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11/10/2004 | LUXEMBOURG | N°17883

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2004, 17883


Tribunal administratif N° 17883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17883 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. â€

¦, né le … à Dragas (Kosovo, Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant ac...

Tribunal administratif N° 17883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 11 octobre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17883 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Dragas (Kosovo, Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 janvier 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 mars 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 29 septembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en date du 17 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 19 janvier 2004, notifiée par courrier recommandé du 23 janvier suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Radesa pour aller à Rijeka où vous auriez trouvé un passeur. Vous ne pouvez pas donner plus de précisions quant à votre trajet jusqu’au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 29 septembre 2003.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti.

Vous exposez que vous ne parleriez pas l’albanais et que vous n’auriez donc aucune chance de trouver du travail au Kosovo. Vous vous feriez insulter quand vous parlez serbo-

croate. Vous auriez donc toujours évité de sortir de crainte des Albanais.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Les faits que vous invoquez ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. De plus, comme vous étiez sans travail, on peut penser que ce sont des motifs économiques qui vous ont poussé à demander l’asile. Tout au plus peut-on dire que vos dires traduisent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

En effet, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’y est installée et qu’une administration civile, placée également sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, même à supposer que vous appartenez à cette ethnie, il ressort qu’actuellement ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait pas être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s’ajoute qu’il ressort du rapport de l’UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo que les Goranais de la municipalité de Dragas ne sont actuellement pas confrontés à des menaces de sécurité et qu’ils jouissent de la libre circulation. A Dagras même, la libre circulation est garantie et les relations interethniques avec les albanais détendues. Les Goranais qui quittent Dragas le font essentiellement pour des motifs économiques. Enfin, il est très improbable qu’en tant que Goranais, vous n’ayez pas des connaissances de langue albanaise.

En outre, les Albanais que vous dites craindre ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro pour profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 19 février 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 8 mars 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 19 janvier 2004 et confirmative du 8 mars 2004 par requête déposée le 9 avril 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, déclarant être originaire du Kosovo et, plus particulièrement, du village de Radesa (commune de Dragas) et appartenir à la minorité goranaise du Kosovo, reproche au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Il fait valoir que la situation des minorités serait actuellement extrêmement difficile au Kosovo, qu’elle ne laisserait aux membres de ces minorités, dont celle des Goranais, aucune possibilité de « vivre librement et décemment », mais les exposerait à des discriminations et actes de persécution constants de la part de la majorité albanaise. Il renvoie au rapport de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003 pour soutenir que le ministre aurait apprécié de manière inexacte la situation des Goranais du Kosovo et les dangers auxquels ils seraient toujours exposés. Il soutient qu’il aurait personnellement été victime de persécutions du fait de son appartenance ethnique. Le demandeur affirme que les autorités en place au Kosovo ne seraient pas capables de lui assurer une protection adéquate et que ce serait à tort que le ministre aurait conclu dans son chef à l’existence d’une possibilité de fuite interne.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 17 novembre 2003, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne de prime abord la situation générale régnant au Kosovo, région dont le demandeur est originaire, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, reste difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les faits personnels allégués par le demandeur du fait de son appartenance ethnique, à les supposer établis, constituent certainement des pratiques condamnables, mais en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle un risque de persécution dans le chef du demandeur au point que sa vie lui serait intolérable dans son pays d’origine.

Par ailleurs, il convient de constater que ces actes, même à les supposer établis, ne s’analysent pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas le défaut de protection et de poursuite de ces actes de la part des autorités en place dans son pays d’origine, étant relevé que la police est intervenue à l’occasion de son agression sur un marché et a déclaré faire une enquête, les faits remontant pour le surplus au printemps de l’année 2000.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 11 octobre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17883
Date de la décision : 11/10/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-10-11;17883 ?

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