres » et « Les Loups » et qui auraient tiré à deux reprises sur sa maison.

Monsieur … expose encore qu’il aurait porté plainte à deux reprises auprès de la police, mais que cette dernière refuserait d’intervenir et lui aurait même conseillé de quitter le pays pour le Kosovo ou la Turquie, de sorte qu’il aurait dû se résigner, face à ce manque de protection à quitter son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 13 novembre 2003, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible. Ainsi, il ne ressort d’aucun élément du dossier administratif que M. … ait effectivement été provoqué par des jeunes policiers macédoniens et que ceux-ci auraient tiré sur sa maison, de sorte que l’affirmation qu’il serait victime d’une persécution à caractère politique reste à l’état de simple allégation.

Par ailleurs, concernant les craintes du demandeur en raison des conflits inter-

ethniques et de son appartenance à la minorité albanaise de Macédoine, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de son appartenance ethnique, ainsi que de la situation générale existant dans son pays d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Macédoine, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. - Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que la situation politique en Macédoine s’est considérablement modifiée (cessez-le-feu, pacification de l’UCK, accords d’Ohrid, loi d’amnistie) et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17923
Date de la décision : 11/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-11;17923 ?

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