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11/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17897

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2004, 17897


Numéro 17897 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17897 du rôle et déposée le 13 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, i

nscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Sk...

Numéro 17897 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004 Recours formé par Monsieur … et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17897 du rôle et déposée le 13 avril 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Skenderaj (Kosovo/Etat de Serbie et Monténégro), et de Madame …, née le … à Skenderaj, ainsi que de leurs enfants …, née le … à Arlon (Belgique), …, née le … à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) et …, né le … à Skenderaj, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 janvier 2004 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 mars 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 10 novembre 2003, Monsieur … et Madame …, accompagnés de leurs enfants …, … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … et Madame … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent encore entendus en date du 15 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice les informa par décision du 21 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 28 janvier suivant, que leur demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 novembre 2003 et les rapports d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 15 décembre 2003.

Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que vous auriez quitté votre domicile fin octobre-début novembre 2003 à bord d’une voiture qui vous aurait emmenés au Luxembourg, où vous seriez arrivés le 10 novembre 2003. Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié ce même jour.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez membre du PDK et qu’en août-septembre 2003 vous auriez eu des divergences politiques avec un membre du LDK, un certain H. qui aurait traité les membres du PDK comme terroristes. Vous vous seriez disputés et Makoli aurait failli vous tirer dessus avec un pistolet. Vous auriez porté plainte auprès de la police et il aurait été emprisonné pendant une semaine. Dès sa sortie de prison, Makoli vous aurait menacé et vous aurait tiré dessus. Vous auriez alors décidé de quitter le Kosovo.

Vous ajoutez avoir quitté le Kosovo en 1989-1999 parce que vous auriez été recherché par l’UCK pour avoir fait du commerce avec des serbes. Vous précisez ne pas avoir subi de persécutions depuis la fin du conflit de Kosovo.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous seriez également membre du PDK, mais vous ne faites pas état de persécution liée à cette adhésion. Vous auriez peur de H..

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Force est de constater que vos demandes ne correspondent à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève. Ainsi, le fait que Monsieur … se serait disputé avec un membre d’un autre parti politique pour cause de différence d’opinion politique ne constitue pas un acte de persécution. Une personne privée ne saurait par ailleurs être considérée comme un agent de persécutions au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de fournir une protection.

En ce qui concerne le fait que Monsieur … aurait été recherché par l’UCK, qui par ailleurs a été dissoute en septembre 2001, ne saurait correspondre à un motif de persécution prévu par la Convention de Genève, mais traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité.

A cela s’ajoute qu’en tant que Albanais du Kosovo vos craintes sont manifestement dénuées de fondement en ce qui concerne votre situation au Kosovo.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de leur mandataire du 23 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 11 mars 2004, les consorts …-… ont faire introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 21 janvier 2004 et confirmative du 11 mars 2004 par requête déposée le 13 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaire de la ville de Skenderaj au Kosovo et tous deux membres du parti politique PDK et qu’en raison de cette appartenance politique un dénommé H., membre du parti politique LDK, aurait traité Monsieur … de terroriste et l’aurait menacé de mort. Après un emprisonnement d’une semaine la même personne aurait tiré sur Monsieur … avec un pistolet, de sorte qu’ils se seraient résignés à quitter le Kosovo afin de se soustraire à cette menace.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 15 décembre 2003, ensemble les moyens et arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, lors de leurs auditions, les demandeurs ont essentiellement fait état d’une crainte envers un seul particulier, à savoir le dénommé H., qui aurait menacé de mort Monsieur … en raison de son appartenance au parti politique PDK, faits qui concernent partant une dispute avec un particulier sans être en rapport avec l’un des motifs visés par la Convention de Genève. Les faits relatés, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais il convient de constater qu’en l’espèce, ces actes ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais d’un simple particulier, lequel ne saurait en tant que tel être considéré comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’autre part, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de leur assurer une protection adéquate. En effet, il se dégage des déclarations des demandeurs, telles que relatées dans les compte-rendus d’audition, que l’agresseur de Monsieur … a été arrêté par les autorités locales et incarcéré pendant une semaine, de sorte que le tribunal ne saurait utilement conclure à un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Par ailleurs, à supposer réelle la menace pesant sur eux, les demandeurs, en tant qu’Albanais du Kosovo, ne soumettent aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2003, v° Etrangers, n° 45 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2004 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17897
Date de la décision : 11/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-11;17897 ?

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